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Printemps 2044
J'avais deux jours. Ma mère, mon père, et ma sœur, se trouvaient dans le même hôpital que moi.Tous les trois à l’étage où l’on rangeait les morts. En attente de leur mise en terre. J'étais une petite boule de chair en suspens. Mon souffle allait et venait entre des mains inconnues.
Jour après nuit, des hommes et des femmes, se sont penchés sur mon corps. Pour l'arracher aux griffes de la nuit sans fin. Mort ? Vivant ? Mort ? Chaque fois, la même question, pour les mains. Elles m'ont offert la réponse. Des mains gagnantes. Plus fortes que la mort. Et les bombes.
Des mains mortes de trouille Des mains amputées d’ êtres chers. Je ne les ai pas vues. Je ne connais pas leur nom. Leurs gestes gravés dans la mémoire de ma chair. Des mains sous une pluie de bombes.
Je ne savais pas encore. Les mains le savaient. J’étais arrivé sur terre, en enfer. Sous une cloche plastique. Mon premier abri, contre la folie du monde
Aujourd’hui, j’ai vingt ans. Accompagné de trois fantômes. Les venger ? Ma réaction quand j’ai su. Prendre les armes. Pour tous les détruire. Du nouveau né au vieillard. La vengeance pour ne plus penser. Passer à l’acte. Ne plus subir. Rendre coup pour coup. Sang pour sang
Un homme est venu me voir. Nous avons parlé. Il connaissait mon histoire. J’ai lu ses yeux. Le regard du fantôme. Son épouse m'a souri. Le sourire de la fantôme.Leurs enfants m’ont dit « viens jouer avec nous ». Première fois que je me sentais aussi bien. Dans ma famille de rechange.
L’homme m’a dit prend cette arme. Je l’ai prise. Il m’a parlé.Je l’ai écouté. Les paroles du fantôme. Ce que m’aurait dit un autre homme… Ses mots me confortaient. Ils habillaient mon vide. J’avais un but. Une direction dans ma nuit
Il m’a formé. À 15 ans, j’étais prêt au combat. Faut que tu ailles là. Je l’ai regardé. Deux hommes en un. Il m’a tapé sur l’épaule. J’ai été à la gare. Une arme dans la poche. Et des explosifs dans mon sac. Trois fantômes à mes côtés. Et ma famille de rechange.
Un homme s’est assis dans le train. Il m’a parlé. Je l’ai écouté.Né aussi dans un autre enfer. Je ne l’ai pas cru.Il a parlé encore. Je ne le croyais toujours pas. Il a sorti son portable. Penché sans un mot sur l’écran.
Il m’a montré une photo.
Je l’ai cru
Où vas-tu, jeune homme ?
Il a froncé les sourcils.
Raconte-moi.
Le double du fantôme ?
Raconte-toi.
Sa voix était douce.
Son visage glacé.
Ses yeux couleur nuit
Garde le silence, si c’est ton choix.
Il a regardé le paysage.
J’ai baissé la tête
Pourquoi lui avoir dit ? La « jouer dur » ? Lui dire moi aussi je viens de l’enfer Je n’ai toujours pas la réponse.. Les mots avaient jailli. Comme d’un volcan sous ma peau.
Éruption de tous mes silences
Lève la tête
Je me suis redressé lentement
Regarde
Il m’a montré ses mains
C’est toi qui choisis.
Je n’ai pas compris.
Du sang ou non sur tes mains ?
J’ai regardé l’heure. Un sourire sur mes lèvres. Enfin passer à l’acte. Bientôt, ils seront vengés
Des mains t’ont sauvé
Pourquoi il me disait ça ?
J’avais mal à la tête. Le ventre dur comme du fer. Fallait que ça finisse.Vite. Sortir toute la haine de mon corps
Il m’a tendu une carte de visite.
Avant de choisir pour tes mains, viens me voir
Le train s’est arrêté. Je suis descendu. Sans un regard pour l’homme.
Sa carte balancée dans une poubelle
Le train est reparti.
J’ai marché vite. Pressé. Payer ma dette à mes fantômes. Plus que quelques mètres. La mort viendra. C’est moi qui la donnera. La mort pour les descendants des assassins. Eux aussi connaîtront l’enfer. Comme les miens.
Viens me voir.
Non
Pourquoi ?
Faut que je les venge.
Et d’autres vengeront ceux que tu auras tués.
Ils ont commencé.
Et toi, tu continues
Laissez-moi.
Viens me voir.
Ses mots tournaient en moi à chaque pas. Mais j’avais une mission. Impossible de faire autrement. Il le fallait.Pour ma mère.Pour mon père. Pour ma sœur.
Il le...
Viens me voir
Non.
Pourquoi ?
J’ai choisi pour mes mains.
Viens me voir à l’hôpital où je travaille.
Non.
J’ai marché vers mon but. Plein de gens dans la rue. J’ai regardé le ciel. Rien ne viendra tuer mes trois fantômes. Ni leur fils et frère. Un grand jour pour nous.
Viens me voir.
Je me suis arrêté.
C'est toi qui choisis.
J'ai regardé mes mains.
NB : Ce texte est inspiré d'un fait réel et récent. Aujourd’hui, la réalité quotidienne dans plusieurs pays.Que deviendront ces gosses nés dans l’enfer ? Un enfer que notre époque a laissé s’installer. Aucun de ces gosses n’est responsable de la folie des dirigeants de la planète, ni de notre impuissance à nous la majorité ? Leur vie à jamais meurtri. Se venger ? Tenter d'oublier pour vivre ?
Que feront-ils de leurs mains ?