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Billet de blog 26 juillet 2024

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Lame olympique

Belle aube sur les toits de la Ville Lumière. M se sourit. Heureuse d’être là. Pouvoir se laisser aller dans les bras de cette belle journée en perspective. Un moment très important. Pour le pays, le monde, et elle. Pas très souvent que M monte à Paris. Soudain, elle se redresse dans le lit. Les sourcils froncés.Où a-t-elle rangé sa carte magique ?

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Illustration 1
© Photo: Marianne A

              Belle aube sur les toits de la Ville Lumière. M se sourit. Heureuse d’être là. Pouvoir se laisser aller dans les bras de cette belle journée en perspective. Un moment très important. Pour le pays, le monde, et elle. Pas très souvent que M monte à Paris. Soudain, elle se redresse dans le lit. Les sourcils froncés. Mais je l’ai mise où ? Elle se lève d’un bond. Surement dans son sac. Vidé aussitôt sur le parquet. Dans l’autre pièce ? Elle s’y précipite entièrement nue. Rien non plus. Dans la cuisine ? Même constat. Elle fait plusieurs fois le tour de l’appartement d’une vieille copine ayant déserté la capitale pendant les jeux. Où a-t-elle rangé sa carte magique ?

           Le café a un goût d’échec. Tant d’énergie à se préparer pour ce jour. Elle pense évidemment à F. Elle est incapable du moindre geste. Très en colère contre elle. Ne reste plus qu’à faire ses bagages. Reprendre le TGV. Puis un TER et un car. Avant de prendre son vélo pour arriver à la maison. Une dizaine d’années qu’elle est revenue au village de son enfance, au bord de sa rivière. Pour revivre dans la ferme de ses parents. Et travailler comme institutrice dans l’école de son enfance. Après des années de ville en ville. Un grand besoin de solitude après une rupture très difficile. Ma thérapie, c’est elle, souriait-elle en désignant la rivière. Où elle avait repris son rite d'enfance : ériger des sculptures de pierres éphémères. Ça a marché quelques mois. Avant de se décider à opter pour une thérapie de plus. L’une et l’autre se complétant. De retour sous son toit, elle s’affalera sur le canapé. Les yeux et le cœur gonflés de sa défaite. Elle aurait tant aimé représenter F au JO.

            Paris est entièrement nassée. C’est ce que lui a dit sa fille. Elle est très remontée contre ces jeux. Sa fille est une militante écologiste. Très active. Le sport c’est un prétexte, rien de plus, ce n'est que pour faire encore gagner le fric et le pouvoir. Sa fille, d’habitude peu bavarde, a lâché sa colère. Elle les rebaptisé les JO les «  jeux olymfrics ». Elle ne voulait que sa mère s’y rende. Sentant ce voyage comme une trahison. Notamment des idéaux que sa mère lui avait transmis. M est aussi très engagée sur tout ce qui a trait à l’environnement. Je suis obligé d’y aller, ma fille. Elle a claqué la porte. En continuant la critique des jeux via des textos. Lui expliquer pourquoi tenait à assister à la cérémonie d’ouverture ? La mère a commencé le message. Aussitôt effacée. Pour lui laisser un long message vocal. Sa fille a rappelé.

           Comment l’idée est venue à l'esprit de M ? Dans la petite ville à une quinzaine de km de son village. Un homme était assis à une terrasse de bistrot. Le nez plongé dans sa tasse. M était installée à la table à côté de la sienne. Au son du briquet, il a relevé la tête. Un air gêné sur le visage. Ses mains se nouaient et se dénouaient sur le guéridon. Il finit par lui demander une cigarette. D’habitude, elle refusait. Par principe ? Non. Par radinerie. Pourquoi alors avoir accepté cette fois? Un geste qu’elle n’arrive pas à s'expliquer. Une cigarette tendue sans la moindre hésitation. Merci pour la flamme. Il avait souri. M s’est replongée dans son smartphone. Vous êtes une habitante de cette ville ? Non. Je suis dans un village à côté. Et vous ? Non, je suis là que depuis peu. Ils ont commencé à parler. Surtout lui. Évoquant beaucoup Paris. Encore plus la flamme olympique. Il parlait lentement. Avec des mots posés. Des ombres et des lumières traversaient son regard.

           Le lendemain, il était à la même place.  Hé ! Il tendit une cigarette. Cette fois, c’est moi qui offre. Accepter ou non ? Des arrières-pensées sexuelles dans la tête  de cet inconnu ? M était très remontée contre les hommes depuis son plaquage. Pas du tout prête à une nouvelle relation. Peut-être juste un prêté de nicotine pour un rendu ? Elle a fini par accepter. Désolé, mais… Je ne peux pas vous payer un verre. Mais si vous voulez vous asseoir ? C'est avec un grand plaisir. Elle secoua la tête en alléguant qu’elle avait un rendez-vous. Ce qui était vrai. La séquence hebdomadaire chez le psy au bout de la rue. Il haussa les épaules. Je ne vous retiens pas plus. Bon rendez-vous, Madame. Elle s’éloigna. À son retour, il n’avait pas bougé.

            F ralentit le pas sur le trottoir. Il lui adressa un signe de la main. Échange de sourires. Vous n'auriez pas une cigarette ? Elle lui tendit le paquet. Avant de s’asseoir. À la table à côté de la sienne. Il reparla très vite des Jeux olympiques. J’ai fait plusieurs années de l’athlétisme en amateur dans mon pays. Contrairement à vous et votre fille, je trouve que c’est bien les Jeux olympiques. Un grand moment. Même s'il y a eu des JO terribles dans l’histoire de l’olympisme. Et que tout n'est bien sûr pas très clair sur les aspects financiers. En tout cas, c'est de plus en plus rare quand les pays s’affrontent sans verser du sang. Plutôt une bonne nouvelle dans notre monde. Prenons toujours ce qui est bon à prendre. Elle le regardait avec un grand étonnement. Comment pouvait-il dire ça après ce qu’on lui avait fait subir ? Un homme très en colère. Mais sans la moindre haine.

          Plusieurs semaines à partager de la fumée et des mots. Après ses séances de thérapie. Jusqu’à ce jour où elle trouva sa place vide. Elle s’arrêta quand même devant le bar. Ni l’un ni l’autre n’avait pensé à échanger leur numéro de téléphone. Trop occupés à parler. Chacun déclinant son existence. Avec un très grand naturel. Comme si leurs bouches et oreilles étaient dédiées à se rencontrer. Deux êtres si loin, si proche. D’une rivière l’autre. Il était conducteur de bus, elle instit. Un homme qui avait fui son pays pour ne pas perdre la vie. Installé à Paris depuis plus de trois années. Dormant dehors ou dans des squats. Il avait fini par obtenir un statut de réfugié politique. Et un hébergement dans un hôtel. Expulsé de sa chambre pour raison de Jeux olympiques. Retour à la rue. Et la débrouille. Avant d’être emmené avec d’autres loin de la capitale. Pour que la flamme ne voie que de la joie sur son passage. Des sourires sur tous les visages. La flamme ne doit pas croiser les petites et grandes brûlures de l'inhumanité.

         Repartir après les jeux ? Essayer de retrouver un nouveau toit ici ou à Paris ? Une fois, M lui a proposé de l’aide. Le regard de F s’était assombri. Avec une irrépressible colère. Pas vous. Surtout pas. Vous êtes la seule relation qui ne me ramène pas à ma condition. On est juste deux solitudes bavardant et fumant sous le ciel. Pas grand-chose et tout. Un moment hors de la folie du monde. Notre pause simple humanité. Pas de pitié ni de compassion. Sans aucun merci. Je… Désolé de vous… Je voudrais que ça continue comme ça. Nos clopes et notre conversation. Mais je vais juste vous demander un service. Lequel ? Une nouvelle cigarette. Elle avait compris. F voulait juste être un monsieur tout le monde. Plus une main qui demande. Trop usé pour encore m’aimer, lui expliqua-t-il un jour. F blêmit. Mais, rajouta-t-il, je me plais encore en peu. Il avait ri. Le rire d'un gosse de 63 ans.

       Le patron du bar a froncé les sourcils. Le mec qui venait là ? Oui, c’est de lui que je parle. Il s’est foutu sous le train. Son cœur se serra. Le train qu’elle n’a pas pu prendre. Très en colère contre la SNCF. Il a laissé un mot, quelque chose ? Non, pas que je sache. C’était un mec tranquille. Même s’il squattait une table avec un café pendant des heures. Les gens aimaient lui parler. En échange d’une clope. Il adorait parler. Un mec qui en avait dans (il tapota sa poitrine) et dans le (même geste contre son crâne) dans la caboche. Moi aussi, j’aimais bien bavarder avec lui. Pourtant, vous savez, moi les… M l’a interrompu pour lui demander s’il savait où F habitait ? À ce qu’on m’a dit, il squattait dans l’ancienne usine de roulement à billes. Celle qui va être détruite. Elle s’y est rendue aussitôt. Deux familles de réfugiés y survivaient. Très réticentes à répondre à ses questions. Une femme pointa discrètement le doigt sur le plafond. M grimpa à l’étage. Elle trouva la « chambre » de F. Son lit au sol était fait. Un balai contre un mur. Une table et une chaise comme seul mobilier. Elle fouilla dans le sac à dos de F.

Lame olympique

Des histoires coupées en deux

Encore

Cette fois, sous le ciel d’une ville

Pas n’importe laquelle

La Ville Lumière

Nos histoires éteintes

Encore

Nos corps extraits

De nos chambres,

De nos tentes

De nos chez nous

De fortune et infortune

Pourquoi partir encore ?

Pour qu’elle passe

Qui ?

Elle

Qui ?

La flamme

On nous a éteints

Envoyer ailleurs nos ombres

Loin de la Ville Lumière

La flamme est passée

Sur nos ombres

Je n’ai pas vu sa lumière

Elle n’a pas vu la mienne

Les lumières de mes yeux

Senti juste sa lame

Sur la chair de nos ombres

          C’était un de ses poèmes. Elle en a trouvé de très nombreux dans son sac à dos. Des dizaines de calepins remplis d’une écriture très appliquée. F lui savait dit qu’il écrivait. Lui récitant même des poèmes d’auteurs dans sa langue. Avec une traduction en simultanée. Et d’autres de poètes français. Jamais M n’aurait pu penser que poésie occupait autant de place dans son existence. Vital pour lui. Alors que le volant le faisait vivre, lui et sa famille. Des poèmes et des courts textes en fragments écrits dans sa langue. Il en avait traduit quelques-uns en français. Son carnet d’exil. Tenu depuis le jour où tout bascula pour lui ; planqué derrière une voiture, il avait vu sortir trois corps de chez eux : sa compagne et leurs deux enfants. Assassinés à cause de lui. Pour se venger du poète refusant de se taire.

           Sûrement que c'était un mec bien. Le flic lui avait rendu les calepins. Je ne dirais pas que je vous approuve, mais… On va vous libérer. Mais vous aurez sans doute des poursuites judiciaires. M avait haussé les épaules. Elle avait retrouvé sa carte Pass VIP. C’était un de ses cousins, haut-fonctionnaire de préfecture de Police de paris, qui lui avait dégoté. Sans doute ne l’aurait-il pas fait en sachant ce qu’elle en ferait. Qui aurait pu imaginer que ce petit bout de femme, petite instit de bord de rivière, puisse foutre en rogne un chef d’État, la maire de la Ville Lumière, et d’autres puissants. Juste pour un poème lu dans la tribune officielle. Au moment où tous les micros et caméras du monde entier étaient braqués sur la capitale. F avait lancé la lecture sur son portable. Ses mots relayés sur plusieurs enceintes placées dans la ville. Une installation sonore des copains de sa fille qui étaient musiciens. Et des militants habitués de ce genre d’opération.

         Au retour, M a fait un détour pour le bar. Pour s’asseoir à la place de M. Elle a allumé une cigarette. On va les faire vivre. Fais-nous confiance. On va s'en occuper. Les copains de sa fille avaient décidé de mettre en musique les textes de F. Le patron du bar avait accepté que la première lecture se fasse dans son établissement. M a repensé au jeu de mots du flic. Visiblement touché par la fin d’un homme. Il l’avait raccompagnée jusque devant le trottoir du commissariat. Comment vous dire ? Ce type qui est mort et que vous avez voulu honorer… Il ... Votre acte, c’est en fait le reflet de ... Votre poème aurait pu avoir un autre titre. Il avait esquissé un sourire.

        L’âme olympique.

NB: Une fiction inspirée entre autres de ce billet d'humeur.

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