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Vivre c’est égoïste. La réponse que j’ai failli faire à une copine. Elle considère que mettre au monde, c’est de l’égoïsme. Tout à fait le droit d’exprimer sa réflexion anti-naissance. De plus, notre échange contradictoire m’a permis de gamberger. Toujours intéressant de secouer sa boîte à méninges et certitudes. Notre conversation a fait ressurgir le visage d’une femme. Une espèce de grande frangine sans aucun lien de sang. Elle avait refusé d’être mère. Nous en avons souvent parlé. Une situation difficile pour les femmes subissant le regard de la société les assignant à un rôle de « nullipare ». Cette vieille copine, morte récemment, en a souffert jusqu’au moment où -comme elle me disait en souriant- de ne plus pouvoir pondre pour rentrer dans le rang. Libérée en quelque sorte par son horloge biologique. Une culpabilisation parmi tant d'autres. Plus nombreuses concernant notamment le corps des femmes. La culpabilisation de l’autre « pas comme soi » est un sport très prisé en notre siècle. Comme d'assigner à l’égoïsme le choix de faire des enfants ?
Trop de monde sur terre. Qui l'affirme ? Un ou une venue au monde. Bien sûr que c’est un argument valable. La surpopulation est un problème important et qui va prendre de plus en plus d'importance dans les décennies à venir. Dans ce cas-là, continuer de vivre avec ou sans enfant, est aussi de l’égoïsme. Nombre de nos gestes au quotidien l’alimente. Du tirage de la chasse d’eau à sa bagnole en passant par son cher Smartphone qui a réponse à tout. La liste de toute notre gestuelle égoïste et destructrice de planète n’est pas exhaustive. En général, les uns et les autres, sommes si prompts à dénoncer l’égoïsme, la mauvaise consommation chez ses contemporains, en oubliant ou passant très vite sur nos assujettissements à la société d’hyper-technologisation et croissance toujours plus que plus. Le mauvais citoyen, pensant et dépensant mal, c’est toujours l’autre. Rien de nouveau sous le ciel de la culpabilisation.
Que faire pour ne pas être égoïste ? Une seule solution : le suicide. Un suicide planétaire. Les dirigeants de la planète l’ont déjà entamé. Mais un suicide pas assez rapide. Pourquoi ne se concertent-ils pas tous pour faire exploser en même temps toutes les armes nucléaires sur la surface du globe ? En quelques clics, l’inquiétude de la surpopulation serait réglée. Plus un homme, une femme, un enfant, et tous les autres genres. Même le fameux tableau de Courbet détruit dans l’implosion sans frontières. Plus d’origine ni de monde. Juste un champ de ruines en orbite autour du soleil.
La solution désormais entre les dents de nos quelques ogres planétaires. Ils peuvent empêcher la catastrophe annoncée. Réduire cette espèce prétentieuse et dévastatrice en poussière. Des tentatives ont été tentées depuis la naissance de l’humanité. Notre histoire regorge d’exemple. Mais pas assez efficaces. La technologie au service de la barbarie sans doute pas assez efficace. Contrairement à aujourd’hui. De nos jours, tu peux tuer en distanciel, envoyer un drone ou des missiles, puis aller chercher tes gosses à la sortie de l’école. L’humanité est arrivée à un grand niveau pour pouvoir s’auto-détruire. Réchauffement climatique, destruction de l’espèce humaine, de la faune, de la flore, de la poésie, etc. Plus la moindre trouille dans nos ventres mortels. Qu’est-ce qu’on attend pour ne plus être malheureux ?
Encore une caricature, me dira-t-on. Et à juste titre. Forcer le trait pour fouiller plus en profondeur ? Les propos de la copine et d’autres, proches ou non, ne sont pas dénués de sens.Les anti-naissance ne sont pas toutes et tous des décérébrés et rabat-joie. Ne pas tomber dans le simplisme des bons et des méchants. Leurs propos sont nés d' une indéniable réalité.et le reflet d’une profonde angoisse. Sûrement encore plus à notre époque ponctuée de Covid, de guerre, et à la course assoiffée au fric cynique qui donne le tempo du siècle. Important donc d’en tenir compte. Sans occulter non plus la volonté manifeste de quelques-uns et unes de plonger la majorité dans une sorte de morosité récurrente. À force de nous asséner, que tout va mal, c'est foutu ou foutu encore plus, on ne distingue même plus les éclaircies apparaissant dans le ciel sombre au-dessus de notre siècle. Une anesthésie fort efficace pour empêcher la floraison d’idées différentes et transgressives ? Des leurres pour cacher les beautés du monde ? Inutile de rêver puisque tout est foutu. L'avenir est un mur qui se rapproche. Comment projeter dans cette ambiance de désastre annoncé ?
Le désir de ne pas faire d’enfant n’est pas blâmable. Ni celui de vouloir inviter de nouveaux humains sur notre chère veille terre sous nos pieds. En lisant récemment le superbe texte d’une jeune romancière brésilienne, j’ai pensé à son enfance. Et à ses parents. C’est la rencontre de leurs deux corps qui ont abouti à ce livre. Certes peut-être une mauvaise histoire de couple avec plus de pire que de meilleur. En tout cas, la mettre au monde a permis à de nombreux lecteurs de croiser le chemin de son écriture très forte . Pareil pour nombre de créateurs et créatrices. Qu’il s’agisse d’artistes vivants ou morts. Procrées avant de créer. Sur un autre registre, ont peut adresser un remerciement à son garagiste, son plombier, son infirmière, son chauffeur de bus... Tous sont nés d'un rencontre et pour certains d'un désir partagé. Bien content que tous ces vivants soient présents autour de notre histoire. Toutefois ne soyons pas « bisounours » comme on dit de nos jours. Certains ventres s’ouvrent sur des bêtes immondes.
Mettre au monde ou refuser de perpétuer l’espèce ne sont pas des décisions anodines. Dans tous les cas, il y a des conséquences. Sur soi et les autres. Mais, au regard des millions d’années passées et celles à venir, personne ne peut prétendre que son choix est le meilleur. Même si les voyants sont au rouge. Peut-être que, parmi les nouvelles naissances, un ou plusieurs esprits, futurs grands scientifiques,parviendront à inverser le processus mortifère de notre espèce. Sait-on jamais. À mon avis, notre espèce, comme d’autres, devrait disparaître. Mais, n’étant ni maître du temps, ni devin, je ne peux pas prévoir quand et si, ce que je pense et dis aujourd’hui, se produira demain ou après-demain. À chacune et chacun de décider de continuer ou non de perpétuer l’espèce. Quel que soit son choix , la certitude de sa propre fin et de celle de l’individu unique mis au monde. Autant bien profiter de cet éphémère. Essorer son histoire jusqu’à la dernière bonne goutte d’être.
Chaque souffle porte sa part d’égoïsme. Sans aucun doute une lutte permanente. Pourquoi ? Pour sa survie, seconde après seconde. Chaque inspiration est jumelée à son expiration. Notre souffle est composé d’un duo permanent sous notre poitrine. Une musique à peine perceptible qui alimente tout l’orchestre invisible jouant sous la peau. Belle harmonie, très fragile. Pour ça que le souffle n’a pas le temps de penser et se poser des questions ; il a besoin de rester concentré sur sa tâche. Inspiration, expiration, inspiration, expiration, inspiration… Ne pas laisser le temps à la mort de s’immiscer et étouffer le souffle en écho du précédent. Continuer. Inspiration, expiration, inspiration... Tant qu’on a le désir de continuer. Certains êtres, très vieux ou bouffés par la douleur, ont envie de jeter l’éponge. Important d'essayer de les aider. Leur offrir la possibilité d’interrompre la musique sous leur poitrine. Quand on a plus de désir. Sauf un.
Le désir de s’effacer.
NB : Peut-être que la « propriétaire du ventre » en illustration tombera sur ce billet. La présence de la photo peut la gêner, pour des raisons d’ordre personnel. Dans ce cas, qu’elle n’hésite pas à me le signaler, et je supprimerai la photo.