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« Ventre affamé n'a point d'oreilles. » L'origine de ce proverbe remonte à l'Antiquité ; Caton l'Ancien aurait dit : « Difficile est cum ventre disputare, nam caret auribus » (Il est difficile de discuter avec le ventre, car il n'a pas d'oreilles.)
La haine est une colère qui a perdu la raison. Pas dans tous les cas. Parfois, elle n’est pas passée par la case colère. Et non plus par celle de la raison. Un sujet fort complexe qui ne peut être que survolé par un billet d’humeur. Néanmoins, une chose est sûre ; quelle qu’elle soit, la haine se trouve le plus souvent hors d’atteinte de toute parole qui ne soit pas la sienne. Peine perdue d’essayer d’entamer un dialogue avec elle. La haine n’a qu’une bouche. Voire une grande gueule. Avec les mêmes mots qu’elle balance en boucle, comme d’autres crachent ou dégueulent. Difficile de qualifier ça d’expression. Pourtant, même si ça nous déplaît, c’est une voix parmi les autres. Mais avec qui toute tentative de conversation est vouée à l’échec. La haine ne veut pas échanger. Ou elle ne peut pas. Dans les deux cas, elle reste sans oreilles. Comme un ventre qui a faim. Une haine sans oreilles mais avec une parole. Très active et fort bruyante. Sa parole s'est extrêmement libérée.
La haine a aussi un visage. Lequel ? En réalité, la haine n’a pas qu’un seul visage. Elle peut avoir toute sorte de faces. Parfois attirante et très séductrice. Avant de dévoiler la bête planquée derrière le sourire et les promesses. Nous en avons nombre d’exemples dans nos livres d’histoire. Et quasiment en direct sur nos écrans contemporains. Voire même assister à de la haine de proximité. Elle se développe partout sur la surface du globe. La haine n’a pas d’oreilles, mais des manipulateurs, en plus d’être à son écoute, lui proposent leur bouche et langue pour qu’elle puisse s’exprimer. Avec un champ d’expression très large, au-delà des frontières. À certaines périodes, des vagues haineuses ricochent de pays en pays. Comme en ce moment. Une sorte de pandémie de la haine. Et sans vaccin disponible.
Deux sortes de modèles de haine. Petite ou grande taille. La première est une haine isolée. Tandis que la seconde n’opère jamais seule. Le plus souvent, c'est une haine qui marche au pas ; elle se trouve en foule derrière tel ou tel drapeau, avec de très larges objectifs de destruction. Alors que l’isolée détruit de l’humanité que sur un petit rayon. Souvent à attaquer les êtres les plus vulnérables, comme certaines femmes et enfants. Contrairement à la haine grande taille qui cible des populations précises - désignées notamment par certains politiques et animateurs de chaînes de télé ou sur les réseaux. À haine grande taille, grande com. Pour entre autres opérer une division sur une très grande échelle. Avec manipulation des populations ( vivant la plupart du temps dans les mêmes quartiers populaires ) pour qu’elles s’affrontent. Une opération qui, dans l’extrême pire, peut aller jusqu’au massacre de masse. Après un excellent « plan com Haine ». Certaines voix affirment que nous sommes au bord de l’extrême-pire. La même situation en Europe et dans le monde. J’ai du mal à croire en de telles affirmations. Un optimisme hors-réalité ?
Toutefois indéniable que notre humanité est sans cesse soumise à la tentation génocidaire. De siècle en siècle. Génocide assyrien, au Bangladesh, bosniaque, cambodgien, au Darfour, des Grecs pontiques, des Héréros et des Namas, génocide juif (ou Shoah), kurde, tsigane (ou Porajmos), des Tutsis au Rwanda, ukrainien (ou Holodomor), et divers génocides coloniaux, dont ceux des Amériques. À la question « liste de génocides », c’est la réponse obtenue du moteur de recherche. Avec des génocides dont je n’avais jamais entendu parler. Sans doute une liste qui n’est pas exhaustive. Et certains contesteront la présence ou l’absence de telle ou telle population. Une liste vertigineuse qui laisse sans voix. Des dizaines de millions de morts de haine. Et ça continue. Des massacres en plusieurs lieux du monde.
Refuser de dialoguer avec la haine c’est ne plus espérer ? En effet, on peut y voir une forme de résignation. Ne même plus croire en une possibilité de paix. Que ce soit entre individus ou peuples. Autrement dit accepter de laisser des populations se faire massacrer partout sur la planète. Se désintéresser du sort de ses semblables en souffrance. Et accepter l’inacceptable. Essentiel de réagir face à la haine. Quelle qu'elle soit. Que ce soit d’abord en la combattant. Chacun et chacune à son petit ou grand niveau. Et avec toutes les armes disponibles. En évitant une qui est un des masques de la haine : la vengeance. Présente souvent après des colères légitimes, et susceptibles d’être manipulées. Tout être blessé, de surcroît ayant perdu un ou plusieurs proches, peut perdre la raison. Et confondre résistance et vengeance.
La haine est-elle soignable ? Une question toujours urgente à se poser. Plus facile de prodiguer des soins à des haines isolées. Voire même réussir à en guérir. Nettement plus complexe pour la haine entre les peuples. Un travail de très longue haleine. Avec entre autres des historiens et des ambassadeurs pouvant aider à recréer du lien. Mais miser aussi sur les artistes. Parfois, ils peuvent réussir là où les officiels habituels échouent. Les artistes qui essayent de comprendre et de vouloir créer des liens aussi ténus soient-ils. Je pense entre autres au très fort livre d’Albert Camus : Lettre à un ami allemand. Ne pas négliger la moindre corde à l’arc de la paix. Pour au moins réussir à cohabiter. Sans nécessité de s’aimer. Ni de se haïr. Laisser la mort naturelle ou par accident s’occuper de nos vies. En plus, nous sommes déjà dans une forme de guerre. Celle que nous mène le temps. Chaque être résistant comme il peut. Et le temps toujours vainqueur.
Une conclusion en évoquant la colère. Contrairement à la haine, elle a des oreilles. Sans doute pas du tout ouvertes au début de l’éruption. Rien de plus normal dans un moment où c'est l'explosion. Quand la colère est imperméable à tout le reste autour d'elle. Après l’explosion, tenter un échange. Toujours que colère où a-t-elle basculé dans la haine ? En général, on s’en rend compte très vite. Si elle n’a pas basculé, on a encore une chance. Mais faut faire souvent très vite. Écouter la colère avant qu’elle n’entende la haine. Mais pas uniquement rester dans l’écoute. Agir sur la colère pour qu’elle n’écoute pas la haine. L'aider à ne pas basculer.
Plus facile à écrire ou dire qu’à faire. Mais certains et certaines œuvrent dans ce sens. Travaillant contre la propagation de la haine. Des citoyennes et des citoyens actifs sur le chantier des maux du siècle. Ne se contentant pas de rester au registre du constat ou commentaire comme ce billet. C’est grâce à leurs actions, ainsi qu’à celles de leurs ascendants au fil du temps, que le navire planétaire n’a pas entièrement sombré. Sans ces petites mains sur le pont, bien longtemps que, à force de haine en tout genre et de génocides, l’humanité aurait fini par disparaître ; assassinée par notre espèce humaine. Que leur dire ? Juste merci et bravo. Et essayer de les soutenir. Chacun avec ses modestes outils. Faire comme on peut.
Sans oublier que le problème de la haine ne vient pas d’une autre planète. C’est une sorte de virus humain. Les autres espèces en sont moins atteintes que la nôtre. Que nous à être capable d’accélérer la fin de notre passage sur la planète. Et, dans notre folie humaine, de détruire le reste autour de nous. Une destruction générée en partie par ce virus qui circule depuis les premiers pas de notre espèce. Sa circulation jamais interrompue. Et quasiment à chaque siècle, des périodes de pic d'épidémie, avec notamment des génocides et autres massacres de populations. Rares les pays qui n’ont pas de sang sur leur drapeau. Toutefois pas que les nations et les peuples qui sont contaminables. Chaque individu, même le plus sain d’apparence, peut être contaminé à un moment ou à l'autre de son histoire. Nul n’est à l’abri. Essentiel donc de savoir résister à sa propre haine.
Et garder sa colère propre.
NB : Désolé de ce rajout de sombre à la couche de boue quotidienne. Mais difficile de ne pas voir et d'écouter le monde. Surtout quand nos oreilles s’ouvrent aux sons d’un radio-réveil déclinant les nouvelles du jour. Avant une plongée dans un écran. Oreilles et yeux nourris par la même boue sans frontières.