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Billet de blog 27 mai 2025

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Adversaire & Adversaire

Perdu de vue depuis plusieurs années. Son adversaire préféré. Deux décennies de polémique à leur compteur. Tout avait basculé une ou deux semaines après un jour d’octobre. Jamais la polémique entre eux n’avait pris une telle proportion. Au bord de la haine, sans jamais y sombrer. Un jour, plus aucune nouvelle de son adversaire.Il décide de partir à sa recherche.

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          Perdu de vue depuis plusieurs années. Tout avait basculé une ou deux semaines après un jour d’octobre. L’un et l’autre comme sur un ring verbal. Jamais la polémique entre eux n’avait pris une telle proportion. Au bord de la haine, sans jamais y sombrer. Un jour, plus aucune nouvelle de son adversaire. Celui avec qui il aimait tant polémiquer. Parfois durement. Jusqu’à ne plus s’adresser la parole. Puis, leur ego sous le mouchoir, ils reprenaient langue. Pour s’engueuler à nouveau. Deux décennies que ça durait. Autrement dit, deux vieux copains, rarement en accord. Mais plus intelligents et forts que leurs désaccords. Avant la disparition de son adversaire.

        Depuis sa disparition, un homme se fait passer pour lui. Certes, il lui ressemble beaucoup. Nombre de points en commun. Certains les confondent. Mais pas lui qui sait bien que ce n’est pas son adversaire. Jamais il ne réagirait d’une telle façon. Même s’il pouvait piquer de grosses colères et être de mauvaise foi. Comme lui parfois. Les deux copains taillés dans le même genre de colère. Mais pas une telle haine, irrationnelle. Incapable de la moindre écoute. Il ne se fera pas avoir par l’imposteur.

      Que faire ? Il se sent seul sans son adversaire. En trouver d’autres pour le remplacer ? Pas les adversaires qui manquent. Même dans son propre camp. Mais aucun n’arrive à la cheville du disparu. C’est le haut du panier comme adversaire. Avec lui, une polémique frise l’œuvre d’art. Loin des anathèmes et raccourcis. Même s’il y en de temps en temps, pour déstabiliser l’adversaire de verbe. Voire même de la mauvaise foi. Mais toujours avec brio et élégance. Guère un hasard s’ils s’écharpent depuis si longtemps. Pas sûr qu’il trouve un adversaire avec un tel niveau. Et puis hors de question de le troquer contre un autre. C’est un adversaire unique.

         Tu fais semblant de ne pas me reconnaître ou quoi. L’imposteur insiste. Je te dis que je suis ton adversaire. Arrête de m’éviter. Tu sais bien que c’est moi. On se connaît très bien, toi et moi. Chaque fois, il secoue la tête. Non, ce n’est pas toi. Mon adversaire a de l’élégance. Il a une bouche. Même une grande bouche, pour ne pas dire une grande gueule. Mais il a aussi deux oreilles. Et sait faire silence et écouter.L’imposteur le fusille du regard et commence à l’insulter. La preuve par tes anathèmes que tu n’es pas mon adversaire. Lui sait se tenir. Il a parfois de la colère dans les yeux. Mais pas ton putain de rictus de haine sur le visage. Tu ne peux pas être mon adversaire. Puisque tu es un ennemi. Les deux ne peuvent cohabiter. Puis il tourne le dos à l’imposteur.

     La décision est prise. Il va partir à la recherche de son adversaire. Où peut-il bien se trouver ? Après réflexion, une piste se fait jour. Peut-être se trouve-t-il dans les parages de la rue de leur rencontre. C’était une nuit de printemps électoral. L’un collait des affiches que l’autre décollait. Très vite, une violente polémique sur le trottoir nocturne. A tel point qu’une fenêtre s’est ouverte sur une bassine d’eau froide. Après le jumelage de leurs doigts d’honneur vers les étages, ils se sont éloignés. Tous deux, trempés, ils ont continué de se rentrer dedans verbalement. À plusieurs reprises, leurs poings se sont fermés. Sans jamais ponctuer leur échange virulent.

        À bout de souffle et d’argument, chacun est rentré chez soi. L’un en voiture, l’autre à vélo. Quel connard de connard ce mec ! La colère continuait son chemin dans le cerveau de l’un. Vraiment un con ce mec qui ne comprend rien. Pareil cheminement sous l’autre crâne. Puis ils ont fini par arriver dans leur domicile respectif. Se glisser sous leurs draps. Retrouvant le sillon de leur histoire. L’altercation disparut très vite de leur mémoire. Pas la première polémique, ni la dernière. Tous deux enclins au combat verbal. Sans se douter que leur rencontre aurait des suites.

      Tous deux habitaient dans le même quartier. Au début, ils ont fait semblant de ne pas se reconnaître. Avant de se retrouver un jour, l'un derrière l'autre à la même caisse de supermarché. Un hochement de tête. En écho, un raclement de gorge. Sans échanger le moindre mot. Puis, peu à peu, ils ont commencé à se saluer. Jusqu’au jour où ils ont commencé à échanger dans les allées du marché. De la pluie, du beau temps, des écoles du quartier, du manque d’espaces verts, … Jusqu’au « on boit un verre ». Le duo se trouvait devant le Bar du Marché. Depuis, c’est leur QG apéro

        Mais aussi de débat. Au début, d’autres clients du BDM prenaient part à leurs échanges. Avant de se lasser des polémiques à rallonges. Laissant le duo s’écharper au rythme des notifications et dépêches AFP donnant des nouvelles de la planète. Le patron et les habitués ne prêtaient même plus attention à leurs querelles permanentes. « Tant qu’ils se foutent pas sur la gueule, font pas chier les autres avec leurs querelles à la con, et payent leurs consos, tout va bien, souriait le patron. Avec un regard tendre sur le duo rebaptisé «Dupond et Dupont ». Toutefois, de temps à autre, il leur demandait de parler moins fort. Tous deux baissaient alors le ton. Pas longtemps.

       À quel niveau de la rue ? Il fait plusieurs allers-retours avant de réussir à retrouver le panneau d’affichage. Toujours là. Il est couvert d’affiches pour des concerts de Rap. Pourquoi êtes venus là ? Il regrette son déplacement. Trouvant idiot d’être retourné à l’endroit de leur rencontre. Quitte à disparaître, se dit-il, on ne part pas à douze km de son quartier. Sans doute a-t-il déménagé dans une autre ville. Ou même de l’autre côté des frontières du pays. Il s’apprête à partir quand une silhouette s’approche. Qu’est-ce que tu fous là ? Les deux questions en chœur.

      Chacun parti à la recherche de l’autre. Avec la même idée de l’idée du lieu, où chercher son adversaire disparu. Sur chaque visage, un large sourire. Tu sais qu’y a mec qui se prend pour toi. Il se prétend mon adversaire. Double rire. Incroyable ce que tu me dis, y a un mec qui se prend aussi pour toi et me raconte qu’il est mon adversaire. c'est vrai qu'il te ressemble comme une goutte d'eau. Mais ce n'est pas toi. c'est un type haineux. Pas un adversaire. Bref échange de regard. Avant de se tomber dans les bras. On se fait la fermeture du BDM ? Ça roule. J’ai mon vélo, là. Ma bagnole est pas loin. Ils marchent à pas lents. Au fait, tu as vu cette vidéo. Tous deux s’arrêtent. Pour recommencer leur revue de presse habituelle.

« Tu ne peux pas dire ça, quand même ! »

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