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Mouloud Akkouche

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Billet de blog 24 mai 2015

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40 000 € de taxi: il n'y a pas mort d'homme

 Depuis que cette histoire est médiatisée, je ne peux plus être tranquille. Ma vie privée est foutue. Ces journalistes sans scrupules sont pires que des chiens. Ils me traquent comme si je n'étais que du gibier.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Depuis que cette histoire est médiatisée, je ne peux plus être tranquille. Ma vie privée est foutue. Ces journalistes sans scrupules sont pires que des chiens. Ils me traquent comme si je n'étais que du gibier. Plus facile de s’attaquer à moi que plus haut où c’est vraiment pire. 40000 €, certes c’est une somme mais on ne va pas tout de même pas en faire un plat. Il n’y a pas mort d’homme. Rien de plus important qui se passe dans le monde ou quoi ? Ils ont oublié que des événénements  plus graves que quelques notes de frais professionnelles se déroulent sur la planète. Je sers de fusible pour cacher les vrais problèmes de cette société. Les journalistes n’ont vraiment aucune déontologie. Mais bon, tu sais cela aussi bien que moi. En fait, je t’appelle pour ce que je t’ai demandé l’autre fois.

Mon dossier est dans les tuyaux. Bonne nouvelle. Tu peux pas faire ne sorte que ça aille un peu plus vite. A cause de ses salauds, je suis vraiment dans la merde.  La presse a de moins en moins de moral. Ils courent tous après le buzz. Que des opportunistes qui pensent qu’à leur plan de carrière. Ils se contrefoutent de la vie des autres. En plus, personne ne peut enquêter dans le milieu des journalistes. Ils se protègent tous les uns et les autres. Pourtant, ils ont des casseroles comme tout le monde. Je hais les journalistes. Ils donnent des leçons à tout le monde mais devraient balayer un peu devant leurs privilèges. La plupart servent la soupe à leurs patrons  qui sont de grands industriels. Pas plus corrompus que les journalistes. De vrais poujadistes qui font le jeu de Marine Le Pen.

Ce serait vraiment très sympa si tu pouvais donner un coup de pouce à mon dossier.  J’ai vraiment besoin de retravailler. Si j’ai pas une occupation, je vais retomber dans la déprime. J’ai besoin de sortir de chez moi et de voir du monde. Je sais bien que tu as l’oreille de la ministre. Elle sait aussi ce que c’est d’être attaquée. Récemment, ils l’ont allumée quand elle a avoué qu’elle lisait pas de romans. Vraiment marrants ces journalistes qui croit que nous avons le temps à nos postes de nous divertir et….

Vraiment très sympa de ta part. Tu m’enlèves une grosse épine du pied. D’accord. Merci beaucoup de me sortir de cette panade. Je savais bien que je pouvais compter sur toi. Les vrais amis sont toujours là dans les moments les plus durs. D’accord… Je te rappelle dans cinq minutes.

          Comment je vais dire ça à ma femme et mes gosses ? La banque m’a appelé pour me dire qu’elle me coupe les vivres. On va pas pouvoir acheter la baraque de nos rêves. Obligés de rester dans notre cité. Elle va être sacrément déçue. Les gosses aussi. Mais le pire ce n’est pas ça. Un malheur n’arrive pas seul.

Mon boss me dit qu’il peut pas me garder.  C’est un mec bien qui arrête pas de galérer pour garder sa petite boîte. Avec le temps, on est devenus potes. Je peux pas lui en vouloir. Il a fait vraiment tout ce qu’il a pu pour maintenir tout ça à flots.  J’ai plus de job dans deux mois. Et ça c’est pire que le reste. Pas à 55 piges que je vais trouver autre chose. Ou vraiment des boulots de merde. Et qu’en CDI.

Bientôt, je vais pointer à Pôle Emploi. Passer de bureaux en bureaux. J’ai été chômeurs trois ans et je sais comment ça se passe. Mais à l’époque j’avais 27 piges. Et une énergie à bouffer la terre entière. Tu me sortais par la porte, je revenais par la fenêtre. Comme ça que j’ai eu mes premiers boulots de chauffeur-livreur. Et puis tous les autres. Jusqu’à je trouve ce taf bien payé et peinard. Avec des horaires que je choisis.

J’ai le ventre noué.  Une putain d’envie de chialer comme un gosse. Faut pas que je me laisse aller. Je dois assumer mon taf jusqu’à la fin. Pas craquer devant les clients. Et puis je dois me battre. C’est pas la fin du monde. Ya pire sur la planète.

On l’aura un jour ce pavillon.

      C’est moi. Tu as pu joindre la ministre ? Super ! Bravo ! T’es vraiment formidable.  La meilleure ! Je te revaudrai ça vraiment. Si tu as besoin de quoi que ce soit, n’hésite pas. Attends ! Je t’entends mal. On est sous un tunnel. Ca va mieux là ? Tu m’entends ?  Là c’est mieux. Au fait, c'est quoi comme poste ?

 Chargée de mission sur les questions de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences.  J’ai jamais fait ça moi, mais ça a pas l’air sorcier. J’aurais combien de collaborateurs ? Tu ne sais pas encore. Ce n’est pas grave. Quand les charognards de la presse me lâcheront, je trouverai autre chose. A mon âge et avec mon expérience, je ne peux décemment pas rester à un poste de ce niveau si bas. La ministre le sait très bien.  Ce serait bien si nous pouvions déjeuner ensemble.  D’accord. Croisons nos agendas.

Parfait pour moi !  Rendez-vous à 12h30 dans ton bureau. Tu préfères quoi comme restau. Ca tombe bien, un ami de mon mari tient un étoilé. Je l’appelle.  Tu verras : c’est un super lieu. Et tu peux être sûr qu’on sera bichonné. Je réserve que pour nous trois ? Tu veux montrer le lieu à ton nouveau copain ? Pas de soucis. Je réserve pour trois.  

Grâce à toi, je vais passer une bonne journée. Mon mari va être très heureux d’apprendre la nouvelle. Il se faisait du mouron pour moi.  J’étais vraiment très mal. Faut dire que la presse ne m’a pas épargnée. Traitée pire qu’un voyou.  Mon médecin m’a prescrit des antidépresseurs et du repos.

A mardi ma chérie.

      Mon neveu vient de m’envoyer un texto. Il veut m’embaucher au black dans des chantiers. Sympa de sa part  mais j’ai plus le corps  pour taffer comme carreleur ou maçon.  J’ai les genoux niqués et le dos complètement bousillé.  Plus pour moi.

Qu’est-ce qu’on va devenir ? Pas avec seulement le salaire de ma femme qu’on va pouvoir croûter. En plus, y a la grande qui rentre en école d’ingénieur.  C’est à l’autre bout de la France. Faut qu’on lui trouve un logement.  Ca va nous coûter du pognon tout ça.  Mais il faut qu’elle la fasse cette école.

Avec ma femme, on a pas pu faire d’études.  Elle a arrêté  en bac pro pour rentrer comme vendeuse en boulangerie. Et moi j’ai tout lâché à 14 piges. Mon père m’a trouvé un taf dans les supermarchés où il était cariste.  C’était bien mais ça me convenait pas.  J’avais envie de voir du pays. J’ai passe les permis poids lourds. C’était vraiment bien ça. Pas de chef sur le dos et tu bougeais tout le temps. Quand j’ai rencontré ma femme, j’ai arrêté. Pas envie de devenir comme la plupart de mes potes : divorcé ou en embrouille avec leur famille. J’ai trouvé des plans de livraisons.  Jusqu’à je revois mon vieux pote de collège. Lui avait monté sa boîte. Il m’a embauché.  Jusqu’à aujourd’hui où il fout la clef sous la porte.  Et moi je me retrouve à la porte.

Je me sens vieux et foutu. Un mec inutile. Je sais pas comment je vais réussir à croiser le regard de mes gosses. Qu’est-ce qu’ils vont voir dans mes yeux. Sûr qu’ils prendront pas leur daron pour un raté. Ils m’aiment trop pour ça. On est une famille unie. Heureusement qu’il y a tout cet amour sinon je…  Je sais pas ce que je ferai. Mais j’ai vraiment la rage.  Envie de tout casser.

Comment leur dire ?

Pas de soucis, on reporte pour mercredi. Toujours pour quatre personnes. Je rappelle le restaurant. Vraiment très heureuse de pouvoir me replonger dans une activité. Je pense que...  Attends ! Je trègle un souci et rappelle de suite.

_ Qu’est-ce que vous faites ?

  Je la regarde dans le rétro. Elle croit que je vais pas entendu ce qu’elle racontait. Pour ce genre de personne, un chauffeur de taxi c’est comme un meuble. Ils nous voient pas. Invisible pour cette chère madame dont j’ai lu la petite histoire dans le canard ce matin. Je l’ai pas reconnue tout de suite. C’est quand elle a répété «  40 000€ : il n’y a pas mort d’homme » que j’ai tilté. C’est la femme de l’INA.

_ Arrêtez-moi là !

Je me retourne et lui souris.

_ On va faire une promenade à  40 000 €.

Elle commence à essayer d’ouvrir la vitre. Je verrouille tout. Elle se met à gueuler et prend son I-Phone. Je lui arrache des mains et le colle sur le siège passager. Puis j’enclenche la vitre de sécurité qui peu séparer des clients en cas de merde. Elle tambourine. Bon courage pour casser une glace hyper sécurité. Je fous la musique à fond.  Ce petit voyage va me détendre les nerfs.

A environ  soixante  bornes de Paris, je m’arrête dans une forêt. Avec des potes, on venait y faire du vélo. C’est vraiment paumé. Le premier village est à 30 bornes à pieds.  Je sors de la bagnole et lui ouvre. Elle m’engueule comme du poisson pourri. Je sais qu’elle a relevé mon numéro mais j’en ai rien à foutre.  Elle m’ordonne de la ramener à Paris. J’éclate de rire. Un rire nerveux qui me secoue tout le corps. Faut pas craquer. Surtout pas devant une inconnue.

Fou de rage, je me mets à boxer un arbre.  Elle se recule et me regarde avec des yeux affolée. Morte de trouille. Elle me demande de me calmer. Sa voix s’est adoucie.  Je m’arrête de cogner. Les poings en sang. Elle me parle lentement. Je sens qu’elle essaye de m’embrouiller. Ca arrive à tout le monde de craquer. Vous devriez peut-être aller voir quelqu’un. L’étrangler ou me barrer ?

Je monte dans la bagnole et démarre. Dans le rétro, je la vois courir. Pas facile pour elle de se taper toutes ces bornes en chaussures de ville.  30 bornes à pieds : y a pas mort d’homme. Merde ! Son I-phone est resté sur le siège passager.Je lui déposerai dans une enveloppe à son nouveau boulot. Pas un voleur, moi. Je me marre comme un gosse. Toujours ça de pris sur Pôle Emploi.

Fiction sans note de frais.

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