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Billet de blog 22 octobre 2024

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Quai des amitiés

Une masse qui ne passait pas inaperçue. Mais sa grande carcasse était moins imposante que son regard. Un homme qui avait fait un choix. Lequel? Le choix que personne ne choisisse à sa place. Nous avons échangé nos coordonnées, en promettant de se revoir. Ça ne s’est pas fait.Comme on dit,c'est la vie. Perdure la beauté d’un très bon moment. Dans notre collection d’éphémères.

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Illustration 1
© Photo: Marianne A

              Très beau moment avec un ogre. Une masse qui ne passait pas inaperçue. Mais au fond, sa grande carcasse était moins imposante que son regard. Des yeux qui semblaient vouloir bouffer le monde. Visiblement un homme qui s’était usé à vivre. Sans excès de modération. Mais je l’ai appris dès qu’il a commencé à parler ; un homme avec toujours deux armes sur lui : le doute et la pensée longue, plus longue que l’émotion même légitime. La marque des êtres préférant éviter les raccourcis, même sans gains immédiats et une trajectoire plus complexe. Nous nous étions croisés sur un salon du polar. Très vite, la sauce avait pris. Avec d’autres qui se trouvaient là. Une joyeuse bande dans une pizzeria et un petit hôtel de zone d’activités. Comme quoi, la magie opère partout si on l’invite. Elle est venue avec sa sœur jumelle nommée poésie. Comme après une colo de vacances, nous avons échangé nos coordonnées, en promettant de se revoir. Ça ne s’est pas fait. Comme on dit, c'est la vie. Perdure la beauté d’un instant passager. Dans notre collection d’éphémères.

               Certains êtres pèsent leur poids d’humanité. Qu’ils soient maigres ou gros. Riche ou pauvre. D'ici ou d'ailleurs. De nulle part ou partout. Très vite, à leur contact, on sent une présence. Celle d’une histoire unique. Comme toutes devraient l’être. Mais pas si facile de devenir unique. Souvent, on s’arrête en cours de route. Pour revenir aux rails de son éducation et des injonctions de Papa, Maman, les enseignants, les politiques, les journalistes, les religions, les psys, les gourous et autres coachs, et toutes les voix qui vous assignent à un rôle sur la ligne de production de l’espèce. Et il y a celles et ceux refusant d’obéir et de penser droit. Pour sortir des rails tracés parfois même avant sa naissance. Transgressant au risque de tout perdre. Mais aussi de pouvoir se gagner. Comme cet homme qui avait fait un choix. Lequel ? Le choix que personne ne choisisse à sa place.

          Un homme avec  une page Wikipédia. Donner son nom ? Peu importe comment il s’appelle ; chaque patronyme reste à perpétuité. Ce qui compte, c’est la beauté de certaines rencontres. Nul besoin de les identifier ou de les géolocaliser avec précision. En tout cas pour moi qui n’était pas un intime. Même si parfois, on a l’impression d’une grande proximité qu’en une seule rencontre. Dans tous les cas, chaque individu fait comme il peut face à la mort. La sienne me touche. Très étonnant parce que ça fait longtemps que nous n’échangions même plus par mail. Pas ce qu’on désigne comme un proche. Pourquoi alors cette soudaine émotion et le retour en accéléré de bons moments – avec lui et d’autres - à l’annonce de sa mort ? Sa disparition a fait revenir en lumière nombre de copains et de copines qui se sont fait la malle depuis plusieurs années. Nous laissant le cœur ballant, les yeux rougis par les larmes. Sonnés et paumés sur le quai des amitiés parties en voyage. Mais jamais perdues. Pourquoi cette impression qu’il ne s’agit pas d’une perte ? Peut-être parce que vivre, c’est prolonger.

          La prolongation de quoi ? De son histoire. Et celle de l'intime étranger en soi ; son enfance. Mais aussi prolonger l’histoire des êtres qui nous ont habités longuement. Surtout celle des êtres en effet très proches. Mais il y aussi les autres. Ces rencontres qui sont des sortes de proximité en accéléré. Même sans lendemain. Quelque chose s’est passé ce week-end-là ? Quoi ? Souvent difficile de l’expliquer. Et d’ailleurs inutile de chercher à creuser l’indicible. Sûrement ça les affinités électives. Quand tu rencontres un frangin ou une frangine d’humanité. Sans avoir besoin de disserter. Quelques mots arrosés ou non. Certains silences et regards sont aussi des preuves de douter sur le même bord. Celui de solitudes imparfaites qui ne jugent pas l’autre. Souvent des frangines et des frangins blessés. Doués de ce genre de sensibilité qui met à nu votre histoire ; sans protection, elle saigne à toutes les nombreuses lames qui hérissent le quotidien. Mais en essayant de rendre sa blessure élégante. Présente sans chercher à occuper le centre. Sa blessure capable d'écouter d’autres blessures.

                Connaitre son nom ? Vous insistez ? Je vais vous donner son identité. C’est amitié avec un grand A. Celle qui n’ a pas besoin de demander l’ADN, se fout de la couleur de peau, du sexe, du genre, de la religion, des orientations politiques et sexuelles ; en bref, l’amitié n’est pas un contrôle de police ni un entretien d’embauche. Toutefois, elle n’empêche pas les engueulades sur tel ou tel sujet. Être amis n’efface pas les désaccords, même profonds. Mais l’amitié reste au-dessus de tout. Sans doute sa part de magie et poésie lui accordant un statut particulier. Comme une sorte de sanctuaire hors du temps. Et de la doxa. L’amitié est une sorte d’ambassade. Dans certains pays, on accorde le droit d’asile. Notamment pour des semblables menacés de mort dans leur pays. Ce qui a sauvé des centaines de milliers de vies au siècle dernier quand une nuit carnivore dévorait l'Europe.  Le droit d'asile est l’un des signes forts des démocraties. Et des lumières de l’universel humanisme. Peut-on aussi accorder le droit d’amitié ?

          Ami avec un homme qui a commis l’irréparable ? C’est possible. Je l’ai été et le suis encore. Pas du genre à demander le casier judiciaire de mes contemporains. Ni à vouloir que leur pensée soit conforme à la mienne. Sans toutefois chercher à minimiser ni à excuser l’acte dont ils ont été jugés coupables. Mais pas non plus à m’ériger en juge ou en procureur. Je ne suis pas non plus flic. À la justice de faire son boulot. Et aux journalistes de faire leur boulot sans se prendre non plus pour des justiciers. Contre la peine de mort et adepte de la réinsertion, il me semble normal qu’un homme ou une femme libre – après jugement, ayant payé sa dette à la société, devrait pouvoir reprendre sa profession avant son acte criminel. Excepté dans certains cas précis, comme par exemple pour les pédophiles de travailler dans le secteur de l’enfance. Interdire la possibilité de reprendre leur activité est une façon  d’instaurer une « peine de mort sociale » à vie. De nombreux hommes et femmes ayant commis des actes criminels se sont réinsérés. Certes ça  ne ressuscitera pas les morts et ne guérira pas certaines blessures à perpétuité. Mais la preuve que certains (pas tous) criminels peuvent revenir sur la rive de l’humanité. Et participer au chantier contemporain. La réinsertion est donc possible.

             Gosse, j’ai souffert à certains moments d’être le fils d’un assassin. Même s’il avait largement payé sa dette en purgeant une vingtaine d’années de bagne à Cayenne. Mais impossible de me débarrasser d'une irrépressible honte. Et toujours inquiet que des potes d’enfance refusent de me parler à cause de l’acte meurtrier de mon père. Quelques-uns ne se sont pas gênés pour me pointer du doigt et même refusés de me côtoyer. C’était bien sûr leur droit. Mais ça fait mal quand tu es gosse. Un jour, j’en parlais à un pote du quartier. Tu vois, le mec avec qui on joue quelquefois au baby. Celui qui a le crâne rasé et la boucle d’oreille. Ce mec-là, c’était un légionnaire. Il a sûrement tué et blessé des gens quand il partait en Afrique et ailleurs dans le monde. Et pourtant, on lui sert la main, on joue avec lui et on se marre avec lui. Cette phrase de collégien m’avait fait beaucoup de bien.

            Mes origines de «  fils de tueur » ont sans aucun doute influencé mon rapport à la réinsertion. Sans elle, peut-être que je ne serai pas en train d'écrire ces lignes. Le fils aussi d’une réinsertion réussie. C'est tout à l’honneur d’une démocratie de continuer de penser qu’un criminel - jugé et ayant purgé sa peine- peut se réinsérer parmi ses semblables. Ce qui n’empêche pas que l’acte reste impardonnable. Et que les proches des victimes seront inconsolables. Voire même enclines à vouloir se venger. Mais c'est une autre histoire. Celles des premiers concernés : les victimes et les coupables. Pas notre histoire de voyeurs et de voyeuses numériques. Balançant nos commentaires et sentences à  la fenêtre de nos écrans. Parfois important de se rendre compte que sa voix n'est pas toujours pertinente au débat. Et savoir se taire.

          Revenons à l’amitié. Et surtout sa maison. Quelle est-elle ? Cette maison, c'est notre mémoire. Là où les amitiés très longues ou express auront un domicile. Nous sommes en quelque sorte le toit de nos amis morts. Comme un jour, après notre départ, nous aussi aurons peut-être une place dans cette maison. Quand nous proches et nos lointains auront une pensée, même fugace. Les absents deviennent des morts quand ils n'ont jamais d'adresse. Sans domicile dans le cœur et l'esprit de celles et ceux les ayant côtoyés. Les absents ne meurent jamais quand ils habitent telle ou telle mémoire. Sous le toit des amis encore sur le quai des vivants.

           Bon voyage l'Ami express.

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