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Billet de blog 26 juin 2015

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Y a que les «blaireaux » qui partent en vacances !

 Où partir en vacances ? Comme chaque année, j’hésite sur mes lieux de villégiature. Incorrigible, je m’y prends toujours à la dernière seconde. Mais, avec Internet, tout peut se faire au dernier moment. Mon café à la main, je m’assois devant mon écran. France ou étranger ? Les deux. Je vais commencer par la côte d’Azur. Puis après l’Espagne, le Portugal, l’Italie. Et peut être terminer par l’Afrique du sud. Aujourd’hui, d’un coup d’avion, tu es aux antipodes. Pourquoi se priver ?

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 Où partir en vacances ? Comme chaque année, j’hésite sur mes lieux de villégiature. Incorrigible, je m’y prends toujours à la dernière seconde. Mais, avec Internet, tout peut se faire au dernier moment. Mon café à la main, je m’assois devant mon écran. France ou étranger ? Les deux. Je vais commencer par la côte d’Azur. Puis après l’Espagne, le Portugal, l’Italie. Et peut être terminer par l’Afrique du sud. Aujourd’hui, d’un coup d’avion, tu es aux antipodes. Pourquoi se priver ?

Certains détestent avoir des images de l’endroit où ils vont atterrir. Moi, c’est le contraire. Dès que j’ai choisi un pays, une ville, un hôtel, je visionne toutes les images de mon lieu de séjour. Perdre l’émotion et la surprise ? C’est fort possible. Mais, moi,  j’aime bien ce moment, ou les rues, les ruelles, les paysages se figent sur mon écran. Des heures, je peux passer des heures ces espaces inconnus, avant d’y mettre les pieds. Comme une espèce d’apéro du regard.

Le moteur de la tondeuse du voisin ponctue le silence. Je me lève et ferme la fenêtre. Tant d'années que je vis face à la maison de ce couple. Depuis mon installation dans ce lotissement, nous sommes un peu en concurrence pour tout. Du jardin à la bagnole, c’est à celui qui en mettra plein la vue à la famille de l’autre côté. Une concurrence permanente. Mais nous avons de bonnes relations de voisinage. D’ailleurs, au départ- déjà quatre ans-de  Patricia, de mon  épouse, ils m’ont vraiment soutenu. Et, aujourd’hui encore, je suis souvent invité chez eux.  Mais la concurrence perdure.

Sur de nombreux plans, je dois avouer qu’ils ont gagné. Surtout depuis que ma femme n’est plus là pour entretenir le jardin. Plusieurs fois, nous avions remporté le prix de la maison la plus fleurie du lotissement. Mais là où notre couple a toujours été imbattable ce sont les voyages. Notre principal investissement avec la bouffe.

Sophie et moi avions été surnommés les nomade.fr. Toujours par monts et par vaux sur la planète entière. Sans doute une des raisons, pas la seule bien sûr, de notre choix de ne pas avoir d’enfant. Les gens nous tannaient pour qu’on se reproduise. La voisine nous nargua trois fois avec son ventre rond.  C’est la plus belle aventure du monde.  Pas plus beau voyage que les yeux de ses gamins. Quand Sophie entendait la voisine, elle rêvait de l’étriper. Un soir, ivre morte, elle se planta dans le jardin face à la chambre du couple et gueula : «  Je suis nullipare et fière de l’être ! ». J’appris plus tard que la voisine était très jalouse de Sophie. Elle aussi aurait aimé sillonner le monde, s’accaparer la lumière de femme libre dans les yeux de Sophie. C’est du passé tout ça…

Bon pour Sophie, je ne sais pas, mais pour moi, Deux ans de vacances, de Jules Verne, reste mon livre de chevet. C’était un de mes profs de lycée qui me l’avait conseillé. Et par la même occasion inoculé le virus du voyage.  A l’époque où j’ai eu ce livre en main, je n’avais jamais quitté mon quartier. Né sans Vacances. Chaque rentrée était un cauchemar pour moi quand le prof de français demandait de raconter ses vacances. Ca partait d’un bon sentiment, pour entre autre nous pousser à écrire. Orgueilleux, je ne voulais pas qu’on sache que j’étais resté au pied de mon immeuble, à la piscine, dans les allées du supermarché, ou devant la télé, à me faire chier comme un rat mort. Même pas assez de fric pour aller en colo. Y a que les blaireaux qui partent en vacances ! On est bien ici. Plus que l'orgueil pour remplacer l'absence de vacances. Nos étés photocopiés chaque année.  Les cartes postales de nos potes remuaient le couteau dans la plaie. Ils revenaient bronzés et avec plein d'anecdotes à raconter. Fallait pas perdre la face, jamais se plaindre. Notre jalousie nous rendait parfois très cons. Je hais les vacances était notre réponse. La carte postale de ceux qui restent. Que de voyages fictifs dans mes rédactions. Depuis, je me suis rattrapé. La planète est devenue mon quartier. Impensable pour moi de ne pas partir en été.

Même si je voyage désormais seul.

 Sophie m’a plaqué brutalement pour aller vivre avec un mec à la Réunion. Ils ont construit un bateau et passent leur temps sur les océans. Ce projet que nous avions eu ensemble. Mais, sans doute par trouille, je n’arrivais pas à filer ma démission. Aujourd’hui, je sais que j’aurais dû le faire. Trop tard. Depuis son départ, je n’ai plus aucune nouvelle. Elle me souriait derrière la vitre du taxi. Un instant, j’avais cru qu’elle allait changer d’avis. Revenir vivre dans notre maison. Puis elle a détourné la tête. Et je suis resté longtemps immobile, le regard paumé dans ma rue.  Ma boussole coupée en deux.

Depuis qu’elle est partie, j’évite de voyager dans les lieux visités ensemble. Les rares fois où ça m’est arrivé, je me suis senti très mal à l’aise. Comme une trahison vis-à-vis de nous deux. Après son départ, seuls les voyages me permirent de rester de bout. Le reste, tout le reste dégringola, sauf le plaisir  de grimper dans un avion, un train, ou un bateau… Et m’égarer. Notre plus grande joie était de nous égarer ensemble. Je continue de m’égarer. Sans sa main dans la mienne. 

Parfois, je peux passer des week-ends entiers enfermé à regarder les tonnes de photos rapportées de nos voyages. Ca me fait beaucoup de bien. Assis dans la cuisine, j’ai l’impression de me retrouver avec elle. Entendre son rire dans les rues de Rome, sentir sa main inquiète s’agripper à mon bras dans la forêt amazonienne, nos corps nus serrés dans le sable du désert, tous les soleils du monde se lever dans ses yeux… Un jour, il faudra que je fasse un tri de tout ça.

Au tout début de nos voyages, nous envoyions des cartes postales et, à notre retour, développions les photos pour la famille et les amis. Sophie, sans doute pour se venger,  tenait absolument à ce que nos voisins reçoivent ses cartes et les inondait de nos clichés. Moi j’ai pas de gosses. Mais j’ai vu autre chose que la square du coin. Puis, à l’arrivée du numérique, nous avons complètement lâché le papier. Plus doué techniquement que Sophie, c’est moi qui m’occupais de notre blog relatant nos pérégrinations. Aujourd’hui, j’ai opté pour Instagram et Tumblr. La famille et les proches continuent de recevoir de mes nouvelles du monde en images.  Sans doute une connerie, je continue de mettre l’adresse mail de Sophie dans mon envoi groupé. Jamais elle ne me fait la moindre remarque. Qu’en pense-t-elle ? Souvent, elle avait le dernier mot sur le choix de nos points de chute. Nos préparatifs étaient déjà un vrai voyage. Deux gosses devant des cartes et l’écran. Sans doute doit-elle se marrer en pensant à la voisine folle de rage de les recevoir. Nos voyages à Sophie et moi étaient comme nos gosses. Tous différents mais aimés avec la même intensité. Ils continuent de vivre sans nous.

Bon, faut que j’y aille.

Après avoir fermé les volets et fais le tour de la maison, je charge la voiture. La voisine m’épie derrière sa fenêtre. Elle a toujours fait ça. Son mari s’approche de la barrière et me souhaite un bon voyage. Dans une semaine, comme chaque année, il partira dans la maison de ses beaux-parents en Dordogne.  J’aime bien mes p’tites habitudes, moi. En plus, j’ai la trouille en avion. Qu’ai-je de plus que mon voisin casanier ?  Lui trouve son bonheur sur sa pelouse rasée de près, moi à des milliers de kms. Chacun fuit sa peur de la mort comme il peut.

A la sortie de ma ville, je bifurque sur une ruelle et vais me garer dans un parking. Une place devant chez un vieux copain qui est au courant. A la nuit tombée, une casquette sur la tête et des lunettes noires, je passerai par le square dont la grille donne sur ma maison. Vivre un mois planqué chez moi.

Déjà ma troisième année à faire semblant de partir en vacances. Des soucis de nantis ? Sûr si je compare ma situation aux migrants ou au populations massacrées au Moyen Orient et ailleurs. J’ai conscience que mon cinéma est pathétique. Pourquoi ne pas être franc ? Dire simplement que ma boîte m’a licencié. Avouer que je n'ai plus du tout les moyens de voyager. Quelle bêtise de se compliquer encore plus l’existence. Sans doute l’orgueil d’un gosse né sans vacances.

 Les images de mon voyage sont déjà prêtes.

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