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Mouloud Akkouche

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Billet de blog 23 juillet 2015

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Eau et Rêves à tous les étages

Mon dernier jour au volant. Dans moins d’une heure, je ne serai plus jamais automobiliste. Une pilule très dure à avaler après soixante cinq ans de conduite. Mes proches affirment que je suis devenu un ennemi public des routes. Et ils ont raison. J’ai toujours adoré conduire, surtout la nuit en écoutant la radio. Un grand amateur de belles bagnoles très puissantes. Encore un plaisir qui va me manquer. Avant de rendre les clefs, j'ai organisé un dernier voyage en solitaire. Revisiter les lieux marquants de mon histoire.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Mon dernier jour au volant. Dans moins d’une heure, je ne serai plus jamais automobiliste. Une pilule très dure à avaler après soixante cinq ans de conduite. Mes proches affirment que je suis devenu un ennemi public des routes. Et ils ont raison. J’ai toujours adoré conduire, surtout la nuit en écoutant la radio. Un grand amateur de belles bagnoles très puissantes. Encore un plaisir qui va me manquer. Avant de rendre les clefs, j'ai organisé un dernier voyage en solitaire. Revisiter les lieux marquants de mon histoire.

J’avais tourné longtemps avant de retrouver la « Maternité du Moulin ». Pourtant elle se trouve toujours au même endroit au bord de la nationale. Mais désormais au cœur d’un lotissement à rallonges dont les maisons et les rues, toutes semblables, donnaient l’impression d’un labyrinthe. La circulation était ininterrompue sur la nationale ayant doublé de volume, les champs de part et d’autre avalés par des zones commerciales. Je me garai sur le parking plein à craquer. Deux infirmières fumaient devant l’entrée. J’eus un pincement au cœur. Très déstabilisant de me retrouver dans cet endroit. Je sortis l'appareil photo de mon sac. L'une des infirmières accepta de me prendre en photo devant la grille. Quand je lui expliquai le pourquoi de ma présence, elle esquissa un sourire. M'avait-elle cru ?

Le lendemain, aucun souci pour trouver l’école primaire. Elle  n’avait quasiment pas changé, à part les doubles vitrages. Après l’avoir photographiée, je fis un tour du quartier. Aucun changement radical. Sauf la population, beaucoup moins populaire qu’à l’époque. De nombreux hommes et femmes circulaient à vélo. La désindustrialisation avait asphyxié toutes les petites usines; transformées en loft d’artistes ou de gens dans la pub ou les nouvelles technologies. Parfois au détour d’une rue, une tronche rappelait les origines du quartier. La voix chargée de nicotine d’un vieil habitant égrenait les histoires d’un autre temps ; debout sur le seuil d’une laverie, il apostrophait chaque passant. La mixité sociale semblait bien fonctionner. Un quartier très agréable.

 Les collégiens se demandaient ce que je faisais là. Pas tous les jours qu’un vieillard photographiait les murs décrépits de leur établissement. Jamais je n’aurais pensé le retrouver un jour dans un tel état. Des murs des bâtiments aux grilles bouffées par la rouille, il n’y avait visiblement qu’un entretien minimum. Juste pour être en conformité avec les règles de sécurité. Comment étudier et s’épanouir dans un endroit aussi triste? Pourtant, lors de son inauguration, toutes les huiles et la presse se pressèrent pour l’événement.  Ce collège, ultramoderne, changera le visage du quartier. Parents et élèves l’ayant visité sont ravis. Et les futurs collégiens ont hâte de quitter leurs locaux vétustes pour intégrer cet établissement flambant neuf.  Plus rien à voir avec l’éloge du journaliste de la presse locale. Comment être arrivé à un tel état de délabrement ?  

Les enseignants portaient le même masque de lassitude que les murs. La fatalité régnait en maîtresse des lieux. Qui est responsable de cet énorme gâchis? Question sans réponse, en boucle depuis des décennies. En tout cas, des générations de collégiens continuaient d’être sacrifiés. La cinquième roue du carrosse républicain. Foutus d’avance à cause de leur adresse. Bêtise de ma part ? Ma vision formatée par les reportages alarmistes sur la banlieue dont les télés, les radios, et la presse papier, nous abreuvaient. Les quartiers «sensibles» bons clients des JT.

Qui suis-je, de retour après tant de temps, pour me permettre juger, d’un coup d’œil, de la profonde réalité de cet espace? Même regard que celui des colons débarquant en Afrique pour apporter la bonne parole. Et si, c’était vraiment la merde comme je le ressentais, j’y étais aussi pour quelque chose. Un des éléments de ce merdier urbain. Profil bas, le retraité qui sait tout.

Changement radical d'impression devant le lycée. En plus de l’aspect fonctionnel, les équipes chargées de la modernisation n’avaient pas négligé l’esthétique. Au contraire, on sentait l’intérêt porté aux couleurs et volumes pour rendre le tout très attrayant. Suffisait de voir les lycéens entrer et sortir, certains allongés sur les pelouses, pour se rendre compte de leur plaisir de se retrouver et d’étudier dans ce lycée. Ce qui, bien sûr, n’empêchera pas des élèves de détester l’école ; mon cas jusqu’en troisième. Contrairement au collège, les enseignants n’avaient pas l’air d’entrer dans un abattoir pour la journée. Un lieu de vie très agréable. Une belle réussite.

Appareil photo à la main, je fis le tour du lycée en mitraillant tout ce que je pouvais. Les souvenirs remontaient peu à peu à la surface. Loin d'être la meilleure période de mon existence. Ça correspondait à la mort de ma mère. En plus, ma copine de l’époque venait de me plaquer. J’avais du mal à me concentrer sur mon boulot. Avec le recul, je pouvais me dire que, fort heureusement, j’avais ce lycée. Sans lui, j’aurais vraiment craqué.

Que restait-il de ma bibliothèque municipale? Quasiment comme 50 ans auparavant. Mais, entre temps, elle était devenue une médiathèque. Très ému, je poussais la porte d’entrée. Des doigts courant sur des claviers ponctuaient le silence. Pas mal de transformation à l’intérieur. Une architecture d’intérieur harmonieuse qui avait su conserver la chaleur et l’intimité de cette ex bibliothèque. Un lieu où tous les âges pouvaient se sentir chez eux.  Toutes sortes d'usagers se côtoyaient. Je peux prendre des photos ?  La bibliothécaire accepta sans hésiter. J'entamais ma promenade entre les rayons.  Fatigué, je me laissais tomber sur un fauteuil. Toujours aussi chouette ma bibliothèque. Monsieur, on va fermer. J’ouvris les yeux. La bibliothécaire me souriait.

Contrairement à d’autres endroits, la cité n’avait pas du tout changé. Même nombre d’immeuble en longueurs et tours ramassés autour  d’une place centrale autrefois avec de nombreux commerces dont une papeterie, un cordonnier et un tabac. La place est toujours commerçante mais avec qu'une boulangerie, une boucherie halal et un vendeur de téléphonie. Plus de pharmacie, de supérette, disparu aussi le centre de santé occupant tout un rez-de-chaussée. Sur le plan social, toujours une population d’origine populaire. Mais une minorité qualifiée de «français de souche». Maghrébins et noirs composaient la majorité de la population. Quelques mètres en contrebas, dans une friche industrielle, s’étendait un camp de roms. Les deux populations, l’une avec un toit plus solide sur sa tête, ne se supportaient pas Une guerre de territoire au quotidien. Haine ordinaire des pauvres entre eux.

Pourtant, la naissance de la  « Cité des Platanes» s'était déroulée sous de bons auspices. Les habitants de la ville, très mal logés, étaient très heureux de pouvoir intégrer cette cité. Fini la bouteille de propane ou les jerricans de mazout à trimballer comme dans les baraquements. Eau et rêves à tous les étages. L'expression d'une vieille femme à la voix étranglée d'émotion, intimidées par le micro. La joie pouvait se lire lors des premiers emménagements. Un bonheur contagieux qui se diffusait des uns aux autres, sans différence de classes sociales ou d’origines géographiques. Cette cite devenue les racines de ses habitants. Tous du même endroit. Que des visages souriant affleurant à la surface de ma mémoire. Une ambiance radieuse.

Rien à voir avec la « Cité des Platanes » version 2015. Ma voiture à peine garée, une bande d’ados s’était approchée de moi. Ils me fouillèrent du regard avant de reprendre leur place dans le square. Sans doute mon âge avancé qui m’avait servi d’ambassadeur dans leur territoire où je pénétrais. Un territoire que j’avais si souvent arpenté. Sur le parking, des carcasses de voitures brûlées récemment côtoyaient d’autres calcinés depuis longtemps.  Rivées sur chaque balcon, les grandes oreilles captant le pire et le meilleur de la planète. Je n’étais pas le bienvenu. Sauf dans le regard des vieux maghrébins et des noirs africains curieux de l’arrivée d’un étranger au quartier; discrets, ils m’accueillirent avec des hochements de tête ou des sourires souvent édentés. Leur accueil me fit chaud au cœur.

Cette électricité dans l’air, constatée dès mon arrivée, était-elle due à un excès de parano ou une réalité ? Sûrement un mélange des deux. Très emmerdé de découvrir que, tout ce que je considérais comme des clichés de journalistes en quête de scoop et de politiques surfant sur la misère, était bel et bien vrai. Sans doute une réalité plus complexe que celle saisi par un regard passager. Cela dit, impossible de me voiler la face. La misère des baraquements avait perduré dans la cité. Les rêves noyés dans l’eau chaude à tous les étages ?

Tu te crois au zoo ou quoi ? Je levais la tête. Une blonde décolorée d’une cinquantaine d’années fumait à son balcon. Je lui expliquais qui j’étais et le but de ma visite. Son visage se figea sur un rictus. Elle fit demi-tour et rentra dans son appartement. Salaud ! Dégage de là !  T’as pas honte de revenir ! Elle me  balança une bassine d’eau. A ce moment là, un homme apparut derrière elle. Il essaya de la calmer. En vain. Elle s’agitait comme une furie en m’agonisant d’injures. Je regagnais rapidement ma voiture et démarrais. Une pierre raya mon pare-brise.

Plus loin dans la ville, je traversais une cité construite également dans les années soixante. Ces trente glorieuses où tout allait bien car, comme on disait : quand le bâtiment va, tout va bien. Contrairement à «ma cité » dont je venais de me faire expulser, celle-ci était très différente. Pas une carcasse de voiture, ni de dépôts d’ordures sauvages. L’atmosphère semblait plus détendue. Je me sentais abattu. Comme si, d’un seul coup, mes utopies d’étudiant, ayant quitté son quartier populaire-sans jamais l’oublier- pour aller étudier,  avait toutes été détruites. Ce monde meilleur que nous voulions construire. Offrir les clefs d’une vie meilleure au plus de citoyens possible. Comme d’autres, j’avais échoué. Un échec collectif. Le bien vivre ensemble réservé qu’à une catégorie de citoyens ?

Mon escapade dura une dizaine de jours. Beaucoup de traces de mon passé à visiter. Ravi d’en revoircertaines, déçus par d’autres. Les années tournaient dans ma tête au rythme des kilomètres. Malgré quelques déceptions,j’avais le sentiment d’une existence bien pleine. Avec évidemment, comme tout un chacun, son cortège de joies, de malheurs, de bonheurs, de lâchetés, d’échecs, de réussites, frustrations… De beaux paysages dans le rétro. Ma mère n’avait pas « travaillé » pour rien en me faisant venir au monde.  Ai-je été à la hauteur du cadeau qu’elle m’avait offert 83 ans plus tôt ? Peu importe ; tout ça sera bientôt au fond des oubliettes. Les crocs, grignotant ma chair, ne vont pas tarder à avoir le dernier mot.  Que restera-t-il?Une poignée de cendres éparpillée dans l'océan. 

Et, ici et là, mon nom gravé sur des façades d’immeubles privés et publics. Mon rêve de gosse réalisé. Ce rêve d’un collégien lisant les noms des architectes sur les façades. Je revois la tête de mon père en lui annonçant mon inscription en archi. La plupart des profs m’avaient décourage de me lancer dans cette voie. Seul notre médecin de famille m'avait fortement encouragé et aidé. L'architecture m'a beaucoup donné. J'espère avoir été à la hauteur de cette profession - aujourd’hui dans un sale état. Avec le recul, je sais que j’ai été un bon architecte. Pas un hasard si je n’ai jamais eu de traversée du désert.

Le visage haineux de la blonde vient polluer mon autosatisfaction. Sa haine était dirigée contre l'architecte de la cité où elle se sentait prisonnière. Jamais pu penser à l'époque que le rêve « des Platanes» se transformerait en cauchemar pour ses habitants. Personne n'avait prévu la ghettoïsation et la violences de certaines cités HLM. Les architectes des grands ensembles, très souvent montrés du doigt, ne sont pas les seuls responsables. Malgré les ratés, je suis fier d’avoir exercé ce très beau métier.  Refaire le tour de plusieurs de mes réalisations m'avait apporté beaucoup de plaisir. La visite de quarante ans de passion.

Des coups sur la vitre me font sursauter. Mon fils et sa compagne sont sur le parking. J’ouvre la portière et sors avec difficultés. Le voyage m’a pompé beaucoup d’énergie. Malgré ma très grande fatigue, je ne regrette pas d’avoir désobéi à ma médecin. C’est pour toi, ça. Il affiche un sourire rassuré en prenant mes clefs de bagnole. Puis, lui et son épouse, m’aident à sortir les bagages du coffre. J’ai du mal à marcher. Mon fils me prend le bras jusqu’au portail.

Comment est bâtie cette maison de retraite?

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