On peut rire de tout, sauf de ce qui ne me fait pas rire. Circulez! L’humour c’est ce qui me fait rire. Le reste : que du gras. Vraiment pas drôle du tout. Voire raciste, antisémite, islamophobe, sexiste, homophobe, transphobe, grossophobe, validiste…Contrairement à l’humour qui me fait rire. Et celui des gens riant dans la même direction que moi. Cette sorte de posture d'arbitre des élégances ( parfois je me trouve aussi dans ce rôle) me semble être une des problématiques de notre époque. Peut-être déjà présente au siècle dernier et les précédents. Mais sans doute pas avec autant d’intensité ( liée à la rapidité des réactions depuis l'arrivée du Net ?). Chaque être comme devenu contrôleur et juge de l'autre? La question peut se poser de nos jours. Avec de plus en plus l'impression - fausse ? - de rire et parler sur des œufs. D'être en permanence sur le qui vive. Désormais tenir compte de huit milliards de susceptibilités. Peut-être des états d'âme du reflet dans son miroir. Chaque individu et groupe à n’envisager le monde qu'à travers son petit angle de vue ?
En oubliant qu’il ne s’agit que de sa paire d’yeux et d’oreilles. Pas plus, ni moins. Juste son petit point de vue de chair mortelle. Même s’il est partagé par des proches et des lointains d’accord avec soi. Dans tous les cas, ça ne reste qu’un regard parmi tant d’autres. Certes peut être intéressant. Mais pas la vérité unique. Parfois, elle existe. Mais c’est la preuve que ça va très mal quand il n’y a qu’une vérité; en général, c’est l’un des signes ostentatoires de tous les totalitarismes. Son point de vue n’est donc pas universel. Que le sien. Parmi des milliards de regards à la fenêtre du monde. Mais certains et certaines ne partagent pas ce genre de point de vue.
On peut débattre de tout, sauf quand on ne pense pas comme moi. Le débat semble moribond en notre ère d'insultes faciles. Sauf dans des cas de plus en plus rares. Qu’il s’agisse de débats médiatiques ou de bord de comptoir ou à table entre proches. Malgré de nombreuses difficultés, des frottements d’idées continuent ici ou là. Mais le plus souvent avec de moins en moins cette capacité à accepter d’être convaincu. Autrement dit de laisser une porte d’entrée à la pensée de l’autre. Pour qu’elle puisse se présenter et développer son argumentaire. Avec une écoute attentive et non sectaire. Pour in fine répliquer par d’autres argumentaires. Ou au contraire, avoir été convaincu. Rien de plus libérateur que d’accepter de s’être trompé. Et de s’alléger d’un poids parfois invisible. Pour essayer de continuer de s’élever. Le plus possible. Et pouvoir penser plus haut que ses certitudes.
Que faire ? Peut-être décider de ne plus rire. Sauf devant son miroir. Comme d’autres chantent sous leur douche. Et opter pour ne plus du tout débattre. Ne plus rire en public et cesser de donner son opinion évitera de se faire traiter de transphobe, de sexiste, d’homophobe, de raciste anti blanc ou noir, d’antisémite, d’islamophobe, de grossophobe, de pro Poutine, de pro Hamas, de pro gouvernement Benjamin Netanyahou, de pro violeurs, de populiste, et en plus de ceci et de cela. Triste de ne plus rire avec les autres et ne débattre qu’avec son miroir. Mais je ne vois pas d’autre solution. Pour ne plus subir ces anathèmes devenus monnaie courante. Même sans raison. Marre de se retrouver en permanence sur le qui-vive. Autant faire un pas de côté.
Observer le manège des mésanges accrochées à une boule de graisse. Écouter de la musique. Lire de la poésie. Rester devant sa fenêtre à regarder le silence. Jouir ici ou là du frottement avec le ou les corps aimés. Boire un bon verre de vin. Rire de tout avec des êtres capables de ne pas se croire détenteur du seul « bon humour ». Sans pour autant s’obliger à rire de telle ou telle vanne nous déplaisant. Ni s’arroger en arbitre des élégances de l’humour. Accepter que ce qui ne me fait pas rire en fasse mourir de rire d’autres. Et débattre avec celles et ceux capables de ne pas se croire dépositaire de la vérité unique. En fait, c’est donc possible. Tout n'est pas perdu. On peut rire de tout et débattre sur tous les sujets
Suffit d'être d'accord sur tout.