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Billet de blog 27 avril 2015

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Migrants: pas dans notre jardin ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

         Je reste plantée devant l’écran de mon PC. Les yeux rivés sur la photo prévue pour illustrer l’article. La main au-dessus de ma souris. Pourtant je suis, comme toujours, à la bourre pour le bouclage. Secrétaire de rédaction d’un journal en ligne, je dois mettre en page un hors-série consacré aux migrants de la méditerranée. Plusieurs de nos journalistes ont enquêté sur le sujet. Victimes collatérales de conflits militaires et économiques ? La question en filigrane de ce numéro spécial.

   Cette photo me ramène à un soir d’été à « La Ruine » : la villa  de mes parents, près de Nice. Une vieille bâtisse achetée une bouchée de pain et retapée  par un couple de citadins pure souche. Au début, notre arrivée fut très mal vue par la majorité de retraités nantis, de notables, et people, venus s’installer dans ce village. Tous cachés dans les pinèdes, loin des hordes de touristes déferlant sur les côtes méditerranéennes  en contrebas. Aujourd’hui, « La Ruine » est raccord avec les autres villas. Notre famille est bien intégrée. Des écolo-gaucho mais qui savent bien se tenir à table. Du même monde.

  Mes parents avaient organisé une grande fête pour mes 25 ans  et l’obtention de mon diplôme de l’école de journalisme. Une centaine d’invités sur notre terrain occupé en partie par un maraîcher bio. Joyeux cocktail de membres de la famille, de copains d’enfance de Paris, du village, de mon école…  Une belle soirée qui me faisait très plaisir. Rares ces moments où l’on a l’impression d’être au centre  d’un puzzle avec les pièces de son existence qui sonnent une à une à la porte, bouquet de fleurs ou bouteilles à la main. Belles images rassemblées sous un ciel de Provence.

Habitués aux fiestas avec beaucoup de monde, mon père et ma mère avaient tout pris en charge. De l'envoi de l'invitation au couchage de chaque invité. Comme à leur habitude, ils avaient assuré. Tout très bien planifié et organisé.

 Excepté l'arrivée d’un non invité.

             Pourquoi m’être lancé dans cette aventure insensée ? Tout ça pour me retrouver seul, au milieu de nulle part.  Bouffé par le  froid et la solitude. Sous les étoiles qui s’éteignaient une à une dans le ciel: seul témoin de ma dérive.  La  nuit profonde préférable sans doute à cette pénombre où chaque ombre ou mouvement inquiète. Quitte à mourir, autant que ça se fasse d’un seul coup. Sans avoir le temps de prendre peur. Emporté par surprise.

Mon père, dès le début de la guerre civile, avait retiré du liquide de la banque pour le planquer dans un lieu connu que de notre famille. De l’argent qui aurait dû nous permettre de tous nous enfuir. Ma mère,  née en exil avec ses parents, repoussait  jour après jour notre départ. Toujours à espérer des jours meilleurs. Jusqu’à cette nuit où le quartier fut pris d’assaut. J’étais resté 48 heures planqué dans la cave.

Fuir le pays.

Avec deux amis, nous embarquâmes en pleine nuit  sur un petit navire. Un homme ordonna à tout le monde de s’asseoir. Le moteur résonna sous nos pieds. Le bateau ne tarda pas à appareiller dans un bruit  mêlé de vagues et de ferraille. Nous nous relayâmes pour surveiller nos maigres bagages. Les passagers, entassés telle une quelconque cargaison, étaient mutiques. Parfois des sanglots ou une irrépressible toux. Chacun cherchait à se faire le plus petit possible, se fondre dans le décor. Laisser place au duo du silence et du ressac.

Nos souffles anonymes s'entremêlaient dans l'air froid. Tous soudés en un énorme animal voguant sur les flots. Une bête avec une centaine de regards.  Seuls les lueurs des cigarettes perçaient l'obscurité.

            Personne ne l’avait vu rentrer. Notre propriété était la moins clôturée du village, sans la moindre alarme ou caméra. Mes parents, malgré un changement de leurs habitudes, avaient gardé quelques réflexes de leurs années de militants. Hors de questions pour eux de céder aux sirènes de l’insécurité et de l’intolérance très en vogue. La sécurité se vendant mieux que l'empathie de nos jours. Etrangement, notre villa était une des moins cambriolés.  Sans doute grâce à la présence permanente du maraîcher et de ses chiens. Ce début août, nos vigiles  de «  La Ruine » avaient pris quelques jours de vacances. Très simple de pénétrer chez nous sans être repéré.

Le type, un colosse d’une trentaine d’années avec des lunettes noires, s’était assis à une table à l’écart. Il avait dévoré tout ce qui se trouvait dessus et vidé tous les verres.  Personne n’y avait prêté une quelconque attention avant qu’il ne se rapproche peu à peu de la grange aménagée en piste de danse.  L’une de mes copines vint me voir et m’expliqua qu’il lui avait pris son paquet de cigarettes avant de s’éloigner. Elle me le désigna discrètement.

Adossé à l’encadrement d’une porte, il fumait en regardant les danseurs se trémousser aux sons de la play-list « Années 80». Je rassurai ma copine: sans doute quelqu’un venu avec l’un des invités. Pas là pour fliquer, ni demander de montrer patte blanche à une centaine de convives.  Combien de fois avais-je squatté des fêtes ? En plus, que pouvait faire un type bourré et seul ?

Il se précipita sur la piste de danse. En courant, il trébucha et renversa une table. Un sourire grimace figé sur ses lèvres. Aussitôt, un vide s’établit autour de lui. Il dansait comme s’il était seul. Il s’arrêta, éclata de rire, avant de reprendre sa danse solitaire.  Ce type devait avoir un grain. Vraiment barge.

Mes parents décidèrent d’aller vider l’intrus qui faisait peur à tout le monde. L’un de leurs amis, journaliste local et ancien flic, assista à notre conversation.  Il arrêta mes parents d’un geste et nous entraîna à part. En quelques mots, il nous expliqua que, depuis l’été, un homme était recherché pour cambriolage avec violence à Nice et dans plusieurs villages aux alentours. Et visiblement, il correspondait au profil du suspect. Je commençai à paniquer. Fallait appeler les flics.

 Ma mère refusait de contacter la police. Peut-être que ce n’est pas ce suspect, fit-elle, prête à aller le voir. Pas tomber dans le délit de faciès, renchérit mon père quelque peu éméché. Leurs principes toujours intacts, même dans leur jardin. Mais pas eux  dont les copines avaient la trouille de ce type bizarre, parlant pas français, et dansant comme un fou. Il tentait sa chance avec tout ce qui portait une paire de seins. En vain. Plus que sa corpulence et ses vêtements d’hiver, c’était son visage qui faisait peur. Sans doute accentué par ses lunettes noires. Sûre que ce type allait pourrir ma fête.

 Comment réagir ?

        A l’aube,  j’ouvris les yeux.  La mer était très calme. Je me levai et compris aussitôt que nous nous étions fait avoir. Pas cinquante mais le triple de passagers.  Plus un mètre carré de libre. Nous avions eu la chance de pouvoir nous allonger. Plusieurs ayant sans doute passé la nuit debout.  Je repensais à ma mère. Et les images de la télé qui la faisaient pleurer. A ce moment, je me promis de revenir et venger ma famille.  Combattre les barbares qui avaient surgi dans notre pays. Les anéantir jusqu’au dernier.

Rejoindre la résistance.

  Dans un silence quasi-total, les regards s’entrecroisaient. Sans doute que les passeurs avaient raconté le même mensonge à tous. Peu à peu, autour de nous, chaque groupe commença à s’installer sur son petit territoire.  Très vite, sans le moindre échange de mots, on sentit les frontières invisibles.  Un homme d’équipage nous demanda par micro de ne pas trop circuler et distilla d’autres recommandations. Je vérifiai la présence de ma bombe paralysante dans la poche. Tous réunis par le même drame, chacun là pour sauver sa peau.

 En effet, les tensions d’occupation de territoire ne tardèrent pas à s’installer. Chaque fois,  des membres de l’équipage intervenaient. A un moment, le capitaine intervint et menaça de rebrousser chemin. Sa menace eut un effet immédiat. Moins que la mort de l’homme essayant de pénétrer dans le secteur réservé à l’équipage, abattu d’une rafale de kalachnikov et jeté à l’eau. Jusqu’au coucher du soleil, plus un bruit ni un mouvement parmi les passagers.  A la tombée de la nuit, les querelles reprirent. Sans bagarre.

  La houle de plus en plus forte faisait tanguer le navire. Les vagues cognaient contre la coque qui donnait l’impression de se craqueler. Certaines,  les plus hautes,  venaient arroser les trois ponts où s’étaient entassés tous les migrants. Chacun, tant bien que mal, tentait de se protéger et garder  à l’abri son bagage.  Une voix, toujours la même, nous ordonna de rester assis. 

   De l’endroit où je me trouvais, je voyais les vitres de la cabine de pilotage. Un homme devant un tableau lumineux. Deux autres couchés dans des sacs de couchage. Leur collègues installés sans doute dans des cabines sous le premier pont, derrière la porte verrouillée par un cadenas. Combien étaient-ils ? Six hommes d'équipage.

Trop peu pour un navire de ce tonnage.

     L’intrus avait finalement quitté la piste de danse.  A part une drague un peu lourde, pas pire que certaines dans la rue ou ailleurs,  aucun signe d’agressivité de sa part. Allongé sous un figuier, il fumait en regardant le ciel étoilé. La fête continuait. Les invités l’avaient déjà oublié. Pas moi très inquiète.

 Une femme en robe bleue, un verre à la main, s’approcha de lui d’une démarche très alcoolisée.  Elle planta une cigarette entre les lèvres et  se planta en face de l’intrus. Elle lui demanda d’un geste s’il avait du feu.

Il se releva sans hésiter.

           La coque  se brisa en plusieurs endroits. Le navire s'enfonça dans l'eau et remonta. Tous les migrants se levèrent. Les membres de l’équipage, armés de pistolets mitrailleurs, nous  firent allonger, la tête contre le bastingage.  Une femme se leva pour protester. Un des hommes la mit en joue. Elle tomba sur ses voisins. Le bateau s’enfonça peu à peu dans l’eau. Un homme courut sur le pont. Une rafale l’arrêta.  

 Je tournai la tête et vis l’un des canoës descendre à l'aide d'une poulis. Léquipage prit rapidement place à bord des embarcations de sauvetage. Un silence succéda à leur départ. Personne n'osait lever la tête.  Ils sont partis !  Je me relevai d’un bond.

 Jamais vu un tel déchaînement de violence en si peu de temps. Des hurlements en boucle.  Ceux au sol piétinés par les autres. Tous à nous précipiter vers les  deux seuls canoës. A peine furent-ils détachés qu’hommes et femmes se jetèrent à l’eau. Les premiers montés à bord aidaient les autres jusqu’à ce que les deux embarcations soient pleines à craquer, prêtes à chavirer. Les derniers embarqués empêchèrent  toute nouvelle montée à bord à coup de pagaies, de poings et de pieds. Prêts à tout pour protéger leur barque.

  J’abandonnai l’idée de monter à bord. Dans la cohue, j’avais perdu mes deux amis. Pas le temps de penser à eux.  Il fallait faire vite. Le  bateau ne tarderait pas à chavirer  entièrement. A quelques mètres de moi, un homme  réussit à arracher un meuble en forme de coffre. Je me jetai sur lui. Il se rebiffa. Beaucoup plus fort que lui, je le balançai au sol.  Il trébucha et fut emporté par une trombe d’eau. Ce meuble pourrait me servir de barque de fortune.  Un bruit derrière moi. Je me retournai. La lame traversa ma joue.  Il me poussa. Je tombai en arrière. Il s'accrocha aux parois du meuble et se laissa glisser dans l'eau.  Et moi incapable de me lever.

  Mon corps pencha de plus en plus jusqu’à rouler complètement. Nouveau craquement de la coque.  Une vague me submergea. Je réussis à remonter à la surface. Autour de moi,  des objets de toutes sortes. Comme si le navire dont on ne distinguait plus qu’une partie de la coque dégueulait ses entrailles. La guerre continua pour s’approprier tel ou tel élément pouvant aider à survivre. Chacun pour soi.  Quelques corps flottaient à  la surface de l’eau.

  Tous deux sur le même carré de bois, sans doute un morceau de cloison. Face à face. Nos regards comme dans un duel en accéléré.  Je lui assénai un coup de poing. Il porta les mains à son visage et s’enfonça dans l’eau. Je saisis la planche.

   Je m’éloignai sans me retourner.

        Deux hommes plaquèrent l'intrus au sol. Ses lunettes tombèrent sur la pelouse. La femme en robe bleue cracha la cigarette et leva le bras. D’autres hommes  se précipitèrent vers eux.  Tandis que trois des flics étaient assis sur  lui, la femme lui passa les menottes. Ils le relevèrent. Le souffle coupé, il avait les yeux exorbités. Il expira plusieurs fois.

  Encadré des flics en civils, il traversa le jardin. Certains des invités ne se rendirent même pas compte de l’interpellation. Ils passèrent à quelques mètres de moi.  Je ne pus m’empêcher de reculer.

   Ses yeux, encore plus que la plaie pas entièrement refermée, étaient inquiétants.  Une violence mêlée d’une détermination implacable. Ce type là ne pouvait-être que dangereux. Mêmes mes parents, défenseurs de tous les veuves et les orphelins de la planète, en convinrent. Rassurés eux-aussi qu’il soit expulsé de la soirée. 

La fête continua jusqu’à l’aube.

        Deux jours à dériver quand j’aperçus un bateau. Je fermai les yeux pour effacer cette image. La pression me faisait perdre la raison. Je commençai à délirer.  Quelques minutes auparavant,  j’avais vu mon père nager vers moi dans une tenue de plongeur sous-marin. Et, derrière lui, un Zodiac avec ma mère, mes tantes sœur et ma compagne.  Je leur avais même adressé  des signes et hurlé pour leur indiquer ma présence. Un  hélicoptère s’approcha aussi de moi avant de se transformer en mouette. La folie m’emporterait avant le reste.

  Au bout d’un long moment, je rouvris  mes paupières. Le voilier se rapprochait de moi. C’est fini, me dis-je à ce moment précis. Persuadé d’avoir traversé le miroir.

  Je refermai les yeux.

  Le temps était venu de lâcher prise, à tous les sens du terme. Arrêter  tout ça. Mettre enfin un terme au cauchemar permanent. Quitter à jamais cette scène qui me hantait. L’un des hommes avaient expliqué que quatre femmes attendaient les combattants dans le salon. Planqué dans la cave, j’avais entendu les hurlements, reconnu chaque voix: ma mère, ma compagne, mes tantes. Puis plus rien. De ma cache, je pouvais voir les chaussures des hommes entrer et sortir du jardin. Certains lançaient des blagues salaces sur les « quatre putes ».  Quand la maison me parut déserte, je sortis de ma planque.

La tête de mon père était posée sur la table basse. Je  détournai le regard. Son corps était allongé de l’autre côté du salon. Je plaquai mes mains contre mon mon visage. Ne plus voir, effacer l'image de l'horreur.  Je rouvris les yeux et grimpai aussitôt à l'étage. Ma mère et mes deux tantes mortes. Leurs ventres nus criblés de coups de couteaux.  Aucune trace de ma compagne dans la maison. 

Le premier jour de ma mort.

            La semaine après l’arrestation de l’intrus ( on ne le nommait que comme ça), nous fûmes convoqués au commissariat. En effet, selon plusieurs témoignages, il correspondait bien au profil du suspect ayant cambriolé et agressé plusieurs habitants de la région niçoise.  Un grand, très costaud, ne parlant pas français. Un document d'un centre d’aide aux migrants trouvé dans une des villas cambriolées avait orienté  l’enquête sur un clandestin. On trouva le même document dans  la poche de l'intrus. Mais personne n’avait vu le visage de l’agresseur, toujours cagoulé. Sa seule défense.

  A la fin de l’été, je remontais à Paris.  Cet épisode fut très vite oublié.  Mes parents, mis au courant par leur ami journaliste sur la côte, m’apprirent un soir  que l’intrus avait été condamné à sept ans de prison.  Contrairement à moi, ils lui trouvèrent des circonstances atténuantes.  Leur côté «  rousseauiste  » qui m’agaçait.  Pas envie de trouver des excuses à des criminels.

Depuis le 7 janvier, je m’étais endurcie, transformée en une  "je suis Charlie "  intraitable. La misère n’excuse  pas tout. Etrange cette génération plus réac que ses parents, me taquina ma mère. Et je la traitais de bobo, bien planquée dans son confort, et inconsciente des réalités même de l’autre côté du Pérife. Qui avait raison ?

         Une voix d’homme. Je rouvris les yeux. Le voilier s’approchait de moi. Pas une image née de la folie meurtrière. Non. Je n’avais plus la force de faire un signe. Juste capable de fixer les voiles glissaient lentement entre les vagues.  Homme ou animal marin ?

  L’homme m’aida  à  gravir l’échelle. J’avais très envie de vomir. Pourtant rien avalé depuis plusieurs jours. Une femme nous accueillit  sur le pont.  Je les voyais comme à travers un brouillard. Ils m’allongèrent sur un matelas. 

  Puis le noir complet. 

           Cette photo sur mon écran ébranle d’un seul coup toutes  mes convictions.  Une de nos journalistes enquêtant sur les bateaux de clandestins en méditerranée avait recueilli le  témoignage d’un couple de retraités ayant  sauvé un migrant de la noyade. La femme, ancienne prof d’arabe, avait pu communiquer avec lui. Et, après l’avoir aidé, ils l’avaient déposé trois semaines plus tard sur les côtes niçoises. De temps en temps, il les appelait ou envoyait un mail pour leur donner des nouvelles.  Après une tentative infructueuse auprès d’une association et quelques jours dans un foyer d’hébergement, il vécut dans les rues de Nice. Peu à peu,il s’éloigna de la ville et planta sa tente dans la nature. Un viticulteur l’avait embauché au noir avant de le jeter.  Un été, le couple n’eut plus du tout la moindre nouvelle.  

Les cambriolages avaient débuté avant l’arrivé de l'intrus à Nice. Pas le moindre doute sur son innocence.  Il avait purgé une longue peine de prison à la place du vrai coupable. Fuir l'horreur pour subir l'injustice.

Sur la photo, on le voit attablé dans la salle à manger d’un voilier.  Sa joue barrée par un pansement. Un étrange sourire au coin des lèvres. Le sourire d'un rescapé ?

 Au téléphone, j’apprends que l’intrus a purgé cinq années avant d’être extradé dans son pays d’origine. Je raccroche. En parler aux autorités judiciaires ? Tenter de le réhabiliter ?  Je me sens coupable. Pas uniquement à cause de cet homme accusé à tort. Mais aussi de ce putain de monde qui ne tourne pas rond.  Et de mon empathie au degré zéro.

         Après la réunion avec mes officiers, je pianote sur mon ordinateur.  Comme chaque jour, je parcours les journaux à la recherche des articles qui traitent de notre cause. La résistance aux barbares islamistes. Pas uniquement contre eux. Nous refusons aussi la main mise des occidentaux qui, au gré de leurs humeurs géopolitiques et financières, alimentent la boucherie.  Nous ne voulons ni de la charia, ni des dieux € et $. Etre une patrie libre. Un pays qu'on ne rêve plus de fuir. 

 Sur le mur, la seule photo des jours heureux : ma mère et mon père lisant dans notre jardin. Nous avons repris la ville depuis trois mois. Une ville entièrement dévastée. A mon retour au pays, j’ai cherché ma compagne. En vain. J'ai laissé notre maison à un cousin. Plus possible pour moi de vivre entre ces murs.

 Je lance le traducteur pour lire l’article. En général, j'évite les infos qui puissent me rappeler de près ou de loin ma fuite. Honte ? Sans doute  pas très fier de ma trouille de l’époque.  Mais cet article n’est évidemment pas comme les autres. L’impression qu'il s'agit d’un courrier déguisé.

  Depuis, la peau a recouvert la plaie sur ma joue. Refermée. Pas comme le reste. C’était lui qui avait tenu à cette photo. Elle m’avait dit : on prend toujours nos invités en photo. Invité, ce mot déclencha mon sourire de mort-vivant.  Je ne les avais plus recontactés après mon arrestation. Qu’auraient-ils pensé d’avoir sauvé un cambrioleur violent ? Ce  type qui, je l’appris par la suite, avait même tenté d’abuser d’une femme.  Personne n’avait cru en mon innocence. Pourquoi eux m’auraient-ils plus cru  que les autres? Pas envie que ce couple se dise: ils sont tous pareils. Juste se souvenir d’un invité. 

Pourquoi pas les inviter à mon tour ?

Parfois, je me demande s’ils continuent leur périple, comme  hors du monde. Ce choix, au seuil de leur dernier voyage, de se laisser voguer au fil de l’eau.  Promener leurs racines sur toutes les mers et les continents. Des migrants volontaires.  Deux êtres qui m’avaient réconcilié avec l’humanité. 

Pas avec les hommes.

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