Ranger cet étranger. Faut pas qu’il dépasse. Bien rangé dans sa boîte ou dans sa niche. N’en sortant que quand on le siffle. Pour aller nettoyer des chiottes ou gagner la coupe de monde de foot. Les joueurs de l’équipe de France sont tous français ? C’est vrai. Mais aussi binationaux puisqu’on les soupçonne toujours d’avoir un double cœur. Pas que celui Bleu Blanc Rouge. Autrement dit, un étranger le reste à vie en France. Même né ici. À perpétuité un étranger de souche ?
Rien de nouveau. Même un homme ou une femme venu du village d’en face est un étranger. Le sera-t-il aussi au cimetière ? Parfois, certains profanent des tombes. Même sous terre, le ou la « pas d’ici » continue de déranger. Pas du tout les vers. Ils attaquent sans discrimination toutes les dépouilles. Et impossible de différencier un os d’un étranger de celui d’un défunt d’ici. Les morts ne rejettent personne. Seuls les vivants ont du temps à perdre. Rejeter un semblable mortel. Quelle perte de temps. La grande faucheuse s’occupe de tout le monde. Le temps perdu en haine pourrait être consacré à autre chose. Comme par exemple à soi. Et à ses proches.
Chaque être porte plusieurs étrangers en lui. Plus ou moins présents. Une présence de l’enfance à la mort. Le bébé qu’on a été sera étranger à l’enfant faisant ses premiers pas. Puis, sorti de l’enfance, on croise en soi un nouvel étranger nommé ado. Avant de passer dans la peau nouvelle d’un jeune homme, jeune femme, ou jeune autre genre. Et ainsi de suite, jusqu’à son dernier souffle. D’étranger en étranger sous sa propre peau. Le travail du temps et d’autres éléments ne cessent de nous transformer en un autre. Celui que nous ne connaissions pas avant de le devenir de l’intérieur. Une transformation qui nous permet d’évoluer. Penser et rêver plus loin. Sans ce changement, aucune progression de son histoire n'est possible. À chaque étape de son évolution, on devient un étranger. Différent de celui ou celle que nous avons été. Un être aux multiples visages intérieurs.
Radoter. Toujours cette impression de radoter. Mais en ce moment, ce n’est pas du luxe. Même si on a l’impression de vider un océan de connerie et de haines avec une petite cuillère trouée. Rappeler toujours et encore qu'agresser l’autre, l'Homme, la Femme, un autre Genre, l'Enfant, le Juif, le Musulman, le Chrétien, l’Athée, l’Agnostique, le Noir, le Blanc, le Jaune, le LGBT.... ; c’est s’attaquer à l’humanité. Autrement dit à soi : l’être multiple. Condamnés à s’aimer ?
Surtout pas. Aimer ne doit pas être une condamnation. Mais pas interdit de faire fonctionner son cerveau. Pour ne pas basculer dans la haine. Même si de nos jours, elle est devenue un produit de très grande diffusion. Aucun groupe humain n’y échappe. Toutefois, personne ne vous oblige à consommer ce produit. Comment refuser de toucher à cette came ? En allant à la salle de muscu de son cerveau. Pour muscler entre autres sa capacité critique. Et aussi un muscle très important. Lequel ? Le muscle de l’empathie.
Pessimiste ? Difficile de ne pas l’être de nos jours sombres. Mais parfois, une image ici ou là vous redonne espoir en l’humanité. Donner un exemple ? Non. À chacun chacune de chercher. Fouiller autour de soi ou plus loin. Sortir de cette inclination à chercher le pire chez l’autre ; on finit toujours par le trouver. Même dans son miroir. Notre époque chercheuse de poux dans la tête de l’autre nous incite à une forme de vigilance permanente. Tellement concentré sur la quête du négatif et tout ce qui pourra nourrir notre haine de l'autre ou d'un groupe devenu sa cible préférée, qu’on en oublie de voir les belles choses. Tout ce qui nous aide à ne pas céder au désespoir. À nous d’ouvrir les yeux et les oreilles.
Sortir de ses certitudes. Aller puiser en soi sa part d’étranger. Accepter la visite d’un ou une inconnue sous son crâne et sa poitrine. Celle ou celui qui nous fera douter. Sortir de notre regard habituel. Changer - ne serait-ce qu’un instant - son point de vue. Pour nous permettre d’avoir un autre regard. Sur soi, ses proches, le monde. Se débarrasser des peaux mortes de son esprit. Puis commencer à ouvrir une page de son histoire sur de nouvelles questions. Reprendre une tournée de doute. Pour un voyage en terre étrangère, dans son corps. Sans avoir besoin de passeport. Excepté celui de sa curiosité. Profiter du temps qui passe. Et des beautés du monde. Dans son rôle de mortel imparfait. Et de passage. Comme huit milliards d'autres solitudes.
Avec droit du soi.