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Billet de blog 26 mai 2025

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La mémoire sous la peau

Des bouches parlent.D’autres occupent l’espace sonore. Des mains écrivent. D’autres remplissent des cases. Contrairement aux voix mêlées de Frantz Fanon et Alice Cherki.Deux bouches qui parlent. Sa main à lui a écrit. Celle de l’invitée de l’émission continue d’écrire. Et sa bouche nous parle encore. Tendons l'oreille. Pour écouter deux paroles universelles. Et uniques.

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Illustration 1
© Photo: N.D

           Des bouches parlent. D’autres occupent l’espace sonore. Des mains écrivent. D’autres remplissent des cases. Une petite réflexion pendant que j’écoutais une émission. En me rendant compte d’ailleurs avoir hérité de la posture de mes parents : regarder le poste de radio comme un spectacle vivant. Cette émission était consacrée à Frantz Fanon : psychiatre, auteur, anticolonialiste. Une très bonne pièce radiophonique retraçait son histoire. Alice Cherki, une femme, l’ayant connu, était invitée. Elle-même psychiatre, autrice, anticolonialiste. Deux bouches qui parlent. Sa main à lui a écrit. Celle de l’invitée continue d’écrire. Et sa bouche nous parle encore.

         D’un seul coup, l’impression de se relever. Sortir d’une torpeur intérieure. Les mots de ce duo de penseurs poussant à s’extraire d’une sorte d’ « avachissemental ». Qui n’ a jamais dit « aujourd’hui pas envie de penser, je m’affale devant une connerie à la télé ou je traîne sur le web ». Rien de plus naturel. Je le fais souvent. Mais indéniable qu’on peut se laisser piéger. Le fameux j’arrête quand je veux » de telle ou telle addiction. Tout ça à cause de notre assujettissement numérique ? La faute des réseaux ? Pas du tout. Juste à cause de moi. Trop facile de camoufler sa part de responsabilité en la faisant porter à son époque. Son cerveau et son cœur en service minimum ne sont imputables qu’à une seule personne. Celle dans son miroir.

      Même si bien sûr le lavage de cerveau existe. Sans oublier les pousse à la haine. Des diviseurs et diviseuses très présents dans certains médias. Certes rien de nouveau. Mais la machine à briser notre « intelligence de cerveau et de cœur » n’a jamais été aussi forte. Même certaines têtes bien pleines se laisse aller à la facilité narcissique de l’attraction du vide qui brille. Nul n’est à l’abri de ce genre de dégringolade. Mais, dans tous les cas, c’est toujours soi qu’il faut d’abord remettre en cause. Sans sombrer dans la culpabilisation et dans l'autoflagellation. Sa remise en cause peut-être joyeuse et teintée autodérision. Ça me semble nécessaire de s’attaquer à ses chaînes visibles ou invisibles. Comme de balayer devant son écran jumelé à sa chair.

          Les mots de cet homme - mort très jeune - sont toujours d’actualité. Même si certains et certaines les ont arrangés à leur sauce identitaire et communautariste. Générant de nouvelles frontières. Ce qui n’était pas du tout le propos de Frantz Fanon. Au contraire, en quête d’une nouvel universalisme. Pas du tout adepte d’un recroquevillement endogame. « Quand vous entendez dire du mal des juifs, dressez l'oreille, on parle de vous  ». Gosse, cette phrase de l’auteur m’a marqué. Si ma mémoire est bonne, elle est tirée d'une parole d’un de ses enseignants. Belle transmission.

           Une parole encore d'aujourd'hui. Le « dire du mal des Juifs » peut être remplacé par le « dire du mal des noirs, des jaunes, des blancs, des métisses, des femmes, des LGBT, des gros et grosses, des handicapés, des illettrés, des sans dents, des qui ne sont rien, du peuple palestinien… La liste n’est pas exhaustive. Chaque internaute peut y rajouter son « dire du mal de... ». Le principal est de tendre son oreille empathique. Ne jamais rester insensible à la souffrance de l’autre. Sans l'assigner à perpétuité dans sa blessure. Pour l’obliger à la porter en bandoulière jusqu’à son dernier souffle. Se méfier des bons sentiments pouvant se transformer en prison pour la «  personne aidée ».Tendre la main sans passer les menottes.

         Plus de grandes voix comme Frantz Fanon ? Si. Mais il y a beaucoup de bruit dans une ère de prime à la grande gueule. Pour cela qu’il me semble important de tendre son autre oreille. Pour attraper les « bouches qui parlent ». Et avec ses yeux capter « les mains qui écrivent ». Et il y en a. Dont Alice Cherki que je viens de découvrir. Merci à France inter pour cette découverte. Important de conserver notre Maison Ronde. Elle nous ouvre des fenêtres sur le monde. Et sur notre part intime. Nous transmettant des paroles fortes et profondes. Comme lors de cette très bonne émission de radio dominicale. Pour paraphraser un poète : que serais-je sans toi Radio France ? Stop digressions et cirage de pompes radiophoniques.

        L'essentiel reste les voix mêlées d’un homme et d’une femme. Sur fond d’histoire coloniale et décoloniale. Mais aussi sur la psychiatrie. Et toutes les colonisations de la solitude souffrante d’un corps. Et de son histoire unique. Un homme et une femme dans un combat commun. Et universel. Celui de l'émancipation des corps et des peuples. Pas que des combats de mots. Un penseur et une penseuse de terrain. Au risque de leur vie. Penser la souffrance des peuples et panser les blessures intimes. Sans oublier de jouir de sa propre histoire et du temps qui passe. C’était la tâche au pluriel d’un homme. Et c’est toujours celui d’une femme. Leurs voix comme reflet du métissage de leur pensée croisée. Avec une belle couleur dominante. Laquelle ?

        La couleur « matière grise ».

NB : Le lien de l'émission «  Autant en emporte l'histoire ».

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