La lucidité c’est du sel sur leur plaie ouverte. Ils le savent. La majorité d’entre eux évitent de saler. Jamais d’excès de lucidité. Sans doute pour ça qu’ils adoptent une posture de coqs maniant l’humour. Debout sur leur ergot, le coude sur le comptoir. Leur plaie à la verticale. Très souvent dans la course à la parole qui fera le plus rire. Pour ne pas s’effondrer en larmes ? Confinés dans une gangue d’orgueil et de pudeur ? Chaque miroir a les réponses.
Une brochette de mecs et quelques nanas. Blancs, noirs, jaunes ; surtout grisés. Largués mais pas perdus. Ni perdants. La preuve par leur fière verticalité. Toutefois pas non plus des gagnants. Chacune de leur histoire complexe comme l’âme humaine. Je les connais bien. Ce sont des frangins et des frangines. Mais la première fois que je les vois. Et réciproquement. Nul besoin de se présenter. On se connaît de l’intérieur. Personne ne passera le sel.
Qui sont-ils ? France. Et tu fais quoi d’elle avec un s, me dit l’une de mes voix qui me tanne pour l’inclusive. Peut-être un jour ou le suivant… France (j’aime bien appeler ce pays par son prénom.) n’est bien sûr pas qu’eux. Toutes sortes de groupes et de milieux. Faut de tout pour faire un pays. Une parcelle de terre peuplé par presque 70 millions d’histoires. Toutes uniques et passagères. Pareil pour la planète, mais avec des zéros de plus. Sur toute la surface du globe, des ventres qui s’ouvrent sur de nouveaux mondes. Pendant que se ferment des regards. Elles et eux sont sortis depuis bien longtemps d’un ventre. Désormais près de la sortie. La porte ouvrant sur la nuit finale.
Des anges de comptoir ? Loin de là. Des mortels imparfaits. Avec la même proportion d’ordures et de cons que dans d’autres sphères. Mythologie et romantisme des bad boys de rade ? En partie. Comme le romantisme de toutes les histoires des milieux bourgeois embouteillant la littérature, le cinéma, le théâtre, la peinture, etc. Certes avec des différences de langue et de lieu. Néanmoins un point commun entre ces deux univers fort différent : des êtres avec de réelles fêlures. Et des fragilités. Certains, usés de ne pas être devenu tel ou tel rêve de gosse, se mit(h)onnent une histoire sur mesures. Tellement répétés que, parfois, ils perdent le fil de la réalité. Passant d’une frontière à l’autre sans s’en rendre compte. Mêlant fiction et réalité.
La plupart s’inventant un passé glorieux. Une bio où ils se retrouvent au centre de la lumière. Certains savent mettre en mots leur vie rêvée. Contrairement à d’autres qui ont l’ « auto-biopic » réellement pathétique. Pas facile la fiction, surtout quand on se la sert à soi. Du bagout surtout pour les touristes de passage. Leurs collègues de salle d’attente connaissent la réalité derrière la fiction. Mais la plupart du temps, ils ne cassent pas le « conte du pote ». Eux-mêmes sont souvent conteurs de leur histoire. Pour prendre un peu l’air. S’extraire de sa bio officielle. Pour se la raconter.
Grâce entre autres aux conteurs comme eux que j’aime ce pays. Quel est mon lien avec ces conteurs de France ? Leur joie est la mienne. Leur douleur est la mienne. Leur violence est la mienne. Leur douceur est la mienne. Leur folie est la mienne. Leur connerie est la mienne. Leur tendresse est la mienne. Leur humour est le mien. Leur pathétique est le mien. Ils portent aussi le meilleur et le pire de moi. Des frangines et frangins pas trop sortables. Souvent plus élégants que leur apparence. Des conteurs et compteuses de comptoir.
Se racontant des histoires. Bonnes ou mauvaises. Comme le ministre se raconte son histoire de ministre, le prof se raconte son histoire de prof, l’ouvrier se raconte son histoire d’ouvrier, le riche se raconte son histoire de riche, le pauvre se raconte son histoire de pauvre, Dieu se raconte son histoire de Dieu, l’influenceuse se raconte son histoire d’influenceuse… Chaque jour se motiver d’être ce qu’on est. Pas tout le temps facile. Parfois envie de tout plaquer. C’est à ce moment précis qu’on a besoin de se raconter une histoire. Pour la broder sur la sienne. La majorité des êtres rajoutent plus ou moins une part de fiction à leur réalité. Dans quel but ?
Apporter sa patte à une destinée parfois pré-écrite par d’autres. Reprendre les rênes de a trajectoire. De quel façon ? Avec son imaginaire. Enfiler un nouveau déguisement et changer de rôle. En choisir un ou passer de l’un à l’autre au gré de ses envies. On dira que je suis… Comme dans les jeux de gosse. Changer de masque ne serait-ce qu’un bref moment. S’éjecter de son siège habituel du « manège de l’éphémère » pour voyager en girafe ou coccinelle. Après tout, c'est son histoire. Unique et avec une date de péremption. On fait ce qu'on veut ou peut avec son histoire. Même de se l’inventer.
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