En mémoire de Stephane Rozen, mon frangin qui m'a fait découvrir « Le Guide des égarés »...
« La réponse est le malheur de la question. »
Maurice Blanchot
Ne pas savoir semble être devenu un luxe. De moins en moins d’individus ne sachant pas. Il suffit d’un clic sur tel ou tel moteur de recherche et, en à peine quelques secondes, on peut obtenir la ou les réponses à la question posée. Sans avoir eu à la chercher. Le moteur à trouver s’occupe de tout à votre place. Il est capable d’offrir un savoir que d’autres mettaient auparavant des décennies à obtenir. Voire même toute une vie d'étude. Parfois disparaissant avant d’avoir pu goûter le fruit de leur recherche. Ce n’est plus du tout le cas. Savoir est banal. Très facile d'accès.
Certains, surtout les anti-numériques primaires, diraient que ce n’est pas du savoir. Ont-ils raison ou tort. Retour au dico. Pour proposer une des définitions du mot savoir : Ensemble cohérent de connaissances acquises au contact de la réalité ou par l'étude. En effet, pas tout à fait le cas avec le moteur de recherche. À moins que le frottement des doigts contre le clavier soit considéré comme un contact avec la réalité, et l’étude, assimilée à la lecture de toutes les réponses proposés par le moteur. Force est de constater que les anti-numériques primaires n’ont pas entièrement tort. Mais le monde a changé. Et le savoir est offert en ligne.
Sans la moindre discrimination. Suffit de pouvoir se connecter au réseau. C’est un très grand progrès. Partout, sur la planète, on peut se promener dans une immense bibliothèque. Avec la possibilité de consulter toutes les sortes de données et de documents. Se plonger dans l’étude de sujets de domaines très différents. En plus, une étude à tout moment du jour et de la nuit. La possibilité de se faire livrer à domicile quasiment tout le savoir de l’humanité. Un incroyable voyage immobile. C’est au fond, une très bonne nouvelle. L’accès au savoir n’est plus du tout réservée à une élite. Le fameux « élitaire pour tous » de Jean Vilar atteint grâce au moteur de recherche ?
Beaucoup de boue sur la toile ? C’est vrai. Indéniable que c’est un lieu où le pire de notre espèce se lâche. Sans discrimination de classe, de couleur de peau, de religion, de sexe, de niveau intellectuel… Le Net rend-il aussi cons que la bagnole ? Certains piétons charmants se transformant en boule de haine dès qu’ils se trouvent derrière leur volant. Pas de raison que la toile échappe à ce phénomène. Pour éviter ce lâchage, devons-nous interdire la voiture et le numérique ? C’est impossible. Et tant mieux. Les deux sont de très bons outils. Dont on ne plus se passer. Même si l’un et l’autre peuvent influer sur des personnalités plus ou moins fragiles. Une fragilité psychologique qui s’exprimerait sans doute par ailleurs. L’outil est donc moins un souci que son utilisateur.
Le savoir est aujourd'hui une route très balisée. Impossible de se perdre. Ici et là, des algorithmes font office de GPS. Pour ne jamais s’égarer. Quoi ? Qu’est-ce que vous dîtes ? Pas du tout d’accord avec vous, messieurs et dames motrices de recherche. Peut-être pas comme ça qu’on vous nomme, mais je ne sais pas tout. Et c’est justement de ça que je voulais vous parler. Qui parle ? D’où vient cette étrange voix ? C’est celle de Nahman de Bratslav . Perturbé dans sa sieste éternelle. Son mot d’ordre ( désordre?) était : « Ne demande jamais ton chemin à quelqu'un qui le connaît, car tu ne pourrais pas t'égarer ! ». Le contraire de notre ère. Toujours à demander sa route à tel ou tel moteur de recherche. Même parfois pendant les repas. De moins en moins l’occasion de ne pas savoir. Et pouvoir s’égarer en Terra incognita .
Rassurez-vous, cher Nahman de Bratslav, il y a encore des voies non balisées. Avec plus d’interrogations flottantes que de certitudes immédiates. Même si ces voies d’égarement sont de plus en plus difficiles à trouver. Fort heureusement, elles n’ont pas toutes disparu dans la balisation généralisée. Et tout à fait possible de pouvoir s'y engager. Des exemples de voies d’égarement ? Elles sont… Désolé mais je ne peux vous transmettre les coordonnées. Pourquoi ? Elles seront aussitôt géolocalisées et finiront en « autoroute à réponses à tout ». Comment atteindre alors ces voies ?
En empruntant la question.