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Mouloud Akkouche

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Billet de blog 26 mars 2015

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                                                                                                                                                                                                 Printemps 2017                                                                                                                                                               

         Depuis toute petite, j'admire mon père. Plus je grandissais, plus cette admiration augmentait. Je ne jurais que par lui. Mon Père Noël et Superman toute l'année. Sa prestance, sa culture, son phrasé, sa volonté, et de nombreuses autres facettes de sa personnalité, me fascinaient et continuent toujours de m’impressionner. Ma plus grande fascination. A tel point que j’ai voulu devenir lui.

      Sans doute plus facile pour moi. Fille de vous ouvre nombre de portes mais vous en claque aussi au nez. Surtout quand vous êtes sa fille à lui. Pas un nom facile à porter. En tout cas, je n’ai pas eu à me battre comme lui pour gravir les échelons sociaux. Fils de personne, il est devenu quelqu’un. Et moi je n’ai eu qu’à suivre. Fille de son papa.

         Aujourd’hui, à part nos origines sociales différentes, j’ai la même carrière que lui. Et nettement plus rapide. Est-il fier à son tour de sa fille ? J’ai l’impression que  ma réussite lui fait énormément plaisir. Bon sang ne saurait mentir, sourit-il  parfois en me caressant la joue. Un sourire avec une irrépressible pointe d’amertume. Brillant, il réussit toujours à cacher derrière un bon mot ou embraye sur un autre sujet. Je sais bien que les projecteurs braqués sur moi le relègue dans l'obscurité et la solitude d'un océan ayant englouti son enfance. Comme si mon immense  réussite, petite fille à papa, lui rappelait soudain toute sa trajectoire sans père. Fils d'un marin mort en mer. Une irrépressible tristesse dans son regard de vieillard. Fier et perdu.

     Depuis mon irrésistible - certains rêvent d’amputer les deux premières lettres- ascension, nous n’avons plus tout l’occasion de bavarder. Mon agenda est devenu plus important que nous deux. Plus du tout comme quand je n’étais que sa fille, une gamine à modeler pour être à la pointure de ses rêves à lui. Un peu à la manière du bandage de pieds en Chine. A la différence que je devais chausser ses chaussures. Il a rêvé tout ce que je suis maintenant. Et j’étais complètement consentante, même demandeuse. Toujours dans ses pattes à vouloir apprendre à lui ressembler. J’ai réussi. Lui c'est moi.

      Ce matin, je n’ai pas envie de sortir de ma chambre. Plus d'une heure plantée devant la fenêtre à suivre le ballet des écureuils. Jalouse de leur liberté d’oiseaux sans ailes, toujours entre deux branches. Pas de sourire de combat à arborer du matin au soir. Ni le poids des regards à supporter. Et ce putain d'agenda.

       A mes débuts, toute la haine qu’il avait générée après tant d’années se déplaça vers moi. Un poids très lourd. La haine se mérite aussi mais est moins dangereuse que l’amour, m’enseigna-t-il très tôt.  Une leçon que je n'oublierai pas et  me sauva plusieurs fois de situations délicates. Comme lui, la cruauté ne m'impressionne pas.  Détester c'est prendre de l'avance sur les trahisons inévitables dans l'existence. Une vraie Cruella des urnes.

       Au fur et à mesure que je prenais sa place, la violence, si forte contre  lui, a perdu de son intensité contre moi.  Pourquoi ? Parce que je n'ai torturé personne ? Le fait d'être une femme. D'autres persuadés que j'ai réussi à policer notre nom. Le rendre moins redouté et plus respectable. Sûrement un mélange de tout ça.

       En tout cas, grâce à ses conseils, j’ai réussi à gérer cette animosité dirigée sur notre famille et SON parti. Quoi que je dise ou fasse, il restera son bébé. Sa bouée de sauvetage à perpétuité. Sans se rendre compte, ceux qui nous rentraient dans le lard ont conforté ma volonté de nous hisser au plu haut. Nous venger de leurs moqueries. Tous allaient le regretter et nous manger dans la main.

        A mon arrivée dans l'arène politique, il me protégeait des coups. Chaque fois qu'il me sentait en état de faiblesse, un genou à terre, il me prenait à part et,comme qund j'étais gamine, me racontait des anecdotes de son passé, enchaînais sur la pluie et le beau temps, jusqu'à ce que j'affiche un sourire combattif. Au fil du temps, les choses se sont inversées. Les morsures du temps lui faisaient perdre de sa confiance. Parfois, lui le si grand orateur, ne finissait pas ses phrases. Discrètement, je suis devenue sa protectrice. Mon but, même si ça l’agace, est d’être sa meilleure garde du corps. Assurer sa dernière protection rapprochée.

       Pourquoi ce soudain coup de blues m’arrive aujourd’hui ? Hier, avant-hier ou demain, aurait été moins catastrophique. Pas un jour aussi important que celui-ci. Je sais qu’ils m’attendent. Aucun n’osera venir frapper à ma porte. Seul lui peut venir à l'improviste. Il ne le fera pas. Depuis quelque temps, il se désintéresse de tout ce cinéma médiatique qu’il aimait temps. A la moindre caméra, il bombait le torse et commençait son numéro. Un vrai acteur. Il m'a transmis son goût du  jeu. Et du je, ironisent mes détracteurs les plus proches. Désormais, son regard semble sauter, comme ces écureuils, d’un moment à l’autre de son existence. Imperméable au reste du monde. Retour à une enfance sans autre racines qu'un nom. Notre nom.

      Ce patronyme que je représente et doit défendre. Encore plus aujourd'hui. Pourtant je n'ai qu'une envie, après ma nuit d'insomnie, rembobiner le film de mon histoire intime jusqu’à mes premières années. La période avant le départ de maman. Quand, avec mes peluches, je parlais des heures entières. La nuit, leur présence me protégeait de tous nos ennemis. Jamais mon père ne l’a su mais j’entendais parfois des conversations où il était question d’attentats, d’armes, de sang… Et j’étais inquiète pour lui, pour notre famille. Et pour mes peluches.

        Les seules à ne pas voir peur de lui. Jamais l’une d’entre elles ne s’est planquée sous la couette quand sa grosse voix résonnait dans la maison. Contrairement à moi tétanisée, le cœur battant à attendre que la tempête quitte notre foyer. Elles s’en foutaient complètement. Rien ne semblait les perturber. Plus fortes que lui.

         Personne, à part mespeluches, ne l’a su. Avant le divorce, je rêvais d’être une grande voyageuse. Sans doute un rêve né du globe lumineux reçu à Noel. Je passais des heures à le tourner, fermer les yeux et poser l’index sur un endroit de la planète. Paupières closes, je restais un instant à essayer d’imaginer la vie des habitants et les paysages de ce lieu inconnu. Les seuls véritables moments où je n’étais pas sa fille, ni celle qui devait devenir quelqu’une et finir par lui succéder ; le tuer à chacun de mes pas  lui rappelant la fin de son voyage. Quand je rouvrais les yeux, jamais mes projections ne correspondaient à la réalité de la carte.  Une fois, qu’est-ce que j’ai ri, j’avais installé des gratte-ciels sur la calotte glacière. L'un de mes jeux préférés.

              Des siècles que le globe pussièreux s’est figé dans un grenier. Plus personne pour lui donner l’impression d’être durant quelques instants la planète qu'il représente. En orbite dans les yeux d’un gosse. Qu’est-ce que donnerais pour poser l’index sur  sa rondeur lumineuse. Et ne jamais rouvrir les yeux. Voyager sans chauffeur.

              En fait, après tant d’années, je me rends compte que je ne suis pas comme mon père. Loin de posséder sa carapace et sa rage de fils de personne pour se battre. Bien sûr, je sais cogner, passer la brosse à reluire, trouver la réplique qui tue, jouer la comédie devant n’importe quel public. Très à l’aise dans la boue d’une ferme, les rues d’un quartier populaire, ou au sein de la grande aristocratie. Sans doute plus efficace, meilleure caméléon que lui dont la rage revancharde sur ses fils et filles de  le déborde trop. Sans doute aurait-il rêvé d'un nom à particule ou être issu d'un des grandes familles historiques de ce pays. Parfois, je sens une imperceptible pointe de haine contre sa fille de. Je dispose d'armes qu’il n’aurait jamais, pas besoin comme lui de renier mes origines modestes pour singer ceux qui ont les codes du pouvoir. Je suis l’une d’eux. De leur famille. Pas une fille de personne.

              Ma réussite dépasse de très loin tous nos espoirs. Plus de unes de journaux et de passages radios et télés en quelques années que lui en des décennies. Sans l’aide de quelques-uns ayant besoin de sa présence dans les médias, jamais il n’aurait eu les faveurs d’un quelconque JT. Moi, je suis obligée de refuser les invitations. Sollicitée sans cesse par les journalistes sûrs de faire du buzz avec moi. En plus, je remplis beaucoup plus les urnes que lui. Cela dit, mes adversaires sont moins efficaces que les siens à son époque. Je sais bien que ça ne le console pas. Sa fille de a battu le fils de personne.

              Mais il ne sait pas que je n’ai plus envie de me battre. Peut-être plus usé que lui à son âge. Au fond de moi, je sais que je ne suis pas faite pour ça. Sans doute le savait-il car il me conseilla au début de mon ascension  d’avoir toujours une porte de sortie où que je me trouve. Et quelqu’un, complètement hors de la famille et des proches, sur qui compter. Toujours pouvoir s’exfiltrer à tout moment. Comme lui dans chacune de ses habitations.

              J’ai suivi son conseil. Une des portes de la cave donne sur un souterrain. Rares ceux qui connaissent la sortie bouffée par la végétation près de la nationale. Elle m’attend dans sa voiture avec une perruque et des vêtements de rechange. C’était une de mes monitrices de haute-montagne. A bientôt soixante ans, elle passe encore la moitié de son temps à gravir des montagnes sur toute la planète. Des semaines loin de chez elle, injoignable.  Je ne la vois quasiment jamais mais l'appelle de temps à autre. Elle est mon épaule et mon coup de pied au cul. Quand je lui ai demandé, elle a tout de suite accepté. Et même préparé un deuxième sac de couchage. 

        Le texto de mon principal conseiller me demande si je suis bien réveillée. Mon père, à une autre époque, serait entré et m'aurait dit «  Magne toi ! On t’attend ! ». La presse doit embouteiller l’entrée principale du parc. Sans doute que leurs collègues font le pied de grue devant le bureau de vote. Mes électeurs me suivent aussi à la trace. Un pays suspendu à mon geste.

              Le bulletin ou le piolet ?

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