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Billet de blog 24 septembre 2015

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La vieille punk et le prêcheur

Les vieilles punks meurent aussi. Pas que des mecs qui finissent au cimetière des vieux punks. A plus de cinquante ans, j’ai repris du service. Toujours le même cuir avec les mêmes badges empoussiérés au grenier. Mes talons d’aujourd’hui sont plus élégants, mes bas résilles pas du tout troués. De beaux restes la vieille punk. Pourquoi un soudain retour dans ce passé? Période ou je cassais ma voix dans un micro. Bonne gueularde mais mauvaise chanteuse.

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Les vieilles punks meurent aussi. Pas que des mecs qui finissent au cimetière des vieux punks. A plus de cinquante ans, j’ai repris du service. Toujours le même cuir avec les mêmes badges empoussiérés au grenier. Mes talons d’aujourd’hui sont plus élégants, mes bas résilles pas du tout troués. De beaux restes la vieille punk. Pourquoi un soudain retour dans ce passé? Période ou je cassais ma voix dans un micro. Bonne gueularde mais mauvaise chanteuse.

 Mon médecin qui est aussi une amie m’a dit  que mon temps était compté. Le crabe ne daignerait me laisser que quelques saisons de rabe. Que faire ? Continuer comme si de rien n’était. Aller au boulot, bouffer  de temps en temps avec mes fils, sortir avec les copines, attraper au vol de beaux gosses, bouquiner, aller au théâtre et au cinoche… En fouillant parmi les albums, je suis tombée sur la photo d’une chanteuse punk, son majeur tendu au monde entier. Tout a basculé à ce moment précis. J’ai eu envie de revenir à ces années-là. Dont deux passées dans un bar d’une ville de banlieue.

Notre QG où, trente ans après,  j’ai reconnu quelques papy-punks et autres rescapés de l’époque qui continuent de hanter le  comptoir. Certains, malgré l’âge et l’usure, ont conservé intacte leur autodérision. Rire d’eux et du monde pour ne pas devenir adulte. Rester jusqu’au bout dans la cour de récré. Une autre clientèle, moins inadaptée,  occupe désormais  l’espace. Au fond, je ressemble plus aujourd’hui à ces nouveaux clients du bar. Mais quelque chose persiste  dans ce petit rade de banlieue. Irréductible.

 La deuxième semaine, assise en terrasse, je suis tombée sur Sam, un de mes premiers amours. Moi quinze ans, débarquant de Paris, et lui dix sept ans, habitant de la ville. Deux ados qui, dès le soir de leur rencontre, avaient passé des heures à boire des bières et refaire le monde. Ni Dieu,  ni patron… Pas non plus de gourou rouge, rose, ou écolo.  C’était à celui qui serait le plus antisystème. Je dois avouer que Sam était beaucoup plus fort que moi à ce jeu. Destroy de destroy comme on disait à l’époque. A la fermeture du bar, nous avions fini dans le square en face. Notre relation dura environ deux ans. Jusqu’à cet été où je partis en Angleterre. A mon retour, j’avais changé de potes et ne traversais plus le pérife. Puis, au fil du temps,  je m’éloignais aussi des punks. En caricaturant, il y a deux catégories de gosses de riches : les bosseurs et les fainéants. La grande majorité des premiers intègre en général Sciences Po, l’université ou de grandes écoles de commerce. Les seconds dont je faisais partie finissaient souvent dans des boîtes de com ou de prod. Une généralité à la con ? Certes mais c'est ce que j’avais constaté autour de moi. Moi, ce fut la boîte de com.

Puis tout s’enchaîna très vite : un mec, un appart, des gosses, un divorce… En quelques années, la punk athée, conchiant tous les bourgeois de l’univers,  avait baptisé ses gosses, votait socialiste et même à droite au municipale. Vite rentrée dans le rang. Avant mon retour dans ce bistrot exigu ou je fis mes débuts de chanteuse. Et surtout mes retrouvailles avec Sam qui n’avait pas quitté sa ville. Cette fois, notre nuit se termina à l’hôtel. Plus confortable qu’un square.

Que du banal. Une femme en phase terminale de cancer qui, courant après ses années de jeunesse, tombe sur un de ses premiers mecs. Les deux ont vieilli, pas leurs phéromones. Des histoires de ce genre, on en trouve plein la réalité et la fiction. Surtout depuis qu’un clic suffit à retrouver des « copains et des copines d’avant ». En effet, vu comme ça, rien de vraiment nouveau. Sauf que Sam, entre temps, était devenu un prêcheur musulman. En plus, pas un modéré comme certains les nomment. Un radical de chez radical. Contrairement à moi, lui était resté en quelque sorte proche de notre radicalité punk. Juste troqué sa crête multicolore contre une barbe et une chéchia. Plus qu’un grand écart. Des Sex Pistols à Mahomet

Au début, l’imam et la vieille punk main dans la main ça faisait sourire les  passants et les vieux habitués du bar. Un photographe insista pour nous prendre en photo ; après une hésitation, nous acceptâmes de poser. Sam et moi nous en rigolions. Mais nous refusâmes de répondre aux questions d’un journaliste en quête de buzz. D’autres, dans le quartier,  grinçaient des dents et n’appréciaient guère cette union. Je sentais leurs regards haineux. Lui et moi, sur un nuage, on s’en foutait. Déjà punk à 15 ans, les passants nous fusillaient du regard. Rien n’avait changé, sauf nos âges. Et aussi l’environnement. Punks, skins, babas, mods,  rockabilly, etc, remplacés par musulmans, juifs, cathos, français de souche, français d’hier, d'avant-hier… Pas ça qui allait empêcher nos relations. Quelle naïveté. La balle dans la boîte aux lettres de Sam nous fit dégringoler du nuage. Un rappel à l’ordre de certains de ses coreligionnaires. Finie notre histoire à l’air libre. Il fallait nous voir en cachette, hors de la ville. Loin du regard de ses nouveaux amis.

Très étrange qu’un punk devienne imam. Je dus le tanner pour qu’il m’explique sa trajectoire. A 18 ans, il tomba dans une nuit-shooteuse de 15 ans. Junkie jusqu’au fond des os et de l’âme. Aucun psy ou centres de désintox ne réussirent à l’en sortir. Lors de son seul séjour en prison, il rencontra un musulman pratiquant, ancien tox des années 70 qui avait longtemps séjourné à Goa, avant de se convertir à l’islam. Condamné pour des insultes et une gifle contre l’instructrice de ses enfants, il purgeait sa peine dans la même cellule que Sam. Ce fut le déclic. Sa révélation. Sam laissa tomber la shooteuse pour se plonger dans le coran. Accro de la même manière. Dieu avait remplacé l’héro. Du Subutex divin ? 

De jour en jour, il évoquait sa foi avec de plus en plus de doute. Des interrogations nées du  choc de nos retrouvailles ? Sans pour autant cesser de prier et même de prêcher. Suis-je devenu croyant pour échapper à la dope ou vraiment par conviction ? Pas sûr d'être un fidèle convaincu. Religieux par défaut ? Brillant, il avait avalé la religion comme, à une autre époque, il était imbattable sur le nom des groupes et de tous les courants musicaux. En plus un excellent bassiste.

Sa nouvelle existence était donc entièrement tournée sur la religion. La plupart de ses proches le préférait en imam plutôt qu’en junkie recroquevillé en manque dans la cage d‘escalier.  Sans doute que lui aussi. Mais, en l’écoutant, je sentis que c’était quelqu’un n'ayant jamais réellement pris de décision. Passé son existence à suivre le courant le moins éloigné. Toujours à écouter le dernier qui avait parlé. Et c’est moi la dernière a parler. Plus pour longtemps.

Jamais je n’aurais pu penser qu’il accepte aussi facilement. Me sentant de plus en plus faible, j’avais décidé de terminer ma vie au bord de l’océan. Passer d’hôtel en hôtel jusqu’à ma dernière chambre, ultime vue sur l’horizon. Ma copine médecin m’avait concocté une « potion magique » pour décider du moment de mon dernier voyage.  Le seul hic est que, beaucoup trop faible,  je ne pouvais pas conduire. Sans hésiter, Sam plaqua pour devenir mon chauffeur. L’amour d’un être plus fort que celui de Dieu? Notre histoire de couple plus puissante que la connerie humaine ? Possible et rassurant. Nous sommes descendus tous deux sur la côte. Voyage mortuaire? Pas vraiment. Il conduisait, je roulais des pétards. Fenêtres ouvertes, les Ramones à fond. Mêmes fous rires que trente ans avant. Des gosses de plus d’un siècle à deux. Quelle super fin de vie !

 Notre couple ne passait pas inaperçu dans les hôtels, aux terrasses des restaurants, sur les plages... La quinqua-punk, lèvres peintes en rouge vif, marchant au bras d’un imam. Sur le revers de sa gandoura, il avait épinglé quelques-uns de mes vieux badges. Il marchait lentement pour éviter que je m'essouffle. Prenant soin de moi comme si nous étions un vieux couple. Serrés l'un contre l'autre sous le ciel de Biarritz. Notre dernière danse au ralenti.

Personne ne savait où je me trouvais. Ni ma famille, ni mes copains. Depuis que j’avais appris pour mon crabe, je me suis mise à raconter fébrilement mes journées et mes nuits au micro de mon Smartphone. En direct et en vrac.Un enregistrement pour mes gosses et qui sera aussi disponible sur ma page Facebook. Envie de laisser les traces de mes derniers moments. Pas que des souvenirs tristes. Selfies d’une fin de vie comme un bouquet final. Sam, lui, passait son temps à écrire. Jamais je n’aurais sa version de notre seconde histoire d'amour. Ma belle dernière ligne de travers.

Un soir, Sam, sentant que ma fin approchait, m’avait annoncé  qu’il boirait l’autre moitié de la potion magique. Je lui ai passé un savon et même ordonné de se tirer, me laisser terminer toute seule. Hors de question qu’il meurt avec moi. Je lui avais juste demandé de m’accompagner, pas de passer de l’autre côté. Fou de colère, il claqua la porte. Sam à peine sorti, je m’étais levée avec d’énormes difficultés, mon corps pesait des tonnes. Je  voulais prendre la boîte du cocktail médicamenteux et l'avaler sur le champ. En finir. Elle ne se trouvait plus dans mon sac de voyage. Sam l’avait emportée. J’étais retombée sur mon lit en le maudissant. Ce salaud me pourrissait ma fin de vie. Quelle conne de lui avoir demandé de l’aide. Comment faire ? Rappeler ma copine médecin ? A bout de souffle, je m’étais endormie.

Dans la nuit, je sentis une main contre ma joue. Sur la table de chevet, deux verres d’eau. Il me caressa la tête. Je lui demandais d’allumer la lampe de chevet. Nous nous sommes regardés sans un mot. Ses yeux étaient rougis. Nous avons souri. Puis, dans un silence serein, il m’a tendu un verre comme il le faisait souvent. Il a pris l’autre et nous avons trinqué. Lui a bu le sien cul sec. Moi, j’ai mis plus de temps. Un goût vraiment dégueulasse.  Mon verre bu, je lui ai demandé d’éteindre la lumière. Il a appuyé sur l’interrupteur et s’est glissé peu après sous la couette. Sa main dans la mienne. J’ai souri en imaginant la gueule des gens nous découvrant. Un prêcheur et une vieille punk morts dans le même lit. Quel titre choisira la presse ?

        C'est plus notre histoire.

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