Que de défauts dans ce premier film ! Tu devrais refaire circuler «L’amour rend flou». Sur les conseils du copain, j'avais revu le court-métrage. Mais beaucoup trop d’imperfections pour le proposer. Et qui pourrait être intéressé ? Faut laisser le passé au passé. Mais,en me remémorant les conditions de réalisation, j'ai été moins sévère avec cette relique. Vraiment mal barré l' histoire d'amour du photomaton. Pourquoi pas le redonner à voir? Même avec ses défauts. Rares les débuts parfaits.
Des débuts sur les chapeaux de roues. Après la rédaction du texte, le pas encore réalisateur contacta un producteur pour lequel il avait écrit un bouquin technique. Séduit par les deux pages, il accepte aussitôt de produire le film. Et il promet de trouver un comédien pour la voix off. A nous de nous démerder pour le reste. Sans fric, ni parents ou copains susceptibles de mettre la main à la CB, impossible de prétendre à une quelconque aide publique…. Bref, nous cumulions les handicaps.Laisser tomber ou pas le projet?
Barges ou inconscients, sans doute les deux, nous décidâmes de plonger. Après avoir dégoté les acteurs et les techniciens, il fallait s’attaquer à la partie décor. Chez lui à Bagnolet, le réalisateur- qui n’avait jamais réalisé- dépiauta un sommier trouvé dans la rue pour le transformer en cabine de photomontage. Les gens qui passaient se demander ce qu’on faisait. La cabine peinte et prête, il fit des essais caméras. Ca ne marchait pas. Comment faire ? La solution fut trouvée rapidement : un grand placard du conservatoire de musique slave de Bagnolet. La direction avait accepté gratuitement de nous laisser une de ses salles pendant une journée. Pour l’ambiance sonore, nous opérâmes dans le carrefour de la Porte de Montreuil. Une réalisation à l'arrache. Malgré les difficultés, le tournage avait été très agréable. Sans la moindre assurance que ça aboutisse. Comme souvent le cas dans ce genre d’aventure.
Pour la voix off, le producteur nous ramena une surprise. Bernard-Pierre Donnadieu nous serra la main sans un mot tandis que ses yeux fixes nous passaient au scanner. Un réalisateur n’ayant jamais tourné associé avec un auteur non publié. Qui sont ces lascars ? Des rigolos ou des pros ? Quelque chose ou pas dans le bide. Puis lui et le prod allèrent boire un café pendant que nous préparions la salle. De retour, le comédien râlait car le patron du bar n’avait pas de lait. L’ours de très mauvaise humeur. Peut-être regrettait-il d’avoir accepter de bosser gratis ? Et pas au bout de ses peines. Le réalisateur lui expliqua la petite difficulté pour le tournage. A ce moment là, j’ai senti le comédien prêt à se barrer. Tout plaquer.
L’acteur s’attendait à lire le texte en regardant les images projetées sur un grand écran. Impossible financièrement pour nous de louer un auditorium. Le prod n’avait pas apporté le moindre sou. Que des échanges de services et de matos. Comment l’acteur avait-il débarqué dans cette galère ? Jamais je ne l’ai su. Le réalisateur et moi attendions sa réponse. Accepterait-il d’enregistrer sans voir les images ? Personne n’osait briser le silence. Il nous fouilla encore du regard. Puis, après avoir râlé, il accepta. Et là ce fut magique. Notre texte prenait d’un seul coup une autre dimension.Le photomaton avait trouvé sa voix. Une miette dans la filmographie de l’acteur. Mais une immense joie pour deux débutants. Encore plus pour le réalisateur de son premier film.
Souvent dans les ateliers d’écriture en collège ou au lycée, les auteurs croisent des gosses qui veulent créer. Chanteur, réalisateur, acteur, écrivain, peintre, Bédéiste, danseur… Cinéma et chanson sont les plus souvent cités. Ecrivain semble l’un des rêves les moins côtés dans la jeunesse. Que leur répondre ? La raison et l’honnêteté commanderaient de les dissuader de tenter la « vie d’artiste », leur conseiller d’opter pour un « vrai métier » et de vraies études. Privilégier le principe de réalité. Passe ton bac d’abord et trouve une filière bankable. Ou, au contraire, les pousser à réaliser leurs rêves. Sans pour autant être démago en leur faisant croire que c’est simple. Beaucoup d’appelés, très peu d’élus. Leur lire des extraits de « Lettre à jeune poète »? Encouragement ou dissuasion ? Quelle posture adopter ?
Sciences Po ou la musique ? L’un de mes copains se posait cette question à propos de son fils excellent musicien et élève brillant. Normal de s’interroger. Faut du piston pour être artiste. Y a que des fils ou des filles de qui réussissent dans ces métiers. Un discours récurrent. Pas entièrement faux. Bien évidemment, certains environnements facilitent plus que d’autres les «carrières artistiques». Toutefois nombre de contre exemples prouvent que venir d’un milieu modeste n’empêche nullement de créer et vivre une vie d’artiste. Fort heureusement le talent n’est pas lié aux origines sociales.
Partout en France, il y a des médiathèques, des conservatoires de musique, des Maisons des jeunes et de la Culture, des cafés concert… Ces lieux ou, souvent, les artistes de condition modeste - ou pas - font leurs premières armes. Ne pas oublier non plus les clubs théâtre, de lecture, de dessin, etc, des lycées et des facs. Lycéens, Maurice G Dantec et Tonino Benacquista avaient bénéficié des conseils littéraires et cinématographiques d’un animateur culturel nommé Jean-Bernard Pouy. Malgré les budgets de plus en plus amaigris comme pour les conservatoires, il existe partout des structures permettant d’accueillir et accompagner des jeunes ou moins jeunes rêvant d’être artiste. Reste plus qu’à bosser et y croire. Et surtout ne pas lâcher l’affaire.
Facile à dire mais pas à faire en notre période où le budget de la Culture- si je ne me trompe pas- est le plus bas de la V ième République. Ennemi de la finance ou de la Culture ? Parmi la grande majorité d’artistes qui galèrent, de nombreux jettent souvent l’éponge à l’arrivée des gosses ou, au fil du temps, à cause du poids des incertitudes du lendemain. Si tu n’es pas pote avec Algorithme de recommandation sinon, à moins d’avoir une fortune personnelle, tu seras sans doute contraint de fréquenter RSA. Pas un hasard si beaucoup d’artistes sont aussi enseignants ou exercent une activité rémunératrice chaque mois. Bref, compréhensible un peu que, usés, on puisse avoir envie de laisser tomber. Avant de plonger dans la dépression ou, pas pire plaie pour la création, une profonde aigreur. Seuls les plus blindés persisteront contre vents et huissiers.
C’est la crise. Plus d’argent dans les caisses. Un film ca coûte beaucoup de pognon, écrire ça nourrit qu’une poignée d’auteurs en France…. Pas faux cette litanie déclinée depuis des années. Nous sommes nombreux, dans les périodes de grosse dèche, à asséner ces vérités. Réalité incontournable. Est-ce une raison pour cesser de créer ? Surtout si c’est un choix de vie. Une passion profondément ancrée.
Bien sûr, aucun artiste ne rêve de crever la dalle. Un frigo vide ne donne pas plus de talent. Aucune honte à vouloir vivre, voire très bien vivre, de son acte artistique. Mauvais ou bons, certains parviendront à faire fructifier leur talent ou absence totale de talent. D’autres, meilleurs ou plus mauvais, ne pourront jamais en faire leur gagne pain. Pas un scoop tout ça. De tout temps, la question de réussir à vivre ou pas de son art s’est posé. Sans doute une part de hasard et de rencontres dans la roulette artistique. Le principal étant quand même de jouer. Et de laisser jouer les nouveaux.
Le doute restant le point commun entre les artistes de toutes origines et de tous âges. Les meilleurs, les mauvais, les pauvres, les riches, sont plus ou moins souvent traversés d’interrogations sur leur travail. Parfois une rencontre au début donnera le déclic pour se jeter à l’eau. Plus tard, à certains périodes, d’autres rencontres peuvent aider à retrouver la confiance perdue. Commencer et continuer secrètent souvent les mêmes incertitudes. Sans oublier la joie de créer. Pas que des artristes.
Sans la voix de Bernard-Pierre Donnadieu, ce petit film n’aurait sûrement pas vu le jour. Il lui avait donné un sacré coup de fouet. Ce type (croisé qu’une fois) accorda sa confiance à deux inconnus, en plus complètement fauchés. Grâce à sa présence, « L’amour rend flou » n’est pas un projet de plus tombé à l’eau. Un rêve aux ailes coincées dans un tiroir. Certes un objet très imparfait, confidentiel, sûrement vieillot, mais toujours là. Jamais eu l’occasion de remercier le comédien pour son travail de lecture. Et tout le reste, invisible.
Merci l’artiste !
Le titre de ce billet est inspiré de la citation « Echouer encore. Echouer mieux.» dans «Cap au pire»,de Samuel Beckett .