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Des solitudes reliées. C'est ce que nous sommes. Chaque histoire avec ses racines uniques. Même si nous avons des points en commun. Dont d'être des témoins muets. Tous, du plus petit au plus grand, logés à la même enseigne. Notre parole est inaudible. Sauf entre nous. Et si notre voix s’entendait ?
Sûr que personne ne s’en soucierait. Excepté peut-être certaines oreilles, ici ou là. Et quelques bouches avec encore le pouvoir de s’indigner. Pas plus de possibilités d’action. Certes déjà beaucoup de continuer de s’indigner. Mais sans grand effet sur la réalité. Et ce qui se tisse aujourd’hui sur la toile contemporaine. Un labyrinthe de fils sombres sous nos regards immobiles.
L’urgence ne se rapproche plus. Elle a désormais élu domicile ici. Chaque jour encore plus présente. Incontournable. Une urgence qui fait désormais partie du décor. A tel point qu’on y fait même plus attention. Alors qu’elle est porteuse de la catastrophe à venir. Le monde entier le sait. La chaos habite notre présent. Sans que rien ne change. Ni que nous agissions.
Pourtant, nous sommes très nombreux. Une foule d’individus uniques. Vivant dans des villes et des villages. De la ruelle à la grande avenue. En zone urbaine très dense ou au fin fond d’un territoire paumé. À la montagne ou au bord de la mer. Du Nord au Sud. Partout sur la surface du globe.
Une cohabitation en petit ou grand groupe. La plupart du temps, nous nous regroupons entre semblables. Sans toutefois refuser l’arrivée d’étrangers dans notre communauté établie. Selon les époques, l’intégration se fait plus ou moins bien. Mais nous sommes toujours prêts à l’accueil du différent. Ouverts à l’autre. Parmi nous, il y aussi des solitaires. Vivant à l'abri des regards.
Faire entendre notre parole ? J’en rêve souvent. Pas le seul à vouloir être au moins entendu. Dire ce qu’on sait. Raconter tout ce qu’on a vu. Et vécu tout au long de notre existence. Chacun de nous a des d’informations à transmettre. Si bien sûr il le souhaite. De la petite anecdote à la transmission d'une haute importance. Tant de petites et grandes histoires du monde en attente d’être dites. Confinées notamment au cœur de nos plus anciens.
Quelques-uns sont érodés par les saisons. Néanmoins encore debout et vivants. Des mémoires enracinées. Très en profondeur. Elles abritent des secrets plus vieux que le vent. Tout ce que savent les anciens. Eux aussi, depuis bien longtemps, sont assignés au silence. Se taire. Un silence parfois extrêmement âgé. Ils se taisent depuis toujours. Des spectateurs muets du désastre. Et impuissants. Sur une planète devenue folle. Vaste déchetterie en orbite.
Les destructeurs - les plus puissants - ne sont pas nombreux. Une poignée disséminée sur la terre. Loin les uns des autres, mais en contact. Surtout quand leurs intérêts convergent. Ils peuvent aussi se détruire entre eux. Toujours par populations interposées. Une destruction sans la moindre goutte de sang sur les mains. Puis ils finissent par signer des accords.
Pour un nouveau partage du monde. Avec bien sûr les plus grosses parts aux puissants - encore plus puissants. Rien n’a changé. Si ce ne sont de nouvelles frontières. Et le nombre de morts sur des champs de bataille. Ou la désolation sur des lieux asphyxiés par le « toujours plus » qui étouffe peu à peu aujourd’hui et demain. Entre temps, ils se sont réconciliés.
Contrairement aux populations sur le terrain de la destruction. Même après les conflits, beaucoup de part et d’autre continuent de se détester. Quelques fois, sans savoir pourquoi. Une haine juste par habitude. Prêts à repartir pour l’horreur. Une foule destructrice sans puissance. Programmée à haïr le « pas d’ici », avant d’aller remplir son caddie. Une foule qui obéit au doigt et à l’écran.
Laisse tomber, me dit-on. Souvent la voix des aînés. Ils pensent que je perds mon temps. Même les plus forts d’entre nous ne peuvent rien, me répète mon plus proche voisin. Un géant qui se trouve à une centaine de mètres. Avec d’autres dans une très belle et grande propriété. Ils ont beaucoup d’espace.
Ce qui n’est pas du tout mon cas. Mon domicile se situe sur un tout petit territoire. Quelques mètres carrés qui peuvent paraître ridicule. Un mouchoir de terre par rapport aux lieux où vivent mes voisins et amis. Mais pour rien au monde, je n’échangerai ma place. Trop bien sur ma parcelle sous le ciel.
Je ne suis jamais seul. Toujours quelqu’un qui passe. À pied, à vélo, en voiture. Du matin au soir. Et même en pleine nuit. Je ne comprends pas comment tu fais avec tout ce mouvement et boucan, me dit mon plus vieux ami du coin. Il se trouve sur les coteaux, dans une maison isolée. Avec de très rares visites. Pour moi, ce serait la déprime. J’ai besoin d’effervescence.
Vivre au centre d’un mouvement permanent. Faut que ça bouge autour de moi. Je suis très heureux depuis mon arrivée. C’est mon quatrième automne ici. J’espère rester le plus longtemps possible. Jusqu’à la fin de mon histoire. Même si je suis devenu invisible. Rien à voir avec le jour de mon installation. Aujourd’hui, je ne pèse rien. Que ma parole d’habitant muet.
L’arbre du rond-point.