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Billet de blog 27 août 2015

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Rentrée «scolère» de Malika et Steven

Super content de rentrer en sixième. Si longtemps que j’attends d’être au collège moi aussi. Comme mon frère et ma sœur. Et les autres grands de la cité. Fini d’être chez les p’tits. Mais j’ai aussi les boules.  Même chialé en cachette. Personne est au courant. Je veux pas que les autres se foutent  de moi.

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Illustration 1
© Auteur de la photo non crédité


         Super content de rentrer en sixième. Si longtemps que j’attends d’être au collège moi aussi. Comme mon frère et ma sœur. Et les autres grands de la cité. Fini d’être chez les p’tits. Mais j’ai aussi les boules.  Même chialé en cachette. Personne est au courant. Je veux pas que les autres se foutent  de moi.  Je suis plus à l’école primaire. Y faut assurer au collège. Je sais pas pourquoi je peux pas m’empêcher d’être triste alors que je suis super content. Comme si tu ouvrais le chocolat de la surprise Kinder et que tu sais d’avance que le cadeau dedans est pourri. Ma sœur se moque de moi parce que j’aime bien encore les surprises Kinder. Cette tristesse va passer. Etre malheureux ça empêche pas de grandir. C’est mon père qui me le dit quand je suis triste. Mais pas lui qui entre au collège.

Première rentrée que je ferai sans Malika. On est dans la même classe depuis la maternelle. Elle et moi jamais loin. On joue ensemble dans la cour de récré, assis toujours l'un à côté de l'autre à la cantine. Tous les deux sont vraiment inséparables. La maîtresse de CE 2 qui avait dit ça à ma mère. Malika et moi, on se connaît très bien. Pas besoin de parler pour savoir comment l’autre s’est levé le matin. Elle est souvent de mauvaise humeur mais j’arrive très vite à la faire rire. On se raconte même nos rêves. Surtout  elle,  parce que mes rêves sont pas aussi beaux que les siens. T’inquiète pas Steven, on se reverra. Je vais au collège pas loin. Elle veut me rassurer  mais je sais que c’est pas vrai. Un mensonge. De l’autre côté c’est très loin. Trop loin.

Les parents de Malika ont  pas voulu qu’elle aille dans le collège du quartier. Paraît qu'il a pas un bon niveau. Elle va aller dans celui de la ville d’à côté. Chez les richman comme on dit à la cité.  Ceux qui vont dans des écoles pas du quartier on les apelle les  «éviteurs ». L’autre fois, on y est allé avec Malika. Elle voulait me montrer où elle rentrait en sixième. C’est vrai que c’est pas comme notre collège à nous. Je parle pas des bâtiments. Les deux collèges se ressemblent.  Le mien est même plus moderne. J’étais là quand le maire et plein de gens sont venus pour l’ouverture. Mon père, ma mère, et tout le  quartier, était fier d’avoir un collège tout neuf. Grand luxe.  Mon frère et ma sœur le trouvent super.

Ce qui change dans le collège de Malika c’est les gens.  Rien à voir avec ceux du quartier.  Comment dire ? Y a plus de gaulois que d’arabes et de noirs que dans les écoles de notre quartier.  Pas des gaulois comme mes parents. Ici, j’ai l’impression que tout le monde a de la caillasse. Y a beaucoup moins de pauvres que de l’autre côté ? Je sais pas vraiment, mais on dirait qu’ils sont tous plus riches que nous.  Mon grand frère aime pas quand je dis qu’on est pauvres.  Il se fâche toujours. Nous, on est pas des clochards. S’il était pas pauvre, pourquoi il aurait si peur d’être clochard. Lui et ses potes veulent que des fringues de riches. Etre sapés comme les mecs de la télé.  Des conneries tout ça. Même si j’ai que 11 ans, je vois bien qu’ils ont honte.

Moi aussi j’ai de temps en temps un peu comme une honte à la sortie de l’école.  Faut être aveugle pour pas voir que les parents de Malika et leurs amis ressemblent pas à mes parents. Pas les mêmes fringues, ni la même manière de parler.  Eux y vont toujours parler aux maîtresses et restent longtemps à discuter devant l’entrée.On dirait qu’ils ont plein de choses à se dire. Pas ma mère qui rentre vite. Les parents de Malika sont très gentils avec moi. Surtout sa mère.  Mais y sont pas comme nous.

Même quartier, pas le même monde.

          Papa se rend pas compte. Il croit que c’est facile. Pas lui qui va faire sa rentrée en sixième avec  plein de  gens qu’il connaît pas.  Bien sur, y en aura des élèves qui viennent du quartier.  Papa et Maman connaissent beaucoup de leurs parents, bouffent avec eux, etc. On est même partis en vacances avec certains.Je vais retrouver tous ceux qui veulent pas que leurs enfants aillent avec les autres du quartier.  Tu exagères Malika. Tu sais bien que tu retrouveras des copains et copines. Maman a raison : je vais retrouver de bons potes. Mais j’en veux quand même à mes parents. Surtout à Papa qui a insisté pour que j’aille pas au collège du quartier. C’est dur pour moi.

Je le comprends pas. Il arrête pas de me tanner qu’il doit tout à l’école publique. Nous  vivions entassés à  six  dans un quart de notre maison à nous. Et je peux dire que c’était chaud ma cité. Mais j’ai plein de bons souvenirs. Chaque fois qu’il est avec des potes, il arrête pas de raconter ses histoires de collège et de lycée dans son quartier.  Pas l’impression qu’il se soit ennuyé au collège. Et ça l’a pas empêché de devenir architecte.  Il me fait pas confiance ou quoi ?

Peut-être qu’il veut m’éloigner de Steven ? Je sais bien qu’il l’aime pas. Chaque fois que je viens avec lui à la maison, il fait la tronche.  Pas comme les parents de Steven qui sont super contents quand je vais chez eux. Je suis reçue comme une reine, avec Coca et Chips. Maman, elle, ça la dérange pas que Steven  soit mon meilleur… En vérité, on est plus que des potes mais ça c’est qu’à nous. Maman a pas oublié comment ses parents l’ont emmerdée quand elle a rencontré Papa.  Ils  sont jamais allés dans leur appartement. Elle s’est même fâchée avec eux et les a pas revus pendant très longtemps.  Ils ont rencontrés Papa qu’au bout de presque sept ans qu’il vivait avec Maman. Pour eux, Maman devait pas se mettre avec un… pauvre. Ils lui ont jamais dit ça comme ça mais Maman l’ a ressenti comme ça, et elle m’a bien expliqué tout ça.   Je déteste seulement les cons ! Sûr que Maman fait de différence entre personne. A l’école, elle parle avec tout le monde.  Un matin, je l’ai vue par la fenêtre de la classe : elle prenait un café avec la mère de Steven.

Maman est pas comme Papa qui oublie d’où il vient.  Avec lui et Maman, on va souvent chez Grand-père et Grand-mère mais  très rarement chez Mémé ; pourtant elle habite plus près que Grand-Père et Grand-Mère. Je peux même y aller d’un coup de bus. Mais  lui veut pas que j’y aille toute seule. C’est maman qui le tanne pour qu'on rende visite à Mémé. Je le sens jamais à l’aise chez Mémé. Il veut toujours qu’on parte très vite.

De quoi Papa a peur ?

          Dès la premier jour de la rentrée, Malika me raconte ses vacances.  Avec ses parents, elle partait tout le temps super loin, dans plein d’autre pays.  Dès qu’on a appris à lire et écrire, elle m’écrivait des cartes chez moi. Mon frère se foutait de moi mais je sentais qu’il était très jaloux. Mon père ça le faisait marrer.  Je mettrai mon plus beau costard pour venir à ton mariage à Malika et toi.  Même si c’était une vanne, je savais que ça lui faisait plaisir que je sois copain avec Malika.  Quand elle venait, il fallait qu’elle manque de rien.  Après les anniversaires de Malika, sa mère invitait tous les parents à boire un coup. Mes parents venaient jamais. Je rentrais toujours seul à la cité.  Il lui a plu le cadeau ? Ma mère voulait toujours que je lui raconte. Mon père lui demandait de me lâcher et fumait devant la fenêtre. Mais je savais que lui aussi écoutait.  J’ai oublié un truc important : moi aussi, depuis que je sais écrire, je lui envoie des cartes postales à Malika. Moi c'est des colos de vacances de la ville.

Mardi de la rentrée, Malika et moi on fera notre première rentrée pas ensemble. Ca me fait bizarre.  Pourtant je sais que ce sera une super journée. Ceux qui entrent en sixième on  se connait tous.  C’est  un jour vachement important. On est plus les petits de la primaire.  Y en a qui ont un peu la trouille.  Paraît que des troisièmes rackettent les sixièmes. Moi, j’ai pas peur. Et puis mon frère est en troisième.  Je suis pressé de jouer au foot sur le petit terrain  qui est à côté de la cour.  Les potes de mon frère savent que je suis un bon ; ils me prendront dans leur équipe.  Je suis pressé d’y être.  Enfin en sixième. Ca va être michto !

Pourtant je peux pas m’empêcher d’avoir les boules. Plus fort que moi.  Comme l’impression de… Je sais pas comment dire.  Pas les bons mots pour expliquer ce qui se passe à l’intérieur de mon ventre.  Et personne a qui raconter ça.  C’est un truc nul de penser à ça, pas des histoires de sixième. Faut que je devienne un grand.  Obligé maintenant que je vais faire ma rentrée au collège.  Quand tu te prends une claque ou un coup de poing, t’as mal, mais tu sais d’où ça vient. Et tu peux  répondre  et ruiner l’autre. Mais là, je sais pas d’où je prends les coups.  C’est dedans que ça frappe. Et ça fait vachement plus mal qu’un vrai coup.

Un sixième ça chiale pas.

           Rarement vu Maman  autant en colère. T’arrêtes pas de dire que tu es pour l’école républicaine et tu pratiques maintenant l’évitement scolaire pour Malika. Rappelle-toi comment tu traitais de mauvais citoyens ceux qui inscrivaient leurs gosses dans les collèges de Paris ou de la ville bourgeoise d’à côté. J’ai accepté tout ça mais, là, je ne suis pas du tout d’accord ! Pour mon anniversaire le 17 septembre, Papa veut pas que j’invite mes potes de l’école primaire qui seront au collège du quartier.  Là, j’ai compris qu’il voulait que je les oublie. Que je laisse tomber Steven et quelques autres potes. Ca, y peut rêver grave.  Pas parce que je suis plus dans le même collège  que je vais me la péter. On vit dans le même quartier.  Je vais les croiser tous les jours. On se connaît depuis la maternelle et, comme ça, parce qu’il a décidé, je fais comme s’ils étaient rien pour moi. Qu’est-ce qui croit ? Hors de question !

Je l’ai menacé de fuguer. Il m’a regardé.  Je crois qu’il a paniqué. Ma mère a essayé de calmer l’ambiance.  Je me suis foutue devant la fenêtre. Tous les deux parlaient derrière moi. Mes yeux se promenaient dans le quartier.  Derrière le grand immeuble de bureau qu’on appelle la baleine, il y a la cité de Steven.  La vitre devient comme un écran avec plein d’images.  La p’tite maison de ma nourrice, le square où je me suis coincé le doigt dans un jeu, le parking ou j’ai appris à faire du vélo, les soirs ou je faisais le courses avec Maman au Carrefour et que je croisais Steven avec son père, la halte garderie, les gros pains au chocolat de la boulangerie de la place… J’ai senti une larme sur ma joue. Trop triste pour parler. Et je suis allée m’enfermer dans ma chambre.

 Ils ont parlé longtemps. Trop doucement pour comprendre ce qu’ils disaient.  Puis Papa est venu frapper. J’ai pas ouvert. Maman m’a parlé derrière la porte. Je la sentais très triste.  J’ai ouvert et je me suis jetée sur mon lit, ma tête dans l’oreiller.  Elle m’a caressé les cheveux.   Faut comprendre ton père. Il fait ça parce qu’il pense que c’est bien pour toi de…  Elle aussi était d’accord avec lui. Tous les deux contre moi.  Avec ton père, on  a trouvé une solution. On fera un anniversaire avec tes amis du collège et un autre avec tes copains du quartier. Ca me fera très plaisir de revoir Steven.  Je la sentais pas à l’aise.

Papa a gagné.

         Ma mère veut m’accompagner. Moi, je veux pas. Je suis plus à la primaire.  Elle a oublié ou quoi que je vais tout seul à l’école depuis le CM1.  Pas en sixième que je vais y aller avec ma mère.  Elle a l’air inquiète pour moi.  Steven est pas comme son frère et sa sœur.  Il faut pas qu’il reste ici.  Elle disait ça à ma tante. Toutes les deux croyaient que je dormais. C’est la directrice de l’école qui lui a dit que j’étais un très bon élève mais que je foutais  rien.  J’aime pas cette femme qui aime que les meilleurs de la classe, les boloss… Mais elle a raison : je fais exprès de pas comprendre.  Facile tout ce qu’on apprend. En plus, j’aime pas pas comprendre. Moi, faut que je comprenne tout, même les trucs les plus durs… Les trucs des adultes. Si je voulais, je serai avec les premiers mais… Pas envie de me la péter grave avec mes potes qui ont plein de problèmes pour écrire, lire, et le calcul.  On est pareils. Je suis pas au-dessus. Même si… Laissons béton ce truc. Faut que j’aille au collège.

On se retrouve avec les potes en bas de l’immeuble. Je lève les yeux.  Ma mère est sur le balcon.  Je vois pas mon père mais je sais qu’il fume sa clope derrière la fenêtre du salon.  Leurs regards me donnent de la force. Y a des mères qui nous suivent sur le trottoir.  On accélère pour les semer.  C’est notre jour à nous. La sixième c’est important. On passe devant l’école primaire.  Je sais pas quoi faire. Dire bonjour à la gardienne qui est devant l’entrée ou faire semblant de pas le voir ?  Elle connaît bien ma mère qui a été femme de ménage dans les écoles de la ville.  Pas envie qu’elle me caresse les cheveux en m’appelant « mon p’tit bouclé ».  Je baisse la tête et continue mon chemin.

On entend la sonnerie. Ca y est ! Deux hommes arrivent et ouvrent doucement les portes. Y en a un qui a un costard.  De l’autre côté, il y a une femme et un homme. Ils nous font rentrer par p’tits groupe. Bon, faut que j’y aille moi aussi. Super heureux. Je suis en sixième.

_ Steven.

Pas possible ! Je dois rêver.  Malika est là. Elle a un petit sac à  dos. Elle me sourit. Je sais pas quoi faire.  Mes potes m’appellent. Je peux pas bouger.  Ca continue de rentrer derrière moi.  Faut que je bouge.  Non, c’est pas elle… Une fille qui lui ressemble.  Du délire. Je suis en plein délire. Un copain me tire par le bras. Faut que je rentre dans le collège.

 Au début, Malika et moi on a  marché dans le quartier. Puis on a eu peur d’être vus par le Père de Malika qui travaille dans son atelier ou de mes parents qui sont à la maison. Malika voulait qu'on prenne le métro pour Paris.  Ca me faisait peur mais j'ai dit oui. Et c'est super cool ! Je suis pas allé souvent à Paris. Malika connaissait un peu car elle y va avec ses parents.  On est descendus à Bastille. Tous les autres étaient dans leurs écoles. Et nous on se tenait la main dans les rues. Elle et moi on est sûrs qu’on se fera engueuler pour avoir séché le premier jour. Demain, on ira chacun dans nos collèges. Peut-être que nos parents voudront plus qu’on se voit ? Interdiction  d’aller à son anniversaire ? On pourra rien faire. Mais personne pourra nous enlever ce matin. C’est vraiment notre plus belle rentrée ensemble.

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