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Billet de blog 25 octobre 2016

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«Pas de jungle chez nous !»

«On en veut pas ! Rien à foutre chez nous ! On a déjà assez de soucis ici au village ! Qu’ils retournent d’où ils viennent. Nos enfants trouvent même pas à se loger. Qu’ils repartent tous chez eux !»

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
( Photo AFP)

       Des hurlements place de l’Hôtel de ville. La rue est bloquée. Je descends de vélo et marche sur le trottoir. « On en veut pas ! Y ont rien à foutre chez nous ! On a déjà assez de soucis ici au village ! Qu’ils retournent d’où ils viennent. Nos enfants trouvent même pas à se loger. ! Pas de jungle chez nous  ! Qu’ils repartent chez eux  ». C’est le rassemblement contre l’arrivée des réfugiés de Calais. Tous les soirs, ils viennent gueuler et tracter devant la mairie. Parfois, des contre manifestants favorables à l' installation pointent aussi leurs banderoles «Welcome». Le ton monte systématiquement mais, même si les mains s’agitent et des menaces proférées de part et d'autre, personne n’en est arrivé à échanger des coups. Combien de temps encore ? Un village avec les mêmes amitiés et inimitiés que dans n’importe quel groupe. Une population pas pire ni meilleure qu’ailleurs. L’arrivée de deux familles de migrants crée des dissensions dans notre commune. Guerre de territoire entre les pour et les contre l’accueil des réfugiés. Le maire payera-t-il son choix dans les urnes ? Notre village est coupé en deux.

Je rebrousse chemin et fais demi-tour pour rentrer à la maison. La lumière de la chambre de ma sœur est allumée. Rentrée du lycée et sans doute déjà à bosser. Sur quatre enfants, un seul est complètement à la ramasse à l’école. Il traîne et fait quelques conneries inquiétant mes parents. Rien de très grave mais il leur fait honte. Contrairement au reste de leur progéniture qui, réussite après réussite, nourrit leur fierté. Surtout depuis que ma photo est parue dans le journal local. J’étais sorti brillamment de Sciences po Paris. Notre famille est aujourd’hui totalement intégrée dans le village. « Regardez les Leroy. Y sont arrivés eux aussi avec que dalle chez nous.».  Une famille respectée et designée en modèle de réussite. Je me sens vraiment bien ici. Essayant de rentrer tous les week-ends et vacances scolaires au village. Revenir chez moi.

Maman m’embrasse. « Papa n’est pas rentré?». Elle hoche la tête. « Ils ont eu une souci sur le chantier avec une canalisation. Il rentrera un peu plus tard.». Je prends un paquet de biscuits et vais dans ma chambre. Un gros boulot à rendre demain. Important de commencer ce nouveau module par une très bonne note. C’est ma dernière année en école de commerce. Je vais sans doute partir me perfectionner aux États-Unis. Avant d’aller en Chine pour mon premier poste qui m’attend. Pour l’instant, je n’ai qu’un objectif : sortir major de ma promotion. Un tunnel de travail jusqu’à la fin de l’année scolaire. Mon ordi à peine allumée, ma sœur rentre sans frapper. Elle est livide. « Viens voir Jérôme, vite! ». Je la suis dans sa chambre. Sa fenêtre donne sur l’autre côté du boulevard. Sur le périmètre des habitations en cours de réhabilitation. Une foule est amassée devant un immeuble. «C’est là que les deux familles des réfugiés vont être logées.». J’ouvre la fenêtre.

Et remonte seize ans en arrière. Quand nous sommes arrivés dans le quartier. « Pas de Casosses dans le quartier ! On veut pas devenir une zone de non droitPas de racailles chez nous!». Les gendarmes avaient dû nous escorter pour rentrer dans notre immeuble. Ma sœur, morte de trouille, me tenait la main. Je n’en menais pas large non plus mais ne voulais pas le montrer à mon Papa. Tous les carreaux de l’appartement avaient volé en éclats. Nous nous étions réfugiés dans la cuisine qui donnait sur la cour. J'étais resté muet. « À partir d’aujourd’hui, nous sommes en guerre. Pas contre eux. Contre l’image qu’ils viennent de nous coller. Jamais je n’oublierais leur putain d’accueil. Quoi qu’il advienne, même si le temps me fait oublier, je ne peux oublier dedans. Mais on va leur prouver ce que nous valons. Chacun d’entre nous est la vitrine de toute la famille. Le premier qui déconne nous fout tous dans la merde. On va être les meilleurs voisins du monde, les plus polis, pas un mot de trop… Et vous quatre les meilleurs élèves à l’école. Leur montrer ce que notre famille à dans le crâne. On est pas des ploucs. Aujourd’hui, j’ai très mal. Mais demain, je veux que ce soient eux qui aient honteMême si notre humiliation m’accompagnera dans le cercueil.». Les cris de haine avaient fini par cesser. Nous avions pu explorer l’appartement. Jamais eu autant d’espace. Nous commençâmes par ramasser les cailloux sur le parquet. Notre première nuit chez nous. Une nuit sans fenêtres.

Un véritable enfer durant deux années. Des gosses de notre âge jetaient des cailloux sur notre passage. La boîte à lettre souvent remplie de merdes de chiens. Arrivé le premier à la boulangerie, servi le dernier. Plus toutes les autres saloperies commises ou les rumeurs véhiculées sur notre famille. Vol, viol, inceste… Nous avons eu droit à tous les qualificatifs. Rares les jours sans au minimum une insulte. Jusqu’à ce que nous gagnâmes une grande respectabilité. En effet, comme expliquait Papa, nous les sentions comme gênés. Surtout le nouveau maire qui avait été un des fers de lance de la croisade contre notre venue. Le même aujourd’hui encensant la réussite d’une «famille partie de rien». Il discute souvent avec moi. À un moment, j’ai donné des cours de maths à son petit-fils. «Tous nous aiment maintenant. Mais ils ont oublié le jour de notre arrivée. Comment ils nous ont traités pire que des chiens. Faut pas oublier. Rester toujours sur ses gardes. ». Contrairement à Maman, Papa et l’un de mes frères ainés, je ne suis pas rancunier. Pas facile mais j’y parviens. Pour ma part, je m’efforce d’effacer de plus en plus l’ardoise. En espérant réussir à l’effacer définitivement. Rien ne sert de ressasser. Faut oublier pour avancer.

Qu’une seule chose restant gravé à jamais dans ma mémoire. « Dehors les Cassos» à la peinture en lettre géantes, sur le mur en face de chez nous. Chaque fois, papa l’effaçait en pleine nuit. L’inscription disparaissait un ou deux jours avant de réapparaître. Ce mot me hantait. J’avais l’impression d’une seconde peau. C’est le gosse des Cassos. Longtemps, nous n’avons eu que ce nom. Les autres, dans le quartier, appelés les Payen, les Benabdouab, les Vasquez, les Thérond…Eux nous étiquetaient Cassos.« Ils sont super gentils et respectueux pour des Cassos.». Je préférais encore quand c’était sur le ton de l’insulte. Au moins, tu sais pourquoi tu es triste, abattu, on en rage. Même les assistantes sociales et les éduc employaient ce terme. Certes jamais devant nous.

 «On pourra rien foutre de ce gosse. Je l’ai renvoyé trois jours du collège.». C’était mon prof d’histoire visiblement en colère. L’autre enseignant lui demanda de quel élève il s’agissait. « Toujours le même. Le Cassos de la troisième B.». Pas de moi qu’il s’agissait, ni de quelqu’un de ma famille. En plus, je n’aimais pas cet élève avec qui je m’étais déjà battu. Mais Cassos dans la bouche de mon prof préféré, tolérant et ouvert, me fit plus de mal que celui en face de mes fenêtres. Et de tous les autres entendus avant. Ce jour là, j’ai compris que la culture et l’intelligence ne sont pas une garantie contre la connerie. Suffit de voir certains intellos et politiques pour s’en rendre compte. Ou mes collègues de l’école de commerce. La majorité, même ceux bienveillants, sont persuadés de savoir. Le doute est une option peu choisie par les élèves, sans doute éliminatoire. L’élite devant faire la pluie et le beau temps dans ce pays et partout sur la planète. Des caméléons capables d’occuper tous les postes. Je ferai sûrement un jour partie de cette élite. Peut-être aussi arrogant et vide sous le vernis. Comment échapper au pire de son époque ?

La foule hurle de plus en plus. Plusieurs hommes tentent d’arracher le portail de l’immeuble à peine installé. Les gendarmes réussissent à les repousser et bloquer l’accès à l’immeuble. Le maire tente de calmer ses administrés. En vain. Il est exfiltré par deux gendarmes. Des sirènes au loin. Un homme balance un caillou dans un carreau. « Dans le mille. On y va les mecs! Faut défendre notre village !». Une pluie de cailloux et d’autres projectiles s’abat sur la façade. Mon ventre se serre. Ma sœur se colle contre moi. Je pose ma main sur son épaule. Sont-ils aussi planqués dans la cuisine. « Regarde!». Elle pointe son doigt par la fenêtre. « Qu’est-ce qui y a?». Elle secouer. « Tu vois pas? Juste à côté de la camionnette.». Je reste sans voix. Comme le gosse réfugié dans une cuisine.

Papa balance des pierres.

NB) Cette fiction est inspirée d'une conversation entendue récemment dans un TER. « Moi, je veux pas de migrants dans notre ville. Notre maire est nul. On peut pas les accueillir. Déjà trop de pauvres chez nous et pas assez de toits pour nous. » La femme tenant ses propos était une maghrébine d'une quarantaine d'années. Assise à côté d'elle, sa mère les yeux perdus derrière la vitre. Combien d'anti-migrants descendants d'exilés ?

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