Mouloud Akkouche (avatar)

Mouloud Akkouche

Auteur de romans, nouvelles, pièces radiophoniques, animateur d'ateliers d'écriture...

Abonné·e de Mediapart

1819 Billets

0 Édition

Billet de blog 26 novembre 2024

Mouloud Akkouche (avatar)

Mouloud Akkouche

Auteur de romans, nouvelles, pièces radiophoniques, animateur d'ateliers d'écriture...

Abonné·e de Mediapart

La beauté se lève tôt

De bonnes ondes à l’aube. Celle d’une fleuriste semant ses mots dans des oreilles. Sa voix, très enjouée, ouvre les portes de la journée. Une tâche quotidienne qui débute très tôt. Sans le moindre doute, ce n'est pas un métier qui lui a été imposé par la nécessité, son milieu, sa famille… Belle leçon de liberté de la fleuriste des ondes matutinales. La journée débute bien.

Mouloud Akkouche (avatar)

Mouloud Akkouche

Auteur de romans, nouvelles, pièces radiophoniques, animateur d'ateliers d'écriture...

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

              De bonnes ondes à l’aube. Celle d’une fleuriste semant ses mots dans des oreilles. Sa voix, très enjouée, ouvre les portes de la journée. Une belle énergie revigorante. Une femme racontant son travail. Une tâche quotidienne qui débute très tôt. Pas la première, ni la dernière à raconter son métier à la radio. Mais très rares quand on sent le choix d’une vie. Sans le moindre doute, ce n'est pas un métier qui lui a été imposé par la nécessité, son milieu, sa famille… Elle a décidé de ce qu’elle est. Peut-être des débuts difficiles. Et pas facile tous les jours. Mais un choix. Maîtresse de son histoire.

           Combien d’êtres comme elle ? Difficile à quantifier les maîtres et maîtresses de leur histoire. Et puis après tout, aucun intérêt ce genre de comptabilité. Ce n’est pas une compétition. À mon avis, même le contraire. Le choix profond d’une histoire n’est pas lié à celle du voisin ou de la voisine. Même si parfois, on se construit une trajectoire à travers des imitations de tel ou tel adulte de proximité ou à distance. Mais la vocation reste du ressort de l’intime. Là où personne ne peut foutre son nez et rajouter son grain de sel. Sa recette unique. Celle du choix de sa place sur le manège en orbite. Son passeport pour le voyage d’un corps. Chair unique et mortelle. Belle leçon de liberté de la fleuriste des ondes matutinales. La journée débute bien. 

          Avant de basculer dans le chaos. La fleuriste a quitté les oreilles. Sa voix pleine de joie remplacée par le bruit des bombes, les moteurs des avions et des drones dans l’air, les flammes, les décombres… À toute heure du jour et de la nuit. Et le son des larmes et des cris ? On les entend moins. Pourtant des larmes et des cris omniprésents. Mais audibles que quand le silence le permet. Alors là, pendant la pause technique de l’horreur, on peut entendre la douleur. Qu’elle explose en cris en larmes. Ou silencieuse dans les regards. Un hurlement étouffé entre deux paupières. Une présence forte. Incontournable. Dans ses yeux, plus bruyant et fort que la vitesse du mur du son d’un avion de chasse ou du pire des orages : le silence de l’implosion de l’humanité. Comme dans le regard de ce gosse encore en vie. Sa maison réduite en miettes. Une enfance sans toit. Désormais habitant d'abord de son corps. Combien de temps encore ?

             Pourquoi passer aussi brutalement de la beauté qui se lève tôt au chaos ? Ce n’est pas une volonté de ma part. Je m’en serai bien passé. Préférant continuer la promenade avec cette fleuriste, dans les allées de fleurs et de plantes du marché de Rungis. Mais les ondes en ont décidé autrement.  Comme quasiment tous les matins. Me replongeant dans la folie humaine destructrice d’humanité. Puis la plongée dans la noirceur contemporaine a continué avec mon écran ouvert à peine le radio-réveil fermé. Pour me rappeler que le monde n’est pas un vaste tapis de pétales de roses. Mais pourtant la beauté se lève partout. Même si c’est un réveil plombé.

          Sous certains cieux, la beauté est usée. Elle a de plus en plus de mal à se lever. Écarquillant à peine les paupières aux premières lueurs de l’aube. Le jour n’a pas le monopole de la beauté. Elle se lève et se couche à toute heure. Parfois beauté de jour et de nuit se croisent. Pour un passage de relais. Mais ici, loin des bonnes ondes, toutes les beautés sont usées. Exsangue. À quoi bon se lever pour aller se promener dans un cimetière. Autant rester allongée et attendre la mort. Puisqu'elle a été programmée à distance. Inéluctable. Pourtant, elles résistent. La beauté qui se lève tôt et celle de nuit. Pourquoi ?

          Parce qu’elles sont conscientes de leur importance. Une présence essentielle. Les dernières digues avant le néant. Quand il ne reste plus que le gouffre. Rien d’autre que ce vide partout. Chaque corps devenu une crevasse. Quand même les yeux sont devenus des abîmes. Tant qu’elles sont là, debout, même fragiles, le vide n’aura pas tout avalé. Des fenêtres pourront s’ouvrir dans un regard. Une ouverture grâce à telle ou telle beauté. Puis l’ouverture d’une deuxième fenêtre, une troisième, etc. Ne serait-ce que des petites ouvertures. Même à travers un mur criblé de balles. Des fenêtres sur espoir.

          La beauté levée tôt ne se couchera pas tard. Après une journée à transmettre du beau. Pendant qu’elle dormira, d’autres beautés sillonneront le monde. Plus difficilement dans des territoires où la vie n’est qu’un jouet entre des mains - le plus souvent invisibles et très loin de son corps. Pas les mêmes enjeux pour toutes les beautés du monde. Certaines courent des risques à continuer de relever le défi du beau. Présente même dans les pires conditions. Pour ne pas laisser le chaos remporter la mise. Repousser les frontières de la nuit carnivore. Et aider à faire passer des lumières. Ne serait-ce que des lueurs. Pour souffler sur les braises de l’aube.

             L’humanité se relève toujours.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.