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Pour Josy Beaulieu, élégante humaine et poétesse
Chercher l’introuvable. Quand il est trouvé, repartir sur ses traces. Sans cesse reprendre le fil de l'inconnu. Dans une démarche où la poésie ne perd jamais. Elle gagne à trouver, perdre, retrouver, perdre ... La poésie toujours gagnante quand elle suit son chemin. Fouillant l'indicible et les silences. Même si les poètes et poétesses finissent par perdre. Quel que soit leur degré de talent. Le dernier combat sera perdu. Comme pour chaque être. Quand l’interrupteur s’éteint sous la poitrine. Et que la nuit envahit les paupières.
Parfois, on enferme un poète ou une poétesse. Leur corps confiné derrière des murs. Dans le but d’étouffer des voix uniques. Avec un verbe qui ne se baisse pas pour cirer des pompes officielles. Les geôliers parviennent à imposer le silence. En apparence. Le silence de façade. Pendant ce temps, leurs poèmes, écrits ou rêvés, continuent leur chemin. Ils passent par delà les frontières visibles ou invisibles. En plus de la privation de liberté, certains poètes et poétesses sont torturés. La poésie ne peut rien, impuissante face à la main de l’humain sans humanité. Elle n’empêchera pas la souffrance. Les mots ne sont d’aucune utilité dans la douleur physique. Ils ne soignent pas la chair blessée. Pourtant la poésie, irréductible, habitera telle ou telle plaie. Au plus profond. Là où la beauté a élu maquis. Pour résister, encore. Contre les bourreaux. Et un autre combat, plus complexe. Une lutte du réveil au coucher. Et pendant son sommeil. Résister à sa résignation.
Fort heureusement, de nos jours, peu de poètes sont enfermés et torturés. Excepté dans quelques pays sur la surface du globe. La plupart du temps ce sont des territoires où l’enfermement arbitraire, la torture, sont monnaie courante. Les poètes ne sont pas les seuls à faire les frais de la violence -en général - télécommandée de haut et pratiquée en bas. Souvent, ceux qui n'aiment pas la poésie détestent aussi les femmes libres. Pourquoi cette détestation ? En réalité, ils ont peur de la musique du vent des cheveux et de la force d’une parcelle de peau nue. Malgré la répression, des femmes résistent de leur corps et mots ; des résistantes œuvrant pour leur libération et celle du monde prisonnier de vieilles mains et idées. Partout, les poètes et poétesses continuent d’inquiéter. Et pas que les dictateurs.
La poésie est une arme qui échappe à tout contrôle. Elle ne peut être géolocalisée par un radar, ni réduite à un tas de décombres.Trop profonde et imprévisible pour les mâchoires de l’Intelligence artificielle et des algorithmes. Même avec peu d’écho public, un poème peut faire trembler les gens de pouvoir. Quels qu’ils soient. En dictature ou en démocratie. Un tremblement certes relatif mais réel. Les détenteurs de pouvoir ont toujours peur de ce à quoi ils ne peuvent accéder : la puissance. Comme ce que recèle la poésie. En son cœur, une superpuissance hors de portée des palais et des bourses du monde. La raison pour laquelle la poésie est encore source d’inquiétude.
Parce qu’elle est toujours gagnante. Même écrasée par les dictateurs ou invisibilisée par le marché. Elle ne dit jamais son dernier mot. Capable de souffler sur les braises d'un verbe pour attiser le feu poétique. Irréductible gagnante. Qu’il s’agisse de bonne ou de mauvaise poésie. Toutefois avec une différence entre les deux. La première continuera de gagner à long terme ; elle sera lue et écoutée longtemps après la mort du poète ou de la poétesse. Contrairement à la moins bonne ou mauvaise qui ne franchira pas les parois du temps. Toutefois, sur le moment, toutes les deux sont gagnantes. Parce qu’elles n’ont rien à perdre ? Non. Parce que la poésie a déjà gagné.
Avec sa présence sur papier ou écran. Elle gagne aussi à travers des bouches qui la relaie ici ou là. La poésie est une chair vivante. Parfois, elle meurt sous la poussière du temps. Certains textes ne bénéficieront pas d’une nouvelle histoire. Tandis que des poèmes, plus forts que le temps et la mort, seront ressuscités à chaque lecture ou écoute. Avec de petits ou de grands moyens. Des mots, des phrases, qui n’ont plus besoin de la main créatrice. Une poésie qui voyage de regard en oreille. Même la censure par la violence ou le fric ne peut l’empêcher de circuler. Elle peut voyager en clandestine sous une poitrine et un crâne. Jaillir là où l’on ne l’attend pas ou plus. Pour offrir sa vision.
Tout le monde s’en fout complètement de la poésie. De loin en loin, on entend cette sentence. En partie vraie. Mais aussi fausse. Une grande poésie émane de ce film. C’est un livre super poétique. Quelle poésie dans ce paysage. Nombre d’expression où elle est citée. La plupart du temps avec une forme d’admiration. La poésie est souvent convoquée. Dans différents domaines. Même négligée, elle a une grande importance. Incontournable. Comme une forme de main invisible qui nous soulève. Dans quel but. Nous élever. Plus haut que la laideur et la mort. Au-dessus de nos egos.
La poésie est essentielle en notre siècle. Où que l’on se trouve sur la surface du globe. Elle était aussi essentielle en d’autres siècles. Réinventant l’aube après les nuits carnivores des tranchées de la guerre de 14-18, de la Shoah, d’Hiroshima et Nagasaki, des goulags, du colonialisme, du génocide du Rwanda … La liste de l’abominable du passé n’est pas exhaustive. Elle est encore ouverte aujourd’hui. Dans notre siècle, la poésie survivra au Yémen, à l’Afghanistan, à l’Irak, à l’Ukraine, à l’Érythrée, au 7 octobre en Israël, au massacre de Gaza, aux migrants noyés en mer, aux féminicides, aux gosses massacrés… Chaque internaute peut rajouter d’autres horreurs et abominables à cet inventaire du sang versé par notre connerie humaine. Malgré tout ça, la poésie perce toutes les nuits. Pour tenter de nous éclairer.
Et lancer une invitation. Nous exhortant à continuer de chercher. Ne surtout pas cesser de fouiller le monde. Ni les yeux de l’autre, proche ou loin. Pour y chercher toujours la beauté. Elle se trouve partout. Parfois même sur les visages les plus laids. Le pire des hommes peut en être porteur. Une beauté très visible ou à peine perceptible. Celle que la poésie tente de faire germer dans son sillage. Des graines de beauté poussant face à de beaux horizons ou sur des charniers. Partout où la poésie passe, elle laisse des traces. Petites ou grandes. Des traces qui font rêver et poussent à chercher plus loin. En quête d’autres traces. Près de soi ou aux antipodes. Elles ne sont jamais très loin. Parfois sous sa peau. Des traces se mêlant au pas de l’être qui cherche. Fouillant son obscurité et celle du temps qui passe.
Toutes et tous des poètes. On entend parfois cette affirmation. Je pense qu’on ne s’improvise pas poète ou poétesse. C’est un chantier de vie et de travail. Sans doute une des créations les plus complexe. Facile d’écrire de la poésie, suffit de se lâcher. Cette phrase a été prononcée par un auteur lors d’une émission de radio. Il a tout à fait le droit de le penser. Et il a raison ; tout un chacun chacune peut rédiger une poésie. Exprimer un sentiment malheureux ou heureux. Écrire de la poésie serait donc facile. Suffit de prendre un stylo ou pianoter sur un clavier. Mais écrire de la bonne poésie est très difficile. Un travail d’orfèvre. Pour conjuguer la musique des mots et le sens. Sortir de chez soi et de ses certitudes.
Et pister l’introuvable.