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Billet de blog 23 septembre 2017

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Tournée de silence

Le silence est mon seul alcool depuis une quinzaine d'années. Ici, dans ma maison isolée, je n'en manque jamais. Aucune rupture de stock. Ni l'inquiétude de trouver baissé le rideau de fer du bar ou de l'épicerie. Une tournée de silence à toute heure du jour et de la nuit.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

           Le silence est mon seul alcool depuis une quinzaine d'années. Ici, dans ma maison isolée, je n'en manque jamais. Aucune rupture de stock. Ni l'inquiétude de trouver baissé le rideau de fer du bar ou de l'épicerie. Une tournée de silence à toute heure du jour et de la nuit. Une ivresse que j'ai mis du temps à trouver. Certes différente de celle de l'alcool. Avec néanmoins la même sensation d'être comme hors corps, absente au monde. Plus aucun passé, ni présent et futur. Échappatoire aux morsures du temps et du doute? Sûrement qu'il y a des explications à mon addiction au silence que je ne cherche plus. Tout, du meilleur au pire, n'est pas explicable.

       Le travers de notre époque est-il de chercher une explication à chaque acte ou pensée ? Disséquer chaque mot pour le prendre en flagrant délit de sale pensée ? Ériger des grilles et ouvrir des tiroirs pour tout classer et ranger ? Laissons les explicateurs trouver la réponse chasseuse d'incertitudes. D'une addiction à l'autre. Avec désormais le très gros avantage de l'absence de gueule de bois. Ne pas se demander au réveil quelles conneries on a dites ou faites. Et pas de risque de cirrhose due au silence. Tous bénéfices avec mon nouveau fournisseur d'ivresse.

      J'étais passée d'une zone urbaine à un bled paumé. Le grand écart d'une femme-ville dans le trou du cul du monde. Un trou qu'elle ne veut plus quitter.Tout s'est déroulé très vite. Quelques mois pour solder mon ancienne existence. Ma mère et mes frères et sœurs ont très mal réagi. Aucun n'est venu ici. Et pour cause; je ne leur ai pas donné l'adresse. Nos relations sont essentiellement téléphoniques ou par mail. J'ai dû monter les voir que quatre ou cinq fois à Batreuil. Toujours en coup de vent. La dernière fois pour l'enterrement de ma mère. Ils m'en veulent encore de ma fuite.

           Partir ou plonger dans la folie. Peut-être même une fin violente. J'ai sûrement emporté des échantillons de ma folie dans mes bagages. J'arrive à la tenir en laisse. Elle ne gênerait personne dans ma maison au milieu d'une forêt. Le premier voisin se trouve à deux kms en contrebas : un jeune couple de maraîchers et leurs deux gosses, aussi discrets que je suis solitaire. Dire que je n'avais mis qu'une fois les pieds dans cette grange, quand Bob et moi étions ensemble. Lui y passait des étés à retaper la baraque héritée d'une tante.

           Nous ne partagions pas la même passion pour cette ruine à retaper. «La cambrousse c'est vraiment pas pour moi. Je me ferais chier ici comme une rate morte dans cette maison. Compte pas sur moi pour l'investir. Restons des amants urbains ». Il avait fait la gueule. Pas longtemps, comme à chaque fois. Après sa mort, j'avais décidé de la vendre. Mais, docteur es procrastination, je n'étais pas passée à l'acte. Et tant mieux pour moi. Ce fut ma sortie de secours.

       Tout a basculé une nuit. J'étais alors commissaire de police à Batreuil. Un contrôle de routine dans un bar que je fréquentais hors service. De temps en temps se rappeler à la mémoire des noctambules. J'étais avec mon assistant. Tout se passait très bien. Que les pochetrons habituels repoussant le moment de rentrer. Sauf quand Jacky est sorti des chiottes. Pas un tendre. Son casier judiciaire aussi embouteillé que le pérife aux heures de pointe. Il avait purgé plusieurs peines de prison pour violences et braquages à mains armées. « Je nique les condés!»Il était sorti à toute vitesse. Je l'ai coincé à quelques mètres du bar.

       Il a soudain porté la main sous son blouson. « Je vais te fumer, connasse de condé !». J'ai tiré. Une balle dans le ventre. Il s'écroula sur le trottoir. Son arme tomba à côté de lui: un étui à lunettes. Disparu le rictus du gros dur. Plus qu'un gosse de vingt cinq ans appelant sa maman. Un pochetron du comptoir, ancien secouriste, lui fit un point de compression. Le Samu arriva quelques minutes après. Il mourut au milieu de  la nuit.

        Le drame évité sans alcool dans mon sang ? Aurais-je vu un étui à lunettes? Difficile à dire. Dans tous les cas, j'étais en tort. Mon assistant, seul à savoir que j'avais picolé ce soir là, ne me balança pas. Et les clients, ayant entendu la menace et vu le geste de Jacky, témoignèrent en ma faveur. Ma hiérarchie ne me lâcha pas non plus. J'obtins un non lieu. «Quand un flic tue un arabe ou un noir, on brûle des bagnoles dans les banlieues et les associations appellent à des manifestations. Mais quand une flic d'origine maghrébine tue un blanc, pas beaucoup qui l'ouvre pour protester. C'est pourtant une bavure anti-blanc. ». Début du harcèlement.

           Bien évidemment, l'extrême-droite et tous les fachos encartés ou pas se frottèrent les mains, heureux d'avoir du grain haineux à moudre. Ils n'avaient pas entièrement tort: la plupart des associations contre les violences policières se mobilisèrent avec moins de bruit que d'habitude.Comme gênées par cette configuration. Déstabilisées car la victime et l'auteur de la bavure ne correspondaient pas aux critères habituels? Le mur de mon immeuble fut tagué d'insultes. Ma boîte aux lettres devenue une déchetterie sauvage.

      Une fuite à cause de la pression? Non. On m'avait muté dans un autre département. Il suffisait de déménager. Laisser le temps et le fil de l'actualité faire leur travail d' effaçage. Qui pouvait effacer le regard de ce gosse? Personne. Son dernier regard avant de tomber dans les pommes c'était le mien. Alors qu'il cherchait celui de sa mère. Contrairement aux insultes du père et des frères de Jacky, elle ne m’avait pas adressé un mot durant le procès; son regard glacial posé en permanence sur moi. Les insultes, l'éloignement de certains collègues et proches, la gêne des voisins, des amitiés perdues... Tout ça n'était rien en comparaison des yeux de Jacky.

           Son dernier regard me hantait dès le matin et m'expulsait de mes nuits. Je revivais sans cesse la scène.« Faut que tu décroches complètement de la picole et de la police. Sinon, tu vas faire une grosse connerie. Sur toi ou quelqu'un d'autre.». Mon assistant, que j'avais surnommé « le caniche rêvant d'être caniche à la place du caniche», m'avait invitée à déjeuner. Une première pour un type aussi radin; sur le fric et tout le reste. Ce jour là, il n'avait pas sorti ses dents rayant le parquet, ni sa leçon de déontologie à chaque entorse au règlement. Je le sentais sincère. Il avait encore oublié sa carte bleue.

            Après l'avoir quitté, je marchais un long moment. Au hasard des rues qui me tendaient les bras. Ce soir là ,je décidais de quitter la police, partir vivre dans la grange de Michel, et de ne plus boire une goutte d'alcool. Le plus dur finalement fut de lâcher ma famille. Elle m'avait beaucoup soutenue. Ma mère, à cours d'arguments, se servit de son cœur usé en guise de chantage. En vain, pour une fois.

       J'avais débarqué à la grange avec un an de fric devant moi. Par quoi commencer? Très vite, j'ai repris et continué les travaux en cours de Michel. Une activité qui permit de vider ma tête; sauf de son regard. Je me lançais aussi, un rêve de gosse jamais réalisée, dans la confection de petites sculptures. Sculptant fébrilement avec tout ce qui me tombait sous la main: matériaux offerts par la nature ou et toutes sortes d' «objets non biodégradables» glanés au bord des routes. Mon arrivée dans le village ne passa pas inaperçue.

       Espionnée et testée. Ils comprirent rapidement que je n'étais pas venue pour me faire de nouveaux amis. Ni de nouveaux ennemis. Mon entêtement à retaper toute seule la grange força le respect des hommes, notamment des anciens très respectueux de l'huile de coude. Aujourd'hui, ils doivent penser que je suis complètement siphonnée mais me foutent une paix royale. La trouille de la sorcière basanée? Quelqu'un parmi eux, le facteur ou quelqu'un d'autre, a-t-il tapé mon nom sur Google? Peut-être mais sans aucune conséquence sur ma solitude. Peinarde dans mon antre.

     Entre temps, j'ai croisé une galeriste en vacances. Nous avions lié connaissance à la terrasse du bar du village. La seule, avec les charpentiers, à être entrée chez moi. Mes sculptures lui ont plu. Elle les vend dans sa galerie de bord de mer. Ça m'a sorti du RSA. Née dans la misère, j'ai réussi à devenir pauvre. Mes petites sculptures, en plus de plaire à quelques touristes, ont attiré l’œil et la plume de quelques journalistes. « Même mes voisins fermiers ne sont pas au courant que je sculpte.Surtout ne donne pas mon vrai nom à la presse, ni à qui que ce soit d'autre. Tu es la seule qui doit le savoir. Je veux rester incognito. ». Elle avait froncé les sourcils.

         « Mais pourquoi tu ne veux pas sortir de l'anonymat? Tu imagines la com qu'on ferait en dévoilant la véritable identité de «Rufins » ? Et de ta trajectoire très atypique. Faut pas en avoir honte. Ce drame fait partie de ta vie. En parler publiquement te libérerait sans doute. Tu n'est plus celle que tu as été. Aujourd'hui, tu es une artiste. Très bonne artiste. Faut absolument que tu reprennes confiance en toi. Laisse le passé juger le passé. ». J'ai allumé une cigarette et fumé sans la regarder. Elle continuait son argumentaire. Persuadée de m'allécher avec le fric et des miettes de gloire. Je l'avais regardée droit dans les yeux.« Si tu fais ça, j'arrête tout. Tu as compris: tout!». Elle m'avait dévisagée. Très déçue de mon entêtement à vouloir restée cachée. Elle avait compris.

       Quatre ans que je vivotais de mes sculptures. La galeriste débarquait une fois par an pour emporter ma production. Une femme honnête qui me réglait rubis sur l'ongle. Sans cesser, quasiment à chacune de nos conversations, de me relancer pour me convaincre de sortir de l'anonymat. Même refus buté. Je regrettais de lui avoir racontée mon histoire. Ma sale histoire. Pour le RIB, ainsi que toutes les autres tracasseries administratives, je devais lui donner ma véritable identité. Il lui aurait suffi de me googliser pour tout apprendre. Le virtuel ne fait pas de cadeau avec son passé. J'ai préféré tout mettre sur table. Elle m'a promis de rien dire. Et je lui fais confiance. Tout allait bien. Excepté le regard de mon fantôme très fidèle. Rongée de culpabilité mais encore vivante. Abritée par ma solitude.

       Jusqu'à l'arrivée de ce type. Visiblement tombée en panne dans la longue descente vers le village. La nuit commençait à tomber. Je l'avais observé du pigeonnier. La tête dans son capot sous la neige. Plusieurs jours qu'il neigeait. Tant pis pour lui, m'étais-je dit en rangeant mes jumelles. Quelqu'un d'autre lui filera un coup de mains. Je me rappelais alors que les fermiers étaient partis deux jours. Personne d'autre donc pour pouvoir le dépanner. Je finis par prendre une torche et descendre jusqu'à lui.

          L'automobiliste égaré devait avoir une trentaine d'années. « Je comprends pas ce qui s'est passé.. J'avais le GPS et puis plus rien du tout. Et en plus le démarreur qui bloque.». Encore un naufragé du réseau. Comme pour les champignons, il y a les coins à réseau. Lui indiquer? Aucun dépanneur ne se risquerait jusque là avec cette neige en pleine nuit. Le larguer là et remonter me remettre au chaud? « Je vous héberge pour la nuit. Dès demain, je vous expliquerai comment appeler d'ici pour une dépanneuse.». Il afficha un large sourire. Une grimace sur mon visage en écho. Nous remontâmes le chemin. Rarement entendu un tel  bavard.

     Je ne répondis à aucune de ses nombreuses questions. Me contentant de parler pour lui montrer où il allait se pieuter et la salle de bains. « On partage les restes de ce midi.». Son sourire me gêna. Je baissai les yeux pour qu'il ne lise pas dans mon regard. Combien de temps sans toucher le corps d'un homme? Au moins six ou sept ans. Quand l'envie était trop pressante, je descendais en ville pour un rendez-vous dans un hôtel. Jamais le même homme pour varier les plaisirs. Mais, à chacun de mes retours chez moi, j'avais comme une espèce de frustration: envie d'avoir un corps contre moi, dans ma chambre. Me réveiller dans des bras sans avoir envie de fuir, partager un déjeuner à rallonges avec un homme. Pas qu'un coup vite fait dégoté sur le Net. J'ai finalement opté pour me satisfaire toute seule; le visage de Michel revient souvent. Parfois aussi celui d'un homme croisé au supermarché ou vu sur l'écran. L'alcool ne me manque plus du tout. Contrairement au sexe.

    À peine étais-je dans ma chambre qu'il se mit à fureter. Je le laissais faire et, pieds nus, je revins dans le salon. « On a perdu quelque chose jeune homme?». J'allumai la lumière. « Je... je.». Il était blême. Immobile devant la commode, des dossiers à la main. « Qui tu es pour de vrai monsieur le faux en panne étudiant en histoire? ». Il haussa les épaules.Je m'attablais et l'invitais d'un geste à m'imiter. « En fait, je ne suis pas étudiant. Je suis journaliste. Dans la rubrique culture du journal régional. Et je voulais écrire un article sur les sculptures de «Rufins ». La galeriste m'a reçu. Très chaleureuse mais super gênée. À un moment, elle est allée répondre au téléphone au fond de la galerie. J'en ai profité pour fouiller son téléphone portable. A R, il y avait Rufins et votre vrai nom. Voilà pourquoi, je...». Je le fixais froidement. Il baissa les yeux et commença à essorer ses mains sur la table. « Donc, tu sais tout de ce qui s'est passé?». Il hocha la tête. «Oui. ». Finie ma tranquillité.

    Quitter la grange? Remonter à Paris ou Batreuil? Une autre ville? Hors de question. Trop addictive au silence. « Tu vas me balancer alors? Nassima Benarous, qui avait défrayé la chronique en commettant une bavure, s'est recyclée dans la sculpture. Elle vit comme une ermite au cœur d'une forêt. Avec ça, le buzz assuré.». Il secoua l'index. « Ne dis pas non ! Vous, les journalistes, vous savez bien que le buzz est ce qui vous fait vivre. Trop de concurrence sur le marché de la pige. Faut se battre pour avoir des clics, des retweet, des followers... Le plus fort en buzz est apprécié de ses patrons et peut remplir le frigo. La presse ne vit plus que de la course au buzz. ». Il cogna du poing sur la table. Un geste que je n'imaginais pas chez ce jeune homme de bonne famille. « Pas du tout! C'est une caricature. Comme de dire que... tous les flics sont des pourris.». Touchée, coulée.

            Pas besoin d'en dire plus. Il avait raison. J'avais sorti l'argument facile si détesté dans la bouche des autres. « Mais là où vous avez raison : un papier sur «Rufins » me permettrait de peser plus dans la rédaction. Surtout que vos sculptures, vous le savez mieux que moi, commencent à être très cotées.». Je m'en doutais au nombre de zéros en plus sur les virements. Bientôt une paye de commissaire avec mes babioles? Au fond, peu m'importait d'être cotée ou pas. Se la jouer artiste maudite? Si c'est le cas, il ne s'agit pas d'une volonté délibérée. Juste une ancienne flic qui tente d'échapper à ses pires démons. Mon seul objectif est de continuer de me soûler de silence. Anesthésier le fantôme dans mon atelier.

    Comment réagir? Je ne pouvais pas l'empêcher d'écrire son article. Trop heureux de faire le buzz. Même si c'est une vieille histoire, les réseaux sociaux vont s'en donner à clic joie. Surtout la fachosphère très en pointe sur la haine. Le passé va évidemment remonter jusqu'à moi. Replonger dans l'alcool ? Un ex-alcoolo, comme l'écrivait Raymond Carver, est juste un alcoolique non pratiquant. Les années d'abstinence ne comblent pas ma fêlure toujours ouverte. La trouille. J'avais la trouille du retour de la nuit carnivore. Pourquoi la galeriste avait-elle besoin de mettre mon nom sur son portable? Elle qui m'avait balancée? « C'est ma galeriste qui t'a refilé le tuyau?». Il secoua la tête. « Non.». Sur ce coup là, il n'avait pas l'air de baratiner. Bientôt l'implosion de ma nouvelle histoire?

     Il but une gorgée de café. « Aucun souci. Je ne divulguerai pas votre adresse. J'ai effacé la buée sur la vitre de la fenêtre du salon. Le jour pointait ses lumières. « Tant qu'à faire ; autant régler toutes les ardoises. Définitivement. Je vais tout te raconter, dans les détails. Et tu vas écrire un bouquin.». Il manqua de s'étouffer. « Mais moi... Je ne sais pas faire. ». J'ai poussé un soupir. « Et tu crois que moi je sais raconter ma putain de vie. Tu es venu jusqu'ici. Faut que tu assumes maintenant. Et joue pas les petits bras, mon gars. En plus, écrire le bouquin ne t'empêche pas d'écrire ton article. ». Je m'étais retourné. Il affichait un large sourire.

     Depuis un an, nous nous voyons environ un week-end sur deux. Le livre avance. Il a une bonne plume. Son défaut est de toujours trop vouloir enjoliver la boue. Les mots trop crus semblent lui faire peur. Parfois, il veut rajouter une dose de sexe et violence- toujours écrit softement- là où il n'y en a pas, uniquement pour attirer le lecteur. Nous ne cessons de polémiquer. Lui est pressé de boucler le texte pour l'envoyer un éditeur. Pas moi. Par trouille? Sans doute en partie. Toutefois il m'importe que ce texte, au-delà de ma propre expérience de femme issue de l'immigration, commissaire de police, libre de corps et d'esprit (sain par intermittence), soit aussi le reflet d'une période de notre pays. Ces années 90 où tout avait commencé à basculer sous nos yeux...

           Jusqu'à ce que des gosses se fassent exploser dans des lieux publics. Et que la religion veulent décider du vêtement des femmes et s'immiscer sous la couette des citoyennes et citoyens. Comment en sommes-nous arrivés à une telle marche arrière? Comprendre pourquoi notre pays des lumières est attaquée par l'obscurité intégriste et identitaire? Voilà que j'intègre le clan des explicateurs.

    Il poussa un soupir. «On va surtout axer sur la petite beurette qui s'est battue pour devenir commissaire de police; la presse raffole de ce genre d'histoire. La beurette, le beur ou le black, brisant le carcan du déterminisme, est devenu le nouveau conte à la mode. Les cendrillons basanés de cité populaires. Puis on rajoutera l'alcool et la bavure. Pour conclure par ta fuite et ta résurrection dans l'art. Vraiment pas bon du tout la critique sociale que tu veux rajouter. Si tu veux être lue par le plus grand nombre de lecteurs, ne colle surtout pas ce genre de réflexions au fil du texte. Laisse cet aspect là aux sociologues dont c'est le boulot. ». Pourquoi me confinait-ils à cette image clef en mains de la beurette battante ou perdante collée à des générations de jeunes filles? Encore des raccourcis de politiques ou de publicistes. Comme si l'histoire d'une femme ou d'un homme pouvait se résumer à une formule. A quoi bon lui dire ? Je vais le laisser faire. Il a l'air d'être efficace. En tout cas sûrement plus que moi, guère douée pour la communication. Peut-être que c'est lui qui a raison?

     Je lui ai dit que j'étais d'accord pour se concentrer sur la trajectoire d'une femme qui, à 54 ans, continue de se battre pour être libre. Une bagarre solitaire et universelle pour échapper à tous les asservissements, visibles ou pas, et inventer sa vie. Pas celle qu'on veut lui imposer. Maîtresse le plus possible de son histoire. « Tu prends encore un mauvais angle avec ce truc de solitaire et universelle. Pas de la poésie qu'on fait. C'est un témoignage.». Je ne sais plus quoi penser. Ce texte verra-t-il le jour? Ce n'est pas si pressé.

    Rien de plus urgent que le silence?

    NB) Cette fiction est inspirée de Nassima Benarous: un  de mes personnages apparu dans deux romans. Une commissaire de police en banlieue parisienne dans les années90. J'ai eu envie de la faire revivre le temps d'une nouvelle.

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