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Billet de blog 24 août 2017

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Lettre à ma très chère rentrée

Le premier septembre c’est un peu comme mon deuxième jour de l’an. Moi j’aime bien le jour de la rentrée. Surtout quand c’est un lundi. C'est un de mes plus beaux rendez-vous de l’année. Un jour plein de promesses.

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Illustration 1
© M.A

      86 rentrées au compteur. Une période de l’année que j’ai toujours aimée. Toi et moi on commence à bien se connaître. Mais c’est la première fois que je t’écris. Jamais avant j’aurais osé te déranger. Faut dire que tu avais une sacrée importance à la maison. Surtout pour Papa qui nous obligeait à nous taire quand tu passais à la radio: augmentation des prix, rentrée des ministres… Et plein d’autres choses que je comprenais pas. Ils appelaient ça le «marronnier». Un moment qui m’agaçait car on m’obligeait à me taire alors que j’étais une vraie pipelette. En plus j’aimais pas voir la tête de Papa qui écoutait les infos avec un air sombre. Aujourd’hui, je fais comme lui. Sauf que c’est à la télé que je vois les ministres, les stars, etc, reprendre le boulot. Le premier septembre c’est un peu comme mon deuxième jour de l’an. Moi j’aime bien quand tu reviens. Surtout quand c’est un lundi. Un de mes plus beaux rendez-vous de l’année.

       Quand j’ai su ce que c’était réellement une rentrée? J’avais quatre ans. Je me souviens comme si c’était hier. Ce jour là, mon grand frère avait traversé la cour de la ferme. Je l’avais vu de la fenêtre de ma chambre. Il avait mis ses beaux habits. Ceux qu’on mettait pour les fêtes et les morts. Jamais pour aller à l’église. «Pas de Dieu à la maison. On a déjà assez d’emmerdes comme ça.». Papa était contre. Maman y allait de temps en temps en cachette. Moi aussi mais j’ai vite arrêtée ; je suis d’accord avec Papa : Dieu c’est comme un impôt sur le dos de ceux qui ont rien ici et espèrent avoir mieux là-haut. Un leurre pour pas râler sur sa fiche de paye. J’en étais où déjà ? Ma lettre est à peine commencée que je m’égare déjà. Voilà… Mon frère allait à l’école pour la première fois.

         Ce jour là, Papa et Maman travaillaient. Comme d’habitude. Je me souviens pas les avoir vus faire autre chose que de travailler. Même pendant les repos, les maladies les clouant au lit, ils interrogeaient le ciel par la fenêtre pour prendre la température de la journée. «Un paysan emporte partout son boulot dans sa main et ses yeux», disait Maman. «Sauf sous terre», ajoutait Papa. Mais ce jour là, tous les deux travaillaient comme au ralenti. Ils regardaient tout le temps l’heure, ou tourner la tête vers le chemin qui monte, celui par lequel mon frère était descendu pour aller à l’école. Moi aussi j’attendais. Quand il était revenu à midi on lui avait sauté dessus. Bombardé de questions. Sauf Papa qui le regardait sans un mot. Première fois je crois que je l’ai vu sourire. Un sourire fier. Il avait sorti une bonne bouteille le soir.

       Deux ans plus tard c’était à mon tour. Mais j’étais pas toute seule; mon frère me tenait la main. Jusqu’à ce que Papa et Maman puissent plus nous voir de la ferme. «Tu me colles pas à l’école. On est plus à la maison. ». Il m’avait lâché la main et marchait deux mètres devant moi. Je m’en foutais. Si heureuse. Lui, il me l’a racontée longtemps après, avait eu la trouille le premier jour. Pas un hasard s’il a jamais aimé l’école. Moi j’ai adoré. Je me souviens de tout. Même des odeurs de ma première rentrée scolaire. C’était aussi une sorte de premier voyage dans un nouveau pays. Entendre d’autres voix que celles de Papa, Maman, mon frère, les rares cousins, les voisins. Et celles d’inconnus entendues chaque jour à la radio. Voir des têtes nouvelles ailleurs que sur le journal local. Le monde était pas que ma famille

     Toutes les autres rentrées ont été une fête pour moi. Alors que j’étais pas très douée pour apprendre. Mais j’aimais bien revenir en septembre dans la classe. Et savoir que j’y resterai jusqu’à fin juin. Crois pas que je te dise ça pour te flatter. C’est la vérité. À mon âge, on a plus le temps de mentir. Ni de faire semblant. J’étais heureuse dès que le mois d’août finissait. Enfin changer d’outils. Sortir les mains de la terre pour les mettre sur du papier. Même s’il en restait toujours autour des ongles. La terre ça s’enlève pas comme ça. Elle colle aux chaussures et encore plus au cœur. Moi je préférais le stylo à la bêche. Ma petite sœur, qui a trois ans de moins que moi, aimait bien aussi l’école. Elle était partie loin pour faire sa médecine. L’intello de la famille. Elle était revenue exercer dans notre région. Elle a accompagné Papa, Maman et notre frère dans leur dernier souffle. Une boule d’énergie généreuse. Toujours en colère contre les injustices. Sacrée femme que ma p’tite sœur. Sa maison est à douze kms de la ferme. Mon frère, lui, avait repris l’exploitation. Un bon paysan, aussi consciencieux que Papa et Maman. Jusqu’à sa mort il y a 17 ans. Ses gosses, partis à la ville, l’ont vendue. C’est devenu un gîte et un restaurant de luxe. Beaucoup trop cher pour que je puisse y manger. On y peut rien. C’est la vie. J’ai jamais dit à Papa et Maman ce que j’écris aujourd’hui. Ni à mon frère. Pas envie de leur causer du chagrin. Ils auraient été déçus que j’aimais pas le travail à la ferme. La terre était tout pour eux. Moi je préférais le monde. Celui de la carte accrochée au tableau de la classe. Imbattable qu’en géographie.

     La guerre avait interrompu mon paradis de la rentrée. «Trop dangereux qu’ils aillent à l’école. Aucune envie de retrouver un jour leurs deux cadavres dans un chemin, comme un chevreuil ou un blaireau. ». J’avais entendu Papa et Maman. Ils étaient dans la cuisine. « Tu exagères. C’est quand même pas loin. Ils risquent pas grand-chose.». J’avais souri à la voix de Maman. Rares les fois où elle contredisait Papa. «C’est non et c’est tout!». Mon frère avait accueilli la nouvelle avec un large sourire.  Moi j’ai insisté. J’en reparlais tous les jours. Mais Papa avait pas démordu. Il voulait qu’on reste ensemble. Et il se méfiait de tout. Nos valises prêtes dans la grange.

     Cette année là, l’été ne s’arrêta pas sur une date précise: ce lundi sur le calendrier de la poste que j’attendais avec impatience. Un lundi qui me mettait en joie. L’été s’était juste fini sur une autre saison. Des saisons rythmées en grande partie par le ciel, la terre, la rivière, les agnelages... Sans ma rentrée à moi. Mon cadeau du premier lundi de septembre. J’étais revenue comme avant. Retour aux champs et à la bergerie. Le tout en plus assombri par la guerre et les privations. Tu peux pas imaginer très chère rentrée à quel point tu m’avais manquée durant ces années. Quatre mois de septembre sans toi. Avant de te retrouver un lundi matin, folle de joie dans mes vêtements d’école. Les manches trop courtes pour mes onze ans.

     «Nécessité faisant loi...» Papa disait souvent cette phrase quand il devait décider quelque chose. Chaque fois en plissant le front. Une formule que je comprenais pas quand j’étais gosse. Mais suffisait de voir la tête de Papa pour comprendre que c’était important. Il avait d’autres phrases un peu dans ce genre là. Des mots qui semblaient étrangers dans sa bouche. Pas les siens. Ni les nôtres. Des mots taillés pour la bouche des autres. Ceux qui savent pour nous. Pourquoi savoir puisqu’ils le font pour nous ? Je me demandais d’où Papa sortait ces formules. J’eus la réponse une nuit d’hiver à l’âge de treize ans. Réveillée par un rire. J’étais sortie de mon lit. Le rire venait de leur chambre. Je m’étais approchée de leur porte. Incroyable ! Sans doute un rêve. Impossible que ce soit vrai. Mes pieds nus sur les tommettes me prouvaient que je rêvais pas. Papa et Maman lisaient à tour de rôle des définitions du dictionnaire. J’étais restée un long moment à les écouter. Tremblante de froid. Je sus ce jour là que Papa et Maman étaient pas que Papa et Maman. Ni que des «esclaves de la terre et des bêtes ». Je crois que personne est que ce qu’il est. Leur dictionnaire reste toujours sur la table de mon salon. Mais je l’ouvre jamais. Je préfère la musique aux mots sur le papier.

     Un matin dans la cuisine. Papa avait posé la main sur mon épaule. « Nécessité faisant loi….». Maman avait tout de suite tourné les yeux vers la fenêtre. Papa avait pris alors une grande respiration. Il me donnait l’impression d’avoir rétréci dans la nuit. Un tout petit Papa qui dansait d’un pied sur l’autre. Il ouvrait la bouche mais arrivait pas à parler. « Bon… Je… Faut que t’arrêtes l’école et que… t’ailles travailler.». Il m’avait tout expliquait. Je le regardais sans l’écouter. Ses yeux avaient déjà tout dit. Les épaules de Maman chialaient. Papa regardait ses chaussures. Après la guerre, la nécessité allait encore nous séparer ma douce rentrée. Terminus école à 14 ans.

      D’abord j’ai eu une première place chez le patron de l’usine de délainage. Lui on le voyait pas souvent. Je faisais le ménage, m’occupais de leurs deux fils… Bizarre d’arrêter l’école pour emmener de petits gosses à l’école primaire. Je les aimais bien. Même si je te regrettais, ma rentrée scolaire, j’étais plutôt bien dans cette famille. J’avais ma chambre. Ils m’autorisaient plein de choses, comme profiter de leur piscine, écouter de la musique… Mon premier disque c’était chez eux. Ils m’emmenaient aussi en vacances avec eux; première fois que j’ai vu la mer. Je m’occupais des gosses sur la plage ou quand ils sortaient au casino ou dans les grands restaurants au bord des plages. Une place en or. Sauf qu’il y avait leur cuisinière.

      Elle venait aussi comme moi d’une ferme. Je l’ai tout de suite vu. Pourtant elle faisait tout pour le cacher. Comme honteuse de ses origines. Moi aussi j’avais parfois un peu honte, l’impression de mal faire et salir leur parquet. Une connerie d’avoir honte de ses origines : tu pourras jamais t’acheter ou louer une nouvelle enfance. La cuisinière pouvait pas me saquer. Toujours à me faire des sales coups. Sans doute jalouse parce que je m’entendais bien avec mes patrons. Elle devait avoir peur que je lui pique sa place. « T’es qu’une voleuse ! Tu prends tes affaires et tu déguerpis sur le champ. Retourne chez… chez les bouseux ! ». La cuisinière m’avait incendiée devant mes patrons. Tous les trois dans ma chambre. Elle avait planqué des couverts en argent et des bijoux dans le tiroir de ma commode. Je savais pas quoi faire. Incapable de me défendre. Le patron me regardait avec un air déçu. Sa déception est un truc que j’oublierai pas. J’étais rentrée à la maison. On me regardait pas du même œil au village.  J’étais effondrée. Je me sentais sale, parfois même à me prendre pour une voleuse. « Ma fille, te laisse pas enfermer par le regard des autres. Surtout celui des cons. ». Maman m’avait remontée le moral. Heureusement que Papa et Maman ont cru à ce que je leur disais. « Elle va voir ce que c’est qu’une bouseuse ! ». J’ai dû retenir Maman qui voulait allait gifler la cuisinière. J’ai travaillé ailleurs. Dans d’autres maisons. J’ai pas trouvé une aussi bonne place. Mais pas le choix que de bosser comme bonne à tout faire. Jusqu’à mon mariage.

     Et le départ pour la ville. J’avais suivi mon mari. À cinq cent kms de la ferme. Il avait trouvé un boulot dans une usine de voitures. Lui aussi avait subi la loi de la nécessité. J’étais enceinte. C’était le premier de nos quatre enfants. Et là, je t’ai retrouvé ma rentrée : à travers celle de mes gosses. Quel plaisir de les emmener chaque matin à l’école. Plusieurs aller-retour par jour car ils mangeaient le midi à la maison. J’adorais aller acheter leurs fournitures scolaires. Un plaisir qu’a pas duré longtemps car mon mari avait foutu le camp. Le divorce signé, il a plus donné de nouvelles. Est-il encore vivant ? J’en sais rien et m’en contrefous. Ce salaud m’avait plaquée avec quatre bouches à nourrir. J’ai trouvé une place dans une laverie industrielle. On était pas payé des fortunes mais il y avait pire. Franchement personne rêve d’une place comme ça mais nécessité… Mais il y avait quand même des avantages sur le boulot à la ferme, comme les week-end et les jours fériés qui étaient vraiment de vrais repos. En plus, on avait des gens des syndicats toujours là pour nous aider. J’ai jamais pris une carte, toujours méfiée d’eux. Mais faut reconnaître que sans eux on aurait encore moins. Je suis restée dans la même tôle jusqu’à ma retraite. Une retraite plus maigre que les mannequins des magazines. En tout cas, mes gosses ont toujours eu un frigo plein et un toit sur la tête. Ils ont manqué de rien. À part peut-être d’un homme à la maison. Plus aucun a franchi le seuil de chez moi. Mon lit a jamais été habité par un autre homme. Personne avec qui rire avec un dictionnaire ou autre chose. On sait ce qu’on donne, jamais ce qui est reçu. J’ai essayé de faire au mieux avec mes quatre merveilles. Avec le peu que j’étais et avais. Comme de nombreux parents espérant le meilleur pour leurs gosses. Voilà, ma chère rentrée, tu sais tout de moi. Même si c’est en vrac comme ma mémoire. Plus le temps de trier tout ce qu’y a dans ma tête. Mais tu sais toujours pas pourquoi je t’écris.

     Parce que je te verrai pas cette année, chère rentrée . Morte avant la fin du mois d’août. À cause d’une maladie ? Pas du tout. Je souffre que de p’tites babioles de mon âge. Mon toubib pense que je vais finir centenaire. En plus, j’aime la vie. Pas un jour sans me marrer. Si en plus d’être pauvre t’es triste et con, c’est double peine. Mais tout ça c’est moins important que les projets de mon Sam. «D’accord d’arrêter de conduire. Mais je veux que ma voiture reste sur le parking. Hors de question de la vendre.». Mes gosses avaient accepté à la condition que je leur donne les clefs. Ils ne savent pas que j’ai gardé un double. Deux ou trois fois par semaine, je vais la faire démarrer. Pas envie de conduire. Mais la voir de ma fenêtre me rassure. Comme un peu de ma liberté d’aller et venir toujours à portée de mains. Ma première grosse dépense quand mon mari m’avait plaquée c’était de passer le permis. Je reste persuadée que la libération de la femme c’est la bagnole. En tout cas c’était comme ça pour moi. Mais c’est une autre histoire… Revenons au but de ce courrier. Dans quelques jours, je vais partir. Définitivement. Un tournant sur la falaise les yeux fermés et... Rideau pour moi. On y est allés trois fois avec mon mari: mes seules vraies vacances. Quitte à partir autant que ce soit sur une belle vue.

« Mémé c’est vachement trop cher. Papa arrête pas de dire que c’est un sport de riches. Je crois qu’il a raison. Faut que je trouve d’abord un boulot. Sans doute prof. Tant pis, ce sera juste mon hobby. Comme les mecs qui font le show dans les mariages et anniversaires. Ceux qui auraient pu si… ». Sa voix était pas comme d’habitude. Sam, mon petit-fils rêve de devenir musicien. Il a réussi le concours d’entrée dans une école. Mais elle est payante. Et c’est pas donné. En plus de ça, il devait trouver un logement pendant trois ans. Je l’ai senti super déçu. Bien sûr il y a pire sur la planète que la déception de mon petit-fils. Suffit de regarder la télé ou au coin de sa rue pour se sentir un peu… Comment dire? Un peu nantie. Et je crois pas que tout ce merdier va changer avec les nouveaux qu’on a élus: pareils que les anciens mais avec des visages jeunes et des téléphones hyper-modernes. Eux-aussi pensent qu’au fric et à leur place. On verra bien… Parmi les gosses de ceux de là-haut il y a des jeunes comme mon Sam qui rêvent de devenir musicien ou autre chose dans ce genre. Eux y arriveront ou au moins auront tenté le coup. Mais ils partent pas avec les mêmes armes dans le couffin. La nécessite lui volera-t-elle à lui aussi son rêve ?

     Sam avait souri avant de changer de conversation. On se voyait pas souvent et il avait pas envie de me charger avec sa tristesse. Mais ses yeux contredisaient son sourire. Une lumière venait de s’éteindre dans son regard. J’avais failli chialer en l’entendant me dire qu’il jetait l’éponge. «Le plus beau cadeau que tu puisses faire à ta mémé est de devenir musicien. Tu vois… Je suis pas immortelle. Un jour, je vais disparaître. Mais, là-haut, s’il y a un monde après celui là, on sait jamais, j’ai pas envie de me taper de la musique d’église. Pas mon truc. Je préfère le saxo de mon petit-fils. Je compte sur toi pour la bande son de mon éternité. Promets-le moi, Sam ! Regarde-moi dans les yeux quand je te parle ! ». Je lui avait dit ça il y a plus d’un an. Ça l’avait fait marrer. Sans doute qu’il s’était dit que sa Mémé délirait. Encore partie la vioque. Mes gosses, surtout mon aîné, sont sûrs que je suis sénile. D’accord avec eux mais sénile qu’à mi-temps. Le reste du temps j’ai bien les pieds sur terre.

    Personne sait qu’à la naissance de mes trois petits enfants j’ai souscrit une assurance vie à leur nom. Rien d’autre à leur léguer que ce fric pour leur présent, au moins quelques années de répit et voir venir. Pas assez pour leur avenir. En héritage aussi quelques histoires de vieille femme Leur Mémé qui oublie parfois sa tête. Mais qui a pensé à leur laisser une assurance anti-nécessité. Pas si folle que ça. Ils vont bientôt la toucher. J’espère que ce sera à temps pour que Sam puisse entrer dans son école de musique Sinon il le fera à la prochaine rentrée. D’autres mémés auraient juste eu besoin de signer un chèque pour aider leur petit-fils. Trop tard pour refaire le monde. Demain est une autre rentrée.

   C’est donc mon dernier été. Plus que quelques heures avant le grand plongeon. Première fois que vais te faire faux bond chère rentrée. Une année sans voir le bronzage des ministres sur le perron de l’Élysée, des présentateurs de la télé… Pas vraiment ça qui me manquera. Plutôt les petits gosses de mon quartier passant devant mes fenêtres pour le premier jour d’école. Et me promener dans les rues de la ville à humer la rentrée. Le jour de toutes les promesses. Trêve de blabla. Je mets le contact. La conduite c’est comme la natation… Je dis ça mais je sais pas nager. Le moteur tourne impec. Je sors du parking. Les gosses assis dans le square se marrent en me voyant passer. Ils me gonflent souvent avec leur quads et scooters trafiqués. Les descendants de nos Bleus et Moto-bécane ? La plupart d’entre eux ont des mémés et pépés qui viennent comme moi de la campagne, de l’autre côté de la méditerranée et plus loin. De la terre invisible sous les tennis de marque de ces sales gosse. Dans ce quartier populaire, venus d’à côté ou de plus loin, on a presque tous les mêmes racines : les fins de mois difficiles. Mais ça empêche pas de se marrer et de profiter des bons moments. La beauté de la rentrée c’est aussi pour nous. Bon, t’arrêtes un peu de séniliser ma vieille. Tu as pris un rendez-vous avec toi : te fais pas attendre. En plus, c’est pas la porte à côté. Je vais bientôt fermer les yeux là-haut sur la falaise. Ma dernière sortie de route. Cette fois pas à cause d’un reflet du soleil.

   Sam, t’as intérêt à me jouer du saxo !

 NB) Cette fiction est inspirée de plusieurs regards. De proches et d’inconnus. Du passé et d’aujourd’hui. Des regards ne pouvant aider leurs gosses à la rentrée de septembre. Notamment à se loger. Encore des pleurnichards en marche arrière. Doublés de radins à 5 € d’APL près. Vraiment aucune pudeur ces pauvres. Incapables de savourer la beauté d’une fin d’été.

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