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Billet de blog 26 août 2016

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Rentrée

Ils ont de la chance d'habiter en vacances. Une phrase que j’avais sortie à l’âge de cinq ans. Pour moi, les gens vivant là où on s’amuse en été, habitaient en vacances. Toutes les images du bord de cette belle rivière défilent sur la vitre de mon train du retour. De superbes vacances. Mais celles d’un autre. Pour rentrer, il faut être parti. Bienvenue au club des «sans rentrée» !

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Illustration 1
© Marianne A.

             Ils ont de la chance d'habiter en vacances. Une phrase que j’avais sortie à l’âge de cinq ans. Tout le monde avait ri. Pour moi, les gens vivant là où on s’amuse en été, habitaient en vacances. A quinze ans, je sais que c’est pas vrai. Eux aussi travaillent et ont des problèmes, comme en ville. Je sais aussi que l’été a une fin. Et que la rentrée revient toujours. Les soirées au bord de l’eau, le vélo, les clopes fumées en cachette, les conversations jusqu’à super tard, le pack de bières planqué près de la plage de la rivière, les grillades, écouter les adultes soûls refaire le monde, embrasser avec la langue, pister les étoiles filantes, les descentes en canoës …Toutes les images du bord de cette belle rivière défilent sur la vitre de mon train du retour. De superbes vacances avec la famille et les potes. Mais pas les miennes. Pour rentrer, il faut être parti. Bienvenue au club des «sans rentrée»!

Mes dernières vacances c’était en colo, à  neuf ans. J’ai quitté le quartier deux fois depuis que je suis né. Pas le seul ici comme moi. On traîne au supermarché, dans les squares… « Tu vas pas te plaindre. Y a pire sur la planète ». Ce que me dit mon père quand je râle. Il a raison: je suis pas un migrant sur la méditerranée ou sous les bombes. Ni un rom qui vit dans la rue. Mais je sais pas pourquoi: j’aime pas dire que je suis pas parti en vacances. Comme une sorte de honte. Je sais que mes darons, même s’ils le cachent, ont honte aussi de même pas pouvoir nous payer une colo de vacances. Alors chaque rentrée, j’invente des histoires au cas où un prof me demande de raconter mes vacances dans une rédac. Pas facile à faire mais j’aime bien ca. Moi aussi j’ai ma rentrée. Des souvenirs à partager avec les potes. Même si c’est une fausse rentrée.

Momo m’aide à écrire cette rédac. C’est un ancien instit et directeur de l’école. Momo est à la retraite. Il a eu mon daron comme élève. Moi c’était mon directeur. Tout le monde le connaît ici. Il habite au 17 ième étage, le dernier étage de la tour en face de l’école où il bossait. Momo a jamais voulu quitter le quartier. C’est un des plus anciens de son immeuble. Mais il sort plus beaucoup de chez lui. Je monte souvent le voir. « Bizarre d’acheter de l’herbe à mes anciens élèves. Mais c’est comme ça.». Les grands de la cité me demandent de lui monter sa beu. Il fume pas mal. Pour calmer sa maladie. Je sais qu’il a vachement mal mais y m’a jamais dit ce qu’il avait. On parle souvent là-haut tous les deux. Il m’aide quand j’ai des trucs que je comprends pas au collège. Plein de gens vont le voir pour remplir les papiers. Il a un p’tit bureau à l’entrée de son appartement. Moi j’ai le droit d’aller au salon. Une grande pièce d’où on voit toute la ville. J’aime bien être là. Au-dessus de la ville et de ma vie. Comme dans un autre pays. Et Momo parle.

«Tu vois P’tit mec; dans quelques jours, tout le monde va rentrer. Chacun va exhiber son tatouage de saison et revenir chargés de belles images. Et surtout de silence : le dernier des vrais luxes. Le plein de nature pour attaquer l’année. Ce n’est pas ton cas, ni de tous les autres qui n’ont pas pu partir en vacances. Les ministres vont faire la photo sur le perron de l’Elysée. Tous les politiques vont y aller de leur petite phrase. Le marronnier de rentrée de la presse. Mais cette année, ils ont en plus leurs jeux olympiques d’urnes. La course pour 2017. La présidentielle. Moi, je m’en fous…. Je ne pense pas que je serai encore là à les voir baratiner. Pour moi, les Hollande, Sarkozy, Le Pen, Mélenchon, le ministre banquier au costard et maillot de bain Paris Match, sont devenus interchangeables. Des clones élevés, pour la majorité d’entre eux, dans les mêmes écoles et fidèles du Dieu pognon. Paraît qu’il ne faut pas dire ça, que ce genre de propos alimentent les fachos… Pourquoi dire autre chose que ce que je pense ? La fermer pour faire semblant encore combien de temps ? Jusqu’à ce que la bête immonde, aujourd’hui les intégristes religieux ou d’extrême-droite, nous mettent au pas ? En plus de la mise au pas planétaire de nos amis de la finance carnivores. Ma colère et mes désillusions sont aussi légitimes que leurs éléments de langage, trahisons et promesses tenues que devant les micros et caméras. Pas tous pourris évidemment, mais un bon paquet quand même. Surtout parmi ceux qui veulent nous gouverner. Suis-je désabusé et poujadiste ?

Sans aucun doute un vrai déçu de la République. La majorité de ces politiques, qui me donnent envie de gerber, ne travaillent que pour leur ego, leur portefeuille ou leur famille. Ils ne représentent plus qu’eux et un cercle restreint bouffant dans les mêmes cantines. Je n’ai plus la moindre confiance en eux. Pourtant, j’ai longtemps été un militant, grand batteur de pavés et porteur de banderoles. Il y a vingt ans P’tit mec, je t’aurais tenu un autre discours. Foutu un coup de pied au cul pour que tu ailles voter, même blanc. Aujourd’hui, je te dis : fais ce que tu veux. Voter ou pas ne changera absolument rien pour toi. Tes parents et grands-parents du quartier le savent très bien. Suffit de regarder autour de soi, dans ce quartier et d’autres endroits de ce pays, pour voir que les dindons de la farce républicaine sont toujours les mêmes. Liberté, égalité, fraternité, plus qu’un mirage républicain ? Trois mots cache-misère ?Espérons que la majorité ne pense pas aussi pessimiste comme moi, sinon c'est foutu.  Je crois que... A quoi bon radoter et enfoncer des portes ouvertes depuis des décennies ? C’est la rentrée… La rentrée des nasses

Momo était bizarre. Jamais je l’avais vu comme ça, aussi sérieux. D’habitude, il finissait toujours par se marrer et me dire : « Perds pas ta jeunesse avec un vieux con qui a paumé son pari de changer le monde. Bon, je me refais un petit pétard pour la déroute.». Il avait corrigé vite fait les fautes sur la rédaction que j’avais écrit d’avance. Pour une fois sans m’engueuler. «La ponctuation c’est pas pour les chiens P’tit mec. Ta langue est ton meilleur véhicule. Ton prof de français c’est comme un moniteur d’auto-école. Il t’apprend à conduire mais après tu vas où tu veux, sans lui, tu ne feras que du sur place. Mais tu ne pourras pas voyager sans avoir ton permis.». Souvent preneur de tête avec ses conseils. Un mec d’un autre siècle. Triste et en colère. Mais on se marrait bien quand même. Il m’avait aussi appris à jouer aux échecs. Je lui avais demandé ce que c’était une nasse. Il avait soupiré et demandé de le suivre sur le balcon. « Cherche.». Comme d’habitude, il m’avait tendu le dico.«Panier conique doté d'une entrée en goulot et se terminant en pointe dans lequel le poisson, une fois entré, ne peut plus sortir..». Pourquoi y me parle de pièges à poissons ? Je l’avais regardé en me disant que Momo devenait vraiment barge. Il fumait trop. Pas bon de mélanger la beu avec les médocs. Il avait plein de médocs sur la table de la cuisine. Momo était cramé ?

« Regarde cette ville, ta ville, la mienne… Chacun sa nasse. On t’y piège ou, pire encore, tu y entres tout seul comme un grand. Là-bas, tu as la nasse mosquée avec les musulmans; ils ont leurs écoles confessionnelles ou cours particuliers. Plus loin, c’est exactement la même chose avec les synagogues. Pareil pour les églises. Chacun son culte, son éducation. Chacun sa nasse divine. Et puis il y a les écoles, comme celle fréquentée par ton père et toi. Des écoles publiques et laïques prévues pour la majorité des élèves des quartiers. Plus tout à fait comme ça de nos jours. Tu y vois désormais surtout des noirs, des arabes, des roms, des français de souche comme on dit maintenant… Tous de la même couleur: pauvre. Nassés dans leurs écoles ghetto. J’exagère car il y a tout même quelques gosses de bobos; jusqu’en CM2. Ne pas oublier non plus la nasse bobo. Tu vois les lofts et les maisons, près du centre. . Chaque matin, des ados en sortent avec un violon sur le dos ou une guitare à la main, ils traversent le quartier pour aller étudier dans une école Montessori ou dans un établissement public de la ville friquée de l’autre côté. La plupart de ces élèves  ont des papas et mamans à gauche et pour la mixité sociale… L’ancienne ministre et la maire de ville ont-elles mis leurs gosses dans l’école publique de secteur? Pas sûr du tout. Force est de reconnaitre que ce n’est pas facile de coller son gosse dans un collège ghetto comme celui dans lequel tu es, et où ton père est aussi passé. Pas sûr que si j’avais des mômes j’aurais envie de les y inscrire. Ma femme me disait toujours que je vois tout en noir. Elle se plantait. C’est la réalité. Une réalité que tous ceux qui viennent blablater à la radio ou télé ne changeront pas. Ils sont bien à l’abri dans leur nasse dorée. Au fond, je suis aussi dans une nasse. La nasse du ronchon. C’est con de ma part de te désespérer mais je n’ai pas envie de rajouter à leur putain de démago. Te baratiner en te disant de patienter et que le changement va arriver. Faut que tu saches que toi et tes proches vous ne les intéressez qu’en période électorale, ou pour filer votre sueur à l’usine, dans des bureaux, ou sur des terrains d’opérations militaires avec du pétrole à la clef. Taillables et corvéables à merci, comme à une autre époque. De nouveaux esclaves de l’ère numérique. Les chaînes virtuelles moins faciles à briser? Tant que nous aurons les mêmes politiques de père en fils et fille, mari et femme, rien ne changera. Les usines à technocrates ont bouffé la politique, le journalisme, l’éducation… Les banques et les fachos de souche ou avec barbe et kalache gagnent le plus à ce jeu là. Pas toi, ni la majorité de tes collègues de misère. Les « sans dents» et les «sans vacances » très appréciés avant et pendant les élections. Je les… Laisse tomber mes conneries, P’tit mec… Oublie ce que je t’ai dit. Des ratiocinations de vieil homme usé. Un abruti de naïf qui a cru aux sirènes de la République! Ne te fais pas avoir comme moi, tes parents et tes proches d’ici. Plonge toi dans la littérature, regarde des tableaux et des films, écoute de la musique, joue d’un instrument, aime, cours le monde, cherche la beauté, révolte toi,  sois curieux de toi et des autres, sois intelligent, sois con, vis ta vie, pas celle qu’on cherchera à t’imposer, fais… Allez, barre-toi ! Rentre chez toi P’tit mec avant que je t’inocule mon putain de virus ! Un mec qui sait plus critiquer que proposer. Plus grand-chose sous la pédale à espoirs. Désolé P’tit mec mais je suis super crevé ce soir. Besoin d’éteindre sous mon crâne.».

Momo arrêtait pas de se mettre en colère. Contre tout le monde. Surtout les hommes politiques et les journalistes. Mais aussi contre moi et mes potes qu’il traitait de moutons de Panurge numérique. Il était pourtant toujours sur le net, jamais sans sa tablette. Un vieux geek.« Le Web c’est une des plus belles inventions après Gutenberg pour éclairer les cerveaux mais aussi pour les obscurcir et les pourrir. Tu peux visiter virtuellement les plus beaux paysages, voir des toiles de maîtres, apprendre le yoga ou la cuisine indienne… Mais aussi concocter une ceinture d’explosifs ou cracher ta haine sur un écran. Un jour, il m’avait montré comment on peut manipuler des images. Pas plus balèze que Momo pour te démonter les arnaques du Net. Je fais gaffe maintenant à ce que je vois sur Youtube et ailleurs. Il m’a appris à regarder derrière les images. «Dans un pays laïc, chacun croit en ce qui lui plaît… République merci. Mais quand même faut être con pour s’entretuer et crever pour un personnage de fiction. Les grands frères et après Dieu en force dans les cités c’était une très mauvaise idée de nos chers dirigeants. A quoi reconnaît-on nos dirigeants ? Ils vivent toujours loin des quartiers où la merde ne se transforme jamais en or républicain.»  Je crois que Momo était comme un vieux guerrier. En guerre contre la connerie humaine. Un guerrier avec des mots.

Fais quel temps chez toi ? On était avec les potes dans le square quand j’ai reçu son SMS. J’ai levé la tête et vu la lumière à son balcon. Toujours le dernier à se coucher dans le quartier. Mais jamais il m’envoyait de SMS aussi tard. « Faut que tu dormes la nuit si tu veux que ton cerveau marche bien le matin.».  Super zarbi son SMS. « Flippe pas. Le vieux Maurice a encore trop fumé.». Je m’étais dit que les potes avaient raison. Monter ou pas chez lui ? J’étais resté quelques minutes au pied de sa tour. J’ai frappé chez Momo mais il a même pas ouvert ou balancé son habituel: « Pas de bipède chez moi aujourd’hui ! ». J’ai grimpé sur le toit et je suis passé par une trappe. J’ai cassé la fenêtre de ses chiottes et je suis rentré. Il était assis, à poil sur son balcon. Plus personne dans ses yeux.

Le crématorium est bourré à craquer. La mairie a même été obligée de mettre des grilles pour la queue. Presque tout le quartier est là. Mon père a les yeux plein de larmes. Il s’est tiré à un moment, sûrement pour aller chialer loin des regards. Des vieux, des jeunes, le maire, des instites, des cailleras, des femmes voilées, des pas voilée, des FN, le curé, l’imam, le rabbin, des bobos, le con du bâtiment C, des flics, des gens que je connais peu ou pas du tout, la bimbo du quatrième… Plein d’habitants qui se haïssent et se parlent plus. Toutes les nasses réunis pour le dernier voyage de Momo. Un mec en costard parle dans le micro. Momo aura peut-être une rue à son nom. « Quel est le con qui m’a proposé à la légion d’honneur. Porter le même joujou qu’un prince coupeur de têtes et lapideur de femmes, un marchand d’armes, un pollueur de planète, des escrocs de la République avec ou sans Rolex… . Jamais de la vie ! Mon honneur à moi c’est d’avoir essayé de donner des outils  à des gosses pour devenir des citoyens du monde. »Je lève la tête. Demain c’est la rentrée des classes. Première fois que Momo la verra pas de son balcon.

Nos dernières fausses vacances ensemble.

         NB) Cette fiction est inspirée de la réalité de millions de «sans rentrée» des villes et des campagnes.

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