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Billet de blog 26 février 2025

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Le pays des inconsolables

Chacun voit souffrance à sa porte. Que ce soit à midi ou à minuit. Supérieure aux autres souffrances? Non.Les autres souffrances n’existent pas. Ou très loin, pas à portée de son cœur meurtri. La souffrance permanente d’hommes, de femmes, d’enfants. Mais aussi de plusieurs peuples. Habités par une plaie ouverte. Des êtres et des peuples inconsolables. Sans paix possible ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
© Marianne A

« On ne guérit jamais. Ne laissez personne dire que vous guérissez un jour complètement - ce sont les vivants qui doivent enterrer les morts. » Colum McCann

« Il y a des limites au désespoir. Il n'y a pas de limites à l' espérance. »

Edmond Jabès

               Chacun voit souffrance à sa porte. Que ce soit à midi ou à minuit. Elle est toujours présente. Supérieure aux autres souffrances ? Non. Les autres souffrances n’existent pas. Ou très loin, pas à portée de son cœur meurtri. Trop recroquevillé sur sa douleur pour voir le reste du monde. Centré sur sa blessure et celle de ses proches. Plus rien d’autre ne compte. C’est la souffrance permanente d’hommes, de femmes, d’autres genres, d’enfants. Mais aussi la  blessure de plusieurs  peuples. Habités par une plaie ouverte. Et qui ne sera jamais refermée. Des êtres et des peuples inconsolables.

         Comment réagir ? Pour les souffrances individuelles ; des « soigneurs professionnels » s’en occupent. Certains ne parvenant qu ‘à écoper la barque d’une histoire pour qu’elle continue au moins de flotter. Tandis que d’autres réussissent plus qu’un colmatage. Parfois, on assiste à de vraies guérisons. Quelle proportion de réussites et échecs ? Je n’ai pas la réponse. Les psys sont tous des escrocs ? On dit ça aussi des garagistes. Sauf le sien qui, lui, est vraiment bien et qu’on conseille. Comme pour les garagistes, de bons et de mauvais psys. Toutefois même après un très bon travail thérapeutique, les ombres du passé n’en seront pas anéanties. La violence subie demeure inscrite à jamais dans sa chair. Elle reviendra hanter plus ou moins souvent le présent. Mais si la barque est bien colmatée, beaucoup de risque d’un nouveau chavirage. Plus complexe pour les souffrances d’un peuple.

          En effet, ça me semble difficile. Voire même impossible de tenter de guérir la souffrance de tout un peuple. Quelle que soit la profondeur de la blessure. Une population traumatisée ne peut s’allonger sur un divan ou suivre des soins dans une institution psychiatrique. Le peuple noir ne guérira jamais de l’esclavagisme. Les Juifs ne guériront jamais de la Shoah. Les Indiens, les Africains, les Palestiniens, et d’autres peuples, ne guériront jamais de la colonisation. Les noirs d’Afrique du Sud ne guériront jamais de l’apartheid. Aucun peuple blessé ne peut oublier sa blessure. Présente à jamais. Pourquoi soigner tout un peuple est impossible ?

         Parce que sa souffrance est sans cesse mise en avant. À travers les livres d’histoire et les commémorations. La littérature, le cinéma, le théâtre, et d’autres arts, évoqueront aussi la plaie collective. En fait, rien de plus normal que de conserver cette mémoire et l’alimenter. Ne serait-ce que pour ne pas répéter le pire. Malheureusement, les peuples ont aussi des troubles de mémoire. Capables pour plusieurs d’entre eux de replonger dans le pire. Voire même de faire subir à d’autres populations ce qui les a détruit. Sans penser être passés dans le camp de leur bourreau. Comme un enfant battu ou violé peut faire subir à l’autre ce qu’il a subi. Nul individu n’est à l’abri de reproduire la violence qu’il a vécue. Pareil pour les peuples.

       Que faire puisqu’il n’y a apparemment plus rien à faire ? La solution vient surtout de soi. Une phrase souvent entendue de psys évoquant leur métier. Pour un certain nombre d’entre eux, le premier guérisseur se trouve sous sa peau. Même s’il a besoin d’une assistance extérieure – notamment dans les cas très graves. Mais l’essentiel du chantier surtout de l’intérieur. Guérir ou tenter de s’approcher de la guérison seraient donc un acte en grand partie individuel. Une main peut-être tendue pour se relever. Avec comme objectif de se remettre debout à tous les sens du terme. Puis une autre main peut aider à reprendre sa marche. Avancer pas à pas. Soudain, on se re-casse la gueule. La main releveuse reprend du service. Pour repartir. Mais personne d’autre que soi ne peut faire le chemin.

         Des similitudes avec les souffrances des peuples ? À mon avis, les solutions doivent aussi venir de l’intérieur. Générées par les populations concernées. Pas de solutions clefs en main (ce qui est souvent le cas pour des raisons géostratégiques) de pays plus ou moins loin du conflit en cours. Même si d’autres nations peuvent être très actives pour arrêter une guerre et établir une paix plus ou moins durable. Sans doute que la guérison relative viendra de chaque camp. Plus précisément de certains et certaines, de part et d’autre de la plaie. Des êtres blessés qui ne verront plus uniquement souffrance qu’à leur porte. Levant les yeux pour regarder vers l’autre peuple. Constater qu’il a aussi souffrance à ses portes. La réconciliation ne pourra venir que de l’empathie multiprises. Même si le sang versé ne sera jamais effacé dans les mémoires. Mais, d’un bord et de l’autre, des femmes et des hommes blessés feront tout pour arrêter le robinet à haine contre haine. Cesser d’alimenter la mémoire en sang.

       Plus facile à écrire qu’à faire. Pendant la rédaction de ce billet, l’abominable n’a pas cessé. Il continue pendant votre lecture. De l’abominable non-stop partout sur la planète. Des mots encore enfonceurs de portes ouvertes. Pourquoi alors les avoir écrits ?  C'est en pensant à elles. Qui ? Deux femmes. Je ne les connais pas. Mais je sais qu'elles existent. Nombre de photos de ces deux femmes et d'autres comme elles circulent sur la toile. L’une serre le corps de son enfant mort, l’autre aussi. Chacune un cadavre contre le ventre qui lui a donné la vie. L’un est mort assassiné à l’arme blanche, l’autre détruit par un missile. Leur expliquer la différence de mode opératoire des deux crimes ? Elles s’en contrefoutent.  D’autres pensées les traversent. Ou plutôt les déchirent. Pour chacune : il n'y a que son enfant qui compte. Un corps sans vie dans leur bras. Combien pèsent la mort de l’un et l’autre ? La préoccupation de certains et certaines de nos contemporains. Deux enfants pesant trop lourd pour toutes les balances du monde. Le poids de notre humanité morte.

           Chacune vient d’un pays différent. Mais liées par la même guerre. Des générations de haine entre toutes les deux. Se haïssant sans savoir réellement pourquoi. Comme la majorité des deux peuples. Même si, ici et là des hommes expliquent les racines de la violence. Avec force explications historiques. Expertise contre expertise. Le cocktail « Shoah et colonisation » ne peut qu’être explosif. Un des deux peuples va vaincre. Ce sera comme pour les Indiens d’Amérique. Les cow-boys ont gagné. C’est foutu. Faut pas rêver. Ce que m’avait dit un vieux juif séfarade au début des années 80. Un homme toujours fourré avec les Arabes de la rue de Paris, à Montreuil. Il buvait de temps en des coups avec mon vieux. L’un couleur rosé et l’autre jaune. Je le trouvais pessimiste et lui donnais tort. Jeune utopiste de 16 ans persuadé que l’intelligence finirait par triompher de la connerie humaine. Aura-t-il raison post-mortem ? Revenons à elles. Toutes deux survivant désormais dans un troisième pays. Elles en sont désormais habitantes à perpétuité. Quel est le nom de leur pays ?

      Inconsolable.

        Ce troisième pays qui fait que le pire perdure. Comme la course au sang contre sang. Pourtant de ce pays peut aussi émerger une solution. Comment ? En jumelant les souffrances de ces deux femmes. L’une et l’autre connaissent le poids de la perte de l’humanité. Perdue à jamais. L’humanité portée en elles avant de la tenir glacée contre leur chair. Bien sûr, des femmes issues d’un peuple ennemi. Mais elles sont désormais du même pays. De là où peut-être naîtra la paix. Une vraie. La paix signée par des mères usées de voir mourir leurs enfants. Le changement viendra d'elles. Moins de chance qu'une vraie paix naisse des hommes. Nombre d'entre doués depuis la nuit des temps pour la guerre et la destruction . Et si on laissait les clefs du monde à ces deux femmes.  Ainsi qu'à d’autres comme elles. Pour que l’enfer cesse sur terre. Et que le corps de l’humanité soit toujours chaud entre les bras d’une mère. Quel que soit son peuple.

         La paix des inconsolables.

NB : Un peu d’optimisme quand même en guise de conclusion. Qui aurait pu croire à la fin de l’apartheid en Afrique du Sud ? Avec cerise sur l'impossible : la réconciliation. Pourtant, ça s’est fait. Deux Mandela (homme ou femme) sont demandés d’urgence au Proche-Orient. Pour que cesse le carnage humain. Et d'autres Mandela ailleurs sur la planète entre les mains d’une poignée de destructeurs.

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