Faire. Le verbe principal de l'espoir. Contrairement au désespoir qui ne fait pas. Il n’ouvre jamais aucun chantier. Si ce n’est de désespérer. Avec discrétion ou grand bruit. La majorité des désespérés ne cherchent pas à défaire. Se contentant de ne pas construire. Pour eux, demain et l’horizon sont morts. La fin au cœur de chaque seconde. Inutile donc de s’échiner à construire ce qui porte en lui sa destruction programmée. Préférant ne pas ou ne plus lever le petit doigt. Attendre sans un geste la fin de leur histoire. Et de celle du monde. Toutefois certains désespérés haineux cultivent la politique de la terre brûlée. Cherchant à détruire toute trace d’espoir. Avec la volonté de polluer toute source de joie. Entraîner le monde entier dans leur absence d’horizon. Avec à la clef la mort du désir. Fort heureusement une minorité de désespérés.
En ce moment, le verbe espérer n’est pas beaucoup dérangé. Il pourrait ne rien faire. Rester bras croises et annoncer le pire à venir. Imiter le désespoir. Mais ce n'est pas dans son ADN. Il ne peut rester immobile et confiné dans le constat. Besoin de faire. Tout ça malgré tout ce qu'il entend à son sujet. Souvent le mot espoir est prononcé à mi-voix. Pour ne pas être entendu. J'espère mais ça reste entre nous. Honte de passer pour naïf ? Vouloir rester du côté de la majorité qui désespère ? Parce qu’on n'y croit pas vraiment à ce verbe ? Sans doute plusieurs raisons mêlées. Indéniable que l’espoir n’est pas ce qui circule le plus en ce moment. Peu d’images et d’éléments pour l’alimenter et le défendre. Alors que le désespoir à une table ouverte et fourni du réveil au coucher. Ne manquant de rien. Alors que l’espoir fait souvent maigre. Mais il refuse de basculer dans l’autre camp.
Comment reconnaître l’espoir ? C’est l’infirmière de nuit qui sort de l’hôpital. Elle gagne à petits pas sa voiture. Elle est garée juste à côté du véhicule de la femme de ménage arrivée à l’aube. À l’étage, l’interne de nuit passe le relais à celui du jour. Deux rues loin, un instit est arrivé à vélo. La directrice de l'école a préparé le café pour l’équipe. Plus loin en périphérie de la ville, un commandant de bord annonce le décollage d’un avion pour l’autre bout du monde. Une hôtesse de l'air rassure un passager stressé. Au-dessous de l'avion, les éboueurs font leur dernière tournée. Un homme grimpe vers le ciel encore teinté de nuit. C’est le grutier. Face à lui plus bas, une fenêtre restée allumée tout la nuit. Une silhouette rivée à son écran. C’est la poétesse. Elle vient de finir son poème. Mais insatisfaite: encore du boulot sur la langue. Elle ouvre la fenêtre. L’air frais lui picote les joues. La boulangère remonte son rideau de fer. L’informaticien du troisième démarre son scooter. Un chauffeur de taxi pose son dernier client. Une prof de collège pousse la porte d’une salle de classe.
Ce sont les multiples visages de l’espoir. Il y en a beaucoup d’autres. Du bas en haut de l’échelle. Toutes ces petites et grandes mains construisant jour et nuit. Ce qu’elles savent faire. Et avec leurs outils. Chacun de leurs gestes est de leurs actes recèle une ou plusieurs digues. Contre quoi ? Une menace qui progresse de plus en plus. Envahissant de plus en plus d’espace dans le monde. Et même sous notre peau. Quel est cet ennemi à repousser le plus possible ? Le désespoir. Ne pas se protéger que du haineux cherchant à tout détruire. Mais aussi l’autre désespoir. Certes pas haineux. Ni violent. Jamais à chercher à défaire. Pourquoi alors le maintenir aussi à distance ? Car il est contagieux. Un virus très bien propagé. Avec des voix, ici ou là, qui en font la promotion. De quelle façon ? En balançant des images sombres du lever au coucher. Avec une devise : désespérer pour mieux diviser. Le désespoir, est-il le virus le plus dangereux de l’humanité ?
L’espoir n’a pas le temps de répondre. Ni d’y penser. D’abord faire. Avec les mains et la tête. Sans oublier le cœur. L'espoir fait pour qui ? Lui. Besoin de construire pour se sentir utile. Il fait aussi pour l’autre. Une construction pour le présent. Mais aussi pour les générations futures. Tenter de transmettre un monde moins pourri qu’on ne l’a reçu. Sacrée gageure. Mais l’espoir s’en sent capable. Et comme il répète : pas d’autres solutions que de trouver de nouvelles solutions. Construire. Encore construire.
Même si le désespoir finit par se pointer sur le chantier. Pour remettre chaque fois le boulot en cause. Voire même le saboter. Grand soupir de découragement.de l'espoir. Il ôte son casque et se laisse tomber sur un siège. Abattu. Autant tout laisser tomber. Pourquoi construire ce qui peut être détruit en quelques secondes par une fake news, la parole de haine et de division d’un politique ou animateur-influenceur des médias, un coup de couteau, une rafale d’arme automatique, une bombe... ? Tout est foutu. Plus qu'une seule solution: rejoindre le parti du désespoir. Hors de question, répond en écho une main. Puis deux autres. Elles sortent de partout. Une forêt de mains qui baissent parfois les bras. Mais chaque fois le même trajet.
Revenir au chantier.