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Billet de blog 27 avril 2025

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Lettre à sa honte

Avoir honte de soi n’est pas une honte. Au contraire. C’est en quelque sorte l'ouverture d’un chantier. Excessif, mauvaise langue, vulgaire, agressif, con … Rares celles et ceux à qui ce n’est jamais arrivé. Toutefois, la honte n’excuse rien. Elle ne dédouane pas non plus des propos tenus et des actes commis. Qu’ils soient graves ou non. Mais avoir honte est l'ouverture d'un chantier.

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Illustration 1
Honte © Pierre Alechinsky

           Avoir honte de soi n’est pas une honte. Au contraire. C’est en quelque sorte l'ouverture d’un chantier. Excessif, mauvaise langue, vulgaire, agressif, con … Rares celles et ceux à qui ce n’est jamais arrivé. Quand le matin, on regrette ses propos ou actes de la veille. Avec ou sans prise de produits licites ou illicites. Péter les ponts, disait un copain qui avait fait plusieurs séjours en HP. L’idéal serait d’anticiper sur sa honte et de ne pas basculer. Mais on ne tient pas toujours bien  son cerveau en laisse. Et chaque être mortel doué d’imperfections. Personne n’est donc à l’abri de basculer dans l’outrance et faire étalage de sa bêtise. Et en plus de récidiver la même connerie.

      Toutefois, la honte n’excuse rien. Elle ne dédouane pas non plus des propos tenus et des actes commis. Qu’ils soient graves ou non. Excepté des cas de « problèmes précis de santé mentale », nous sommes responsables de ce qu’on dit et fait. Même si nous pouvons être dans le déni. Pour certains actes et propos, plus ou moins graves, sa responsabilité est éventuellement engagée devant la justice. Et pour les autres conflits qui ne recèlent pas d’un tribunal, ça peut se finir en engueulades, et en perte d’amitié ou d’amour. Néanmoins dans tous les cas, évoquer sa honte n’efface rien. Ce qui a été prononcé et fait restera dans des mémoires. Mais ça permet de saisir la portée de ses propos ou actes. Et de rendre compte du tort occasionné à un ou plusieurs autres. Prendre conscience. 

      Et considérer sa ou ses victimes. Leur donner en raison. Ce que fait aussi la justice dans certains cas. Un moment extrêmement important. La concrétisation de la faute. Tout ça n’était pas que fantasme. La parole aussi libérée de l’auteur ou l’autrice des propos ou actes malveillants qui reconnaît les faits. Le destructeur y gagne aussi à accepter la vérité. Ce qui, encore une fois, ne le pardonne pas. Mais la réalité des faits n’est plus discutable. Le ou la plaignante n’ a pas affabulé ni menti. Comme on dit : dont acte.

       Cette lettre m’a été inspirée des derniers procès retentissants qui ont fait la Une de la presse. À quelques exceptions près, rares les hommes ayant dit : oui, j’ai commis ça. Naturel de se défendre pour écoper du moins possible. Le jeu naturel de la défense. Mais tout ne se joue pas que dans le cadre juridique. Il y a une autre cour de justice. Sans avocat ni possibilité de mentir. La cour de justice sous sa peau. Et face à son miroir. Avec le reflet de sa honte.

         Tous ses derniers procès m’ont rappelé un superbe texte de Georges Simenon : Lettre à mon juge. Une fiction sous une forme de lettre. Le récit d’un homme à la première personne. Il y énonce sa culpabilité. La dépiautant point par point. Combien parmi ces accusés qui seraient capables de « mettre leur acte » sur la table. Sans la moindre circonvolution. Oui, j’ai été ça. Mettre la vérité totalement à nue. Pour qu’elle soit visible des victimes. Mais aussi accessible à celui qui a causé des dégâts - importants ou légers - sur l’autre. Ce qui bien entendu ne signifie pas le pardon ni la fermeture de la plaie. Mais clarification de part et d’autre.

       La honte ne naît pas nécessairement d’une agression verbale ou physique sur une ou un contemporain. On peut être honteux pour de très nombreuses raisons. Celle de venir d’un milieu modeste, de ne pas savoir bien parler et écrire, de ne pas « être instruit », de son orientation sexuelle, de son corps, de sa couleur de peau, de sa religion …. La liste n’est pas exhaustive. Rares celles et ceux échappant à toutes ces petites et grandes hontes qui stationnent ou traversent notre histoire. Parfois, elles sont très envahissantes. Dans ce cas, il y a la nécessité d’essayer de les canaliser. Dans quel but ? Au minimum qu’elles deviennent des hontes apprivoisées.

        Fort heureusement, la majorité de nos hontes sont des petites hontes. Sans aucune violence phisique. Toutefois, les mots peuvent faire de très gros dégâts sur telle sur telle ou chair. Les humiliés souvent les seuls à voir l’étendue de la destruction à coups de phrases. Le « ce n’est que des mots » peut cacher de grosses douleurs. Mais toutes ces petites hontes ne représentent pas un grand danger. Ce qui n’empêche pas de s’y intéresser. Ne serait-ce que ne pas reproduire ce dont on a honte. Faire entre autres, attention à «  là où l’on s'adresse.». Anticiper sur une éventuelle blessure à l’autre.

         Écrivez à votre honte. C’était une de mes propositions pour un atelier d’écriture. En précisant que je jouerai aussi le jeu. Rarement me mettre à écrire lors d’un atelier d’écriture. Mais, aux regards des participants et participants inquiets de la proposition, je sentis qu’il fallait que je me mouille sur le clavier. À plusieurs reprises sous l’emprise de très grosses doses d’alcool, je me suis mis à invectiver des voisins de table ou de comptoir, avec beaucoup de vulgarité (conscient de sa présence, mais avec des digues qui, parfois, tombent toutes d’un seul coup). Et, bien sûr, le lendemain, on croise des regards et on a honte. Je vais décrire ce moment du lendemain à la première personne. Ma participation rassura plusieurs participants et participantes. Si l’animateur de l’atelier le fait… Mais cette proposition n’eut pas l’unanimité.

       Honte de nos hontes ? Sans doute un réflexe que nous avons pour la plupart. Jamais très agréable de se sentir honteux. Toutefois, un sentiment qui me semble important à ressentir. Souvent jumelé à l’empathie. Peut-être ce qui nous manque trop souvent. Avec nos « petites saloperies » et autres pollutions sonores de l’espace de l’autre. Ça manque sûrement à tel ou tel prédateurs : tueurs, violeurs, harcèlement, et autres destructions. Visiblement pas prêts à composer leur « Lettre à mon juge ». Peut-être que, parmi eux, quelques-uns la rédigeront. Mais un sacré boulot. Se regarder dans les yeux et voir qui on est réellement. Un monstre à visage humain.

         N’importe qui d’autre pourrait se retrouver dans son miroir. Chaque semblable susceptible de commettre le pire. Sauf que c’est soi dans le miroir. Personne d’autre sur la glace. Ne cherchez pas. Vous êtes bel et bien le seul individu face à vous. Des yeux ; les vôtres qui vous fouillent de l’intérieur. Plongeant au plus profond de votre intime. Pour faire le scan intraitable de sa solitude. Quand on ne peut s’échapper. Chaque fuite ramenant toujours à soi. Son reflet à juger. Et par le pire des juges : sa conscience.

     Tous et toutes à regarder droit dans les yeux de ses hontes ? Chaque être fera comme il veut ou peut. Pour certains d’entre eux, bien visualiser sa honte permet de ne pas reproduire la même erreur. Au moins de ne pas renouveler l’acte ou les propos dont on a été honteux. Ce n’est pas toujours une réussite. Être au clair avec ses hontes permet de s’améliorer un peu plus chaque jour. La formule d’un grand copain qui, durant des années, assénait qu’il préférait « avoir des remords que des regrets ». Un homme qui n’a pas été un ange. Loin de là.

         En vieillissant, il a su se bonifier. Jamais rencontré un être à avoir fait un si grand-écart en lui. Jusqu’à être devenu capable de compassion et d’empathie avec ses contemporains. Avant de mourir, j’aurais au moins appris à avoir honte, ironisait-il avec un petit sourire en coin. Peut-être que certains et certaines (dans le déni total ou partiel de leurs actes et propos) devraient suivre son précepte. Au moins tenter. Ça ne changera évidemment rien à la réalité. Mais avoir honte ne rajoutera pas de boue. Et belle école d'être.

         Apprendre de sa honte.

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