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Mouloud Akkouche

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Billet de blog 26 juillet 2015

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Le papier ou rien

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BOOK : La révolution technologique (sous-titrage en français) © CParici

" Le paradis, à n'en pas douter, n'est qu'une immense bibliothèque."

Bachelard

     Bientôt 14 ans que je n’écoute plus les infos. Que de la musique, la bande-son de la nature, les voix de mes proches, la tondeuse du voisin ou le quad de son fils, tolérés chez moi. Celle ou celui qui franchit le seuil de cette porte ne doit pas apporter de nouvelles de la planète. Mon panneau, affiché devant ma porte d’entrée, avait d’abord intrigué et prêté à sourire. Pas une plaisanterie. Je piquais une colère contre quiconque s’avisait de me donner la moindre nouvelle de monde, bonne ou mauvaise. Je refusais d'être tenue au courant des catastrophes, des résultats des élections, des attentats, de la culture, du sport… Rideau. Plus aucune actu chez moi.

Seuls mes parents me rendent visite. Les autres, même de très bons amis, n’ont pas tenu le choc. Je vis seule dans une maison dans une village. Une solitude ponctuée par les pas de Patricia, la femme de ménage, qui me fait aussi les courses et la cuisine. Les rares fois où je suis contrainte de me rendre ville, c'est elle qui me véhicule. Patricia est mon unique lien avec le monde.

A part la musique, marcher dans la forêt au bout du jardin, je n’ai aucune activité. Pas tout à fait exact car, en fait,  je travaille plusieurs heures par jour. Assise dans le canapé du salon, je ne cesse de parler toute seule. Un dictaphone posé devant moi. Dans le bureau, au sous-sol de la maison, il y a des piles de manuscrits. Tous mes romans, mes recueils de nouvelles,  mes pièces de théâtre, refusés par les maisons d’éditions. Plus d’une vingtaine d’années d’un travail acharné. Une folle d’écriture. Excepté deux nouvelles publiées en revue, toute ma production a toujours été refusée. Pourtant je ne me laissais pas abattre par les échecs successifs Que de fric en timbres et impressions foutu en l’air. Sans le moindre regret.

Depuis le collège, je rêvais de devenir écrivain. Pas auteur, moi je préfère écrivain. Passe ton bac d’abord. Mes parents, tous deux enseignants ne dénigrèrent jamais mon rêve. Le hic est que, à part écrire, rien d’autre ne me passionnait.  Le déclic se déclencha avec l’une des amies de ma mère.  Moi, je décide de mes horaires. Je suis tranquille pour faire tout ce qui me plait à côté. Moi, j’adore peindre. Elle avait installé un atelier  en face de son cabinet.  Un boulot n’empêche pas une autre passion. Ça te dirait de devenir dentiste ? Comme elle était très sympa, j’ai dit pourquoi pas.  Ma mère la remercia d’un signe discret.

Durant mes études, je laissais l'écriture quelque peu de côté.Tout en continuant de dévorer de la littérature. A la fin de mes études, j’ouvris un cabinet dentaire avec un type de ma promo. Nous bénéficiâmes rapidement d’une bonne clientèle. Le cabinet ne désemplissait pas. A mon grand désespoir. Je ne faisais que bosser. Loin de ce que j’avais prévu en devenant dentiste par défaut. Je vais faire un mi-temps. Mon collègue fut ravi. Il amassait l’argent. Et moi les manuscrits refusés.

A compte d’auteur ou autoédition ?  Mon père me tannait avec ses conseils. Au moins tu seras lu. Bien sûr, j’avais les moyens financiers d’opter pour l’un ou pour l’autre. Votre écriture est très belle, aboutie, et surtout très émouvante. J’aurais eu droit à tous ces éloges en signant un chèque dans le bureau d’un éditeur à compte d’auteur. Même superlatifs prédécoupés pour les autres payant pour être publié. Une belle arnaque très florissante mais, après tout, chacun a le droit de s’offrir un petit cadeau. Hors de question pour moi qui méritait le meilleur. Mon talent serait reconnu par une «vraie » maison d’édition, sûrement une très prestigieuse. Mon nom sous la même couverture que les auteurs que je vénérais. Publier en numérique ou sur le Web ?

Je hais le numérique. Le papier ou rien. Pourquoi tu ne deviens pas bi comme moi ?  Mon père, très attaché au livre papier, lisait aussi sur tablette. Pour moi, c’est une hérésie. Un mail ou à la limite un article, pas un livre sur écran. Certains obscurantistes se remettent à croire que la terre est plate, moi je reste une intégriste du Dieu Gutenberg – une religion avec de moins en moins d’adeptes.  Je sais que ma détestation du numérique est ridicule, à contre-courant. Le papier et le stylo finiront dans des musées. Les gosses les regarderont à travers derrière des vitrines, comme nous les grimoires. Butée, je persistais à penser l’écriture, avec des yeux d’une autre époque. Quand les écrivains œuvraient à la lueur d’une bougie. Sans attachée de presse, ni de studio télé ou de page FB pour se vendre. Vraiment pas née dans le bon siècle.

L’écriture, véritable obsession, rongeait tout le reste. Même mes relations amoureuses. Les hommes, conscients qu’ils n’auraient jamais la première place, ne restaient pas. Mes parents s’arrachaient les cheveux. Surtout ma mère qui se rêvait grand-mère. Tu vas quand même pas être nullipare ! Fâchée du refus de sa fille unique de procréer. Jamais, elle ne sera grand-mère.

Mon père, malgré notre grand complicité, abondait systématiquement dans le sens de ma mère. Il ne la contredisait jamais. Jusqu’à ce soir où, pour une fois,  lui et moi mangeâmes  en tête à tête. Tu sais, moi aussi j’ai envoyé plein de manuscrits. Tous refusés. Le jour où je me suis rendu compte que je n'avais pas le moindre talent je les ai tous foutus à la poubelle. Et je me suis senti mieux. Complètement libéré. Rien de pire qu’une fausse passion qui te fait passer à côté de ta vraie vie.  Je l’avais écouté sans l’interrompre.  Et si je n’étais pas faite pour écrire ? Juste l’héritière d'un rêve inabouti?

Un an plus tard, toutes mes certitudes et doutes se pulvérisèrent contre une glissière d’autoroute. Plusieurs semaines avant de sortir du coma. Vous ne recouvrirez plus l’usage de la vue. Jamais je n’oublierai sa  voix métallique, très franche. Ni celle de mes parents le menaçant de me faire transférer dans un autre établissement. Je n’avais pas cru le médecin.  

Mais le lendemain, une infirmière à qui je le disais, m’expliqua qu’il valait mieux pour moi de me résoudre à accepter, pour pouvoir me battre. Cette fille invisible, changeant mon pansement, avait un parfum qui sentait très bon.  Ses gestes étaient d’une grande douceur. Au fil des soins très longs, à cause des très nombreuses brûlures, mon visage se noyait de larmes. Un flot de plus en plus important. Elle me berça comme un bébé.

A mon retour chez moi, mon existence avait déjà basculé. Plus la femme enjouée,  pleine d’entrain. J’étais agressive. Le monde entier coupable de mon accident. Mes colères firent le vide autour de moi.  Aveugle et chargée de haine. Non voyante ou aveugle ? Je détestais ces deux mots. Ni l’une, ni l’autre. Au fond de moi, j’étais persuadée que je reverrai.  Cette idée m’obnubilait. Toute la journée, je ne pensais qu’à ça. Au début, je fermais et ouvrais souvent les paupières, espérant que tout serait redevenu normal. Cet espoir de revoir le jour, certes illusoire,  me donnait la force de me désengluer du lit chaque matin. Impatiente de retrouver mon regard.

Mon envie d’écrire s’était aussi écrasé contre la glissière de l’autoroute. De toute façon, même si le désir avait perduré, c’était impossible sur le plan technique. En braille ? Hors de question. Pour moi, écrire requérait tout un rite : des cahiers et des stylos choisis avec soin. Tu te la joues écrivain du XIX ième siècle. On écrit plus comme Flaubert. L’un de mes copains, plaquant médecine pour guitare, me trouvait snob et prétentieuse.Une dinosaure écrivant  au stylo plume, sur des cahiers coûtant une fortune, avant de donner  à taper à une secrétaire. Les claviers ne servant uniquement que pour les mails, les achats, les réservations, et le téléphone. Stylo ou ordi ? Mes urgences désormais ailleurs. Comment survivre sans regard ?

Huit mois après ma sortie d’hôpital, Patricia réveilla mon désir d’écriture. Rangeant mon bureau, elle m'interrogea sur les cartons remplis de manuscrit brochés. Je lui expliquai. Elle voulait en lire un. Non ! Plus personne ne les ouvrira ! Elle toussota et remit l’aspirateur en marche. Son ménage achevé, elle vint me saluer dans le salon. Patricia, vous pouvez vous servir parmi mes manuscrits. Mais je ne veux que personne d’autre ne les lisent.  Promettez le moi. Elle promit. Pourquoi avoir accepté de lui confier un de mes textes ? Elle n'en lirait pas d'autre. La semaine d’après, elle revint, enthousiasmée par sa lecture.  Sa voix pleine d'émotion me toucha. Ma seule lectrice, à part les comités de lecture des éditeurs. Elle les dévora à une vitesse incroyable.

Chaque fois qu’elle passait, nous parlions littérature. Elle ne pouvait  s’endormir la nuit sans un livre. Ses lectures loin du genre de littérature très élitiste – pas de polar, ni SF, ni BD- de ma maison bibliothèque. Parfois, je passais ma main sur les tranches alignées par ordre alphabétique. Elle aussi les effleurait en le dépoussiérant.  Je me mis à lui donner des conseils de lecture. Ma bibliothèque revivait grâce à Patricia. Un regard à nouveau sur mes livres.

Vous pouvez écrire en braille. Je m’étais mise en colère contre Patricia. Pourquoi pas vous enregistrer ? Je ne voyais pas du tout l’intérêt. Pour moi, l’écriture n’était pas dédiée à être écoutée. D’ailleurs, je n’ai jamais acheté un livre audio. Ne parlons plus de ce sujet, Patricia. Mon entêtement ne l’empêcha pas de continuer de me relancer.  Je lui expliquais que je n’avais plus aucune prétention littéraire. Fini ce désir de voir mon nom sur une couverture. Apaisée.

Plus ce désir narcissique de vouloir à tout prix exister à travers un livre, les yeux  d’un lecteur. Surtout avoir réussi dans le regard de mon père. Vous vous enregistrez et je moi je les tape vos textes.  J’affichai un large sourire et acceptai. Vous me direz à quelle maison d’édition je les enverrai. Elle eut du mal à comprendre que je ne veuille rien envoyer à un éditeur. Plus besoin de cette reconnaissance sociale. Je ne voulais plus exercer le métier rêvé de mon père.  A quoi ça sert de les taper alors ?  Elle était déçue. Ce sera mon album photos à moi. Le selfie d’une aveugle. Je me mis à rire, elle aussi.

J’eus beaucoup de mal avec le dictaphone. Un fantôme manquait entre mon pouce et mon index. Puis, peu à peu,  les mots commencèrent à couler au compte-gouttes  puis des filets de plus en plus importants.  Jusqu’à devenir un flot incessant, impossible à canaliser. Jamais écrit aussi vite avec mon stylo. Mon texte-enregistrement achevé, je le transmettais à Patricia.  En moins de deux ans, je sortis trois  romans et un recueil de nouvelles.  Des extraits de mes textes déjà manuscrits remontaient à la surface. Mon écriture au micro était plus fluide, beaucoup moins ampoulée que sur une page blanche. Je me lâchais. 

Libérée de la pression d’une concordance des temps parfaite, la traque des répétions et des expressions trop familières. Enculé ou putain ne me posaient plus de problème, au micro. J’avais réussi à désacraliser l’écriture. Plus besoin d’un code de la route de l’écriture. T’as un Grévisse dans le culDommage parce que t’as un putain de monde intérieur.  Fou de rage, mon copain guitariste, avait shooté dans l’un de mes dicos, avant de claquer ma porte. Je ne le revis plus. Qu’est-il devenu ? Le rappeler ? Il se servait si bien de mon cul…

Je n’étais plus la pétasse prétentieuse insupportable rêvant d’être admise parmi les gendelettres. Le Goncourt pas assez à ma hauteur. Un prix Nobel ou rien. Quelle petite conne j’étais ! Aujourd’hui, plus du tout prétentieuse ; juste ambitieuse. L’ambition d’être chaque soir moins insatisfaite de mon travail du jour. Quelle liberté de travailler  sans ce cinéma de l’écrivain planant au-dessus du monde des simples mortels. Dieu de plume intouchable. Nul nécessité de se la jouer écrivain pour écrire. Finies ces conneries. Je pouvais triturer la langue sans le regard d’un prof de français derrière mon épaule.  M’amuser et jouir à ma guise de mes mots. Enfin plus une bonne élève.

Trois ans après mon premier enregistrement, mon père voulut absolument me voir. Guère son habitude de me rendre visite sans ma mère. Je le sentais mal à l’aise. Il tournait autour du pot. Qu’est-ce qui t’arrive, Papa ? Il se racla plusieurs fois la gorge. Son pied cognait contre la table.  Récemment, j’ai lu deux romans et… C’est incroyable mais il y a des passages entiers qui ressemblent à tes manuscrits.  Il avait donc fouillé dans mes cartons. J’encaissais cette nouvelle sans rien dire. Ma mère les avait-elle lus ?  Mon père devait encore projeter ses problèmes d'écrivain frustré.  Les auteurs planchent généralement sur les mêmes sujets, des thèmes récurrents depuis la nuit des temps. Rien de plus normal que des écritures se ressemblent. Comment se nomme l’auteur ?  Il boit une gorgée de café. Cet écrivains s’appelle Fabien Garbegie. Ces bouquins partent comme des petits pains. Je le connaissais.

C’était le mari de Patricia. Un commercial en téléphonie venu une ou deux fois manger à la maison. Un vrai moulin à paroles.  Contrairement à Patricia, très timide. Ton mari  serait capable de vendre une voiture à un aveugle. Pas un foudre de guerre ce type mais sympathique.  Je comprends maintenant pourquoi elle avait refusé mon augmentation. Son heure de frappe était payée au centuple. A propos de littérature, tu n’as pas envie ma chérie de te remettre à écrire ? J’avais souri. Son portable sonna. C’était ma mère. 

      Cette escroquerie ne resterait pas impunie. J'étais très déçue de la trahison de Patricia. Sûrement une idée de son mari. Il avait dû insister  jusqu’à ce qu’elle finisse par craquer. Ça doit le faire mousser de passer à la télé. Sûr qu'il doit bien vendre mon travail. J’étais son nègre. Nègre d’un type qui ne lit pas le moindre livre et ne pense qu’à son putain de smartphone. Tous deux allaient m’entendre !  Patricia n’en a jamais rien su.

Notre trio littéraire a beaucoup de succès.

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