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Billet de blog 27 août 2024

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Désir sans ailes

Toujours agréable de croiser de la beauté. Surtout en cette période où la laideur, la violence, la haine, et d’autres saloperies, occupent le haut du pavé numérique et de la réalité quotidienne. Après notre échange, nous nous saluons. Lui pour se doucher d’une journée de boulot. Et moi sur le fil des vacances. Je grimpe sur mon vélo. Avec dans la tête, une bonne nouvelle. Et la joie d’un regard.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
© Marianne A

                   Tendresse au seuil de la nuit de l’autre. Pas n'importe qui. Un regard et des gestes doux sur le proche qui, jour après jour, lâche la rampe. Témoin de son complice de vie  qui se laisse partir. Souffler sur les braises de son  désir ? Vous avez essayé. Parfois même réussi à le réveiller. Une flammèche dans des yeux replongeant inexorablement dans une nuit en attente. À un moment, vous avez cessé de souffler ; laisser l’âtre s’éteindre. Avec un constat implacable : le désir est un souffle qui ne peut venir que de l’intérieur de soi. Vous ne pouvez rien faire contre le «  j’ai plus envie ». Surtout prononcé par une vieille personne. Quand le désir a perdu ses ailes, le corps s'enfonce dans un fauteuil ou au fond de son lit. Tout a été déjà vu, vécu... Plus  la moindre  curiosité. En attente des paupières fermées à jamais. Partir enfin. Et vous êtes là pour assister à un départ. Vous sur un quai, votre moitié sur un autre. Plus la même destination.

         Entre les deux quais, une histoire commune. Avec des hauts et des bas. Parfois le proche est plus éloigné qu’un regard inconnu de passage. Rien de nouveau sous le ciel des couples : assemblage plus ou moins réussi de deux solitudes ? Quand la fin pointe son nez, on préfère honorer les belles choses d’une rencontre qui a duré. Les querelles et les reproches d’une longue proximité sont gravés sur l’ardoise - retournée avant le dernier voyage. Plus que cet instant en suspens dans l’air. Avec bientôt une autre solitude. Différente de celle à deux. Avec de nouveaux instants à vivre. Petites ou grandes joies. Continuer de rester à table avec les autres. Sa  fourchette au-dessus de l'assiette. Jusqu’à la fin de son désir d’être au monde.

         Une scène d’ultime tendresse vue de plus en plus souvent depuis quelques années. Rien de plus normal en vieillissant. Et donc en côtoyant des plus âgés que soi. Pas que des histoires d'amour vieillissantes. Parmi ses copains et copines. Avec entre autres le poids des anciens. Et pas qu’au sens figuré. Autour de moi, certains et certaines portent à bout de bras : un père, une mère, parfois les deux parents. Jamais une situation simple. Même quand ça se passe pas trop mal, on sent une sorte de désarroi dans les regards de ce qu’on a baptisé les aidants. Présence plus ou moins permanente. Une aide à franchir la dernière ligne droite d’un corps se désarticulant de plus en plus. À son arrivée au monde, personne ne peut imaginer s'occuper d’un « départ du monde ». Celui des êtres l’ayant convié à partager un bout de temps avec eux sur la planète. S’occuper des dernières formalités d’une histoire unique en partance. Rien de plus naturel. Un rite depuis la nuit du temps qui a toujours le dernier mot. Et aussi le premier cri.

        On attend un deuxième enfant. Sourire radieux sur le visage de É. Il vit avec A. C’est un couple de trentenaires très sympathique et intéressants. Avec l’élégance des êtres s’efforçant d’offrir à l’autre la façade d’un sourire. É et A ont adopté un mode de vie le « plus décroissant possible ». Ce qui n’empêche pas des contradictions - comme n’importe quel individu - avec leur désir de ne pas rajouter de la nuisance à la planète. Et cerise sur le gâteau, É et A sont très beaux. Toujours agréable de croiser de la beauté. Surtout en cette période où la laideur, la violence, la haine, et d’autres saloperies, occupent le haut du pavé numérique et de la réalité quotidienne. Après notre échange sous un ciel d’ici, nous nous saluons. Lui pour se doucher d’une journée de boulot. Et moi sur le fil des vacances. Je grimpe sur mon vélo. Avec dans la tête, une bonne nouvelle. Et la joie d’un regard.

        Retour dans une maison parfumée aux vacances. Des tablées à rallonges, des sourires, des rires, des échanges intéressants, quelques petites frictions verbales, de la bonne bouffe, du bon vin, des baignades dans la piscine, de la pêche aux étoiles filantes, des mots de la pluie et du beau temps, des jeux… Sans oublier les silences : une denrée rare dans un siècle où les valeurs les plus côtés sont le bruit - surtout du je je je - et le fric à n'importe quel prix. Comment définir cette parenthèse estivale ? Au regard de la planète, quelle expression plus appropriée qu’une réunion de «  bien lotis de la planète ». Ce n’est qu’un bon moment à passer, disait un vieux pote. Le vélo à peine rangé, je m’empresse d’annoncer la future naissance à table. Heureux de partager une bonne nouvelle. « Encore des égoïstes. » C’est la remarque d’une des convives. La première à réagir à l’annonce. Une réaction sans doute sincère.

           Même si elle est discutable. Pas la première fois que j’entends ce genre de propos. On peut en effet affirmer que «  faire des enfants » c’est ne pas penser à eux venant au monde dans un sale monde. En bref, ce serait un plaisir égoïste de reproduire la chair de sa chair. Sans oublier les problématiques de la surpopulation, etc. Certes des arguments qui peuvent s'entendre. Et qui ne sont pas déconnectés d’une réalité d’ici-bas fort problématique. Toutefois, pourquoi saper la joie et le désir d’un semblable en le qualifiant d’égoïste ? Le penser est une chose, l’exprimer en est une autre. Au moins prendre du temps avant de le dire. Pourquoi pas mettre des gants à son verbe pour ne pas polluer le plaisir de l’autre. Après avoir balayé devant son propre égoïsme ?

               Dont celui d’être vivante.  Issue elle aussi du fruit d’un désir égoïste. Contribuant donc par sa présence à la douleur et la détérioration de notre chère veille planète. Comme nous tous et toutes. Avec entre autres notre égoïsme de consommateurs de smartphone ( n'entendant pas  le souffle du gosse se tuant à la tâche dans une mine de cobalt....), de bagnoles, de voyages à travers la planète… Chaque respiration est une empreinte carbone. Nos mails, nos photos de vacances, les poubelles de nos joies estivales… Chaque acte a sa trace d’égoïsme et rajoute plus ou moins à l’asphyxie de la planète. Personne n’est innocent dans ce vaste merdier en orbite. Avec ou sans enfant.

        Parfois, la critique va beaucoup plus loin que le qualificatif d’égoïsme. Faire un enfant de nos jours, c’est vraiment criminel. J’ai entendu aussi plusieurs fois cette formule à l'emporte-pièce. Accusant des futurs parents de criminels. La plupart du temps, des propos émanant de personne n’ayant jamais eu d’enfants. Ne pas voir mis au monde n’empêche pas bien sûr de critiquer celles et ceux qui veulent en avoir. Encore une fois, je répète que ce sont des arguments qui peuvent s'entendre. Quand ils ne sont pas un index procureur . Ni une tentative plus ou moins perverse de culpabilisation du désir de l’autre. Parce que son choix  ne correspond pas à sa propre vision de l’humanité. Et de son devenir. Le jugement sans appel du choix différent du sien serait la marque de fabrique de notre siècle ?

          Dans tous les cas, inviter ou non un enfant au monde relève de l’intime. Et notamment de la première concernée : la femme. C’est à elle de décider d’y accueillir un ou une passagère. « Faut ligaturer les trompes des femmes du tiers-monde. Ça réglerait le problème de l’immigration. Et faudrait ligaturer les trompes des femmes irresponsables des pays occidentaux. » La sentence d’un chauffeur de taxi qui n’ a cessé de me parler de ses deux enfants au collège. Jeter la pierre aux êtres ne voulant pas se reproduire ? Pas mon intention. Ils ont leurs raisons. Elles ont autant leur place que celles des «  metteurs et mettrices au monde ». Au fond, personne n’a raison ni tort. Juste des visions personnelles - sa chair de mortel - sur entre autres l’évolution de notre espèce. Avec des réponses différentes.

       Indéniables que certains individus ont des inquiétudes sur l’avenir de notre humanité. Elles sont légitimes. En effet, pas très joli le bilan de notre espèce humaine. Suffit de regarder sur écran, ou autour de soi, pour constater l’étendue des dégâts. Toutefois ne pas oublier qu’il y a de très belles choses à mettre au crédit de nous les humains. Dans de nombreux domaines. Et sans doute d’autres belles choses à venir. Revenons aux « anti-mise au monde », de plus en plus nombreux. Sont-ils dans une forme de désir anticipé de la fin de l’espèce ? Si peur de la rencontre avec le mur qu’ils accélèrent pour détruire le plus grand prédateur de la nature ? La projection de leur propre fin ? Sûrement plusieurs raisons mêlées.

         Nulle intention de juger qui que ce soit. Ni de donner de leçons de ce qui est bien ou mal. Quoi qu’on a toujours du mal à échapper à ce petit prof sentencieux en soi, sûr de détenir la vérité et avoir les bons choix de vie à proposer – même pour celles et ceux n’ayant demandé aucune aide ou conseil. Comment échapper à ses propres griffes sentencieuses ? En reprenant une tournée de doute et d’autodérision. Trêve de digression et revenons à ce désir de fin. Chacun et chacune fait comme il veut et peut avec ce genre d’interrogations. Sous le ciel, huit milliards de solitudes trimballant leur sac de questions. De temps en temps, elles s’arrêtent et lèvent les yeux. Comme ici en août. Nos yeux tournés vers la belle nuit des lotis de bord de piscine et de rivière. Avec une question récurrente. Voire un agacement. Pourquoi elles se taisent ? Même pas un début d’éclairage sur ce gouffre sans nom, derrière sa peau. Des étoiles définitivement muettes.

         Quelles images conserver de ces vacances de lotis du monde ? De nombreuses. Tant de bons moments. Dont le sourire et la joie de É. Quelques mots et un visage ensoleillé sur un pont d’ici-bas. Une des nombreuses belles lumières humaines croisées cet été. Plus de nombreux marcheurs et marcheuses : funambules sur un fil invisible, cherchant à couper toutes les laisses de l’époque. De belles tranches d’histoires toujours bonnes à déguster. Surtout à une période de l’existence où l’on commence à fréquenter beaucoup les funérariums. Et de plus en plus à croiser des regards de tendresse de proches sur leur complice de vie en partance. Il ou elle a pris un coup de vieux. On entend rarement l’expression prendre un coup de jeune.

          Vieillir est bien sûr un catalogue de renoncements. Notamment à cause de l’usure : le cœur qui perd les pédales, les pieds parfois en déséquilibre, la respiration plus heurtée, etc. La tristesse du regard des enfants devant abandonner leur château de sable au vent se lit parfois dans les yeux de vieux vacanciers. Avec une grande différence. Le vieux vacancier est devenu un château de sable. Dans le souffle du vent. Le château s’effaçant peu à peu. Face au flux et reflux. La vieillesse serait-elle une saison de plus ?

          Avant la sortie du calendrier. Une saison avec le plus souvent en son centre : ses premiers pas. Quand l’équilibre de la marche était aussi précaire. Le sol de l’enfance pouvait à tout moment se dérober sous les pieds et nous faire trébucher. Même incertitude verticale en cette dernière saison. Dans le même corps, le jumelage de l’enfance et de la vieillesse. Se retrouver après un long voyage. Qu’est-ce que tu es devenu ? L’enfant a bien sûr la réponse. Il n’a jamais été loin. Pourquoi alors poser la question ? Pour se raconter des histoires des deux rives. La première et la dernière. Donner des nouvelles de l’un à l’autre. Faire un bilan ou non. Ou juste se taire, côte à côte face au même horizon qui se rétrécit. Quand les douleurs de l’érosion laissent du répit, on peut profiter de ces deux rives de soi. Se promener de l’une à l’autre. Avec la curiosité d’un vieil enfant. À l’affût de la moindre pépite offerte. Conjuguer le temps qui passe au présent de l’être.

          Un jour, l’espèce humaine pourra décider (un choix respectable) de ne plus du tout faire d’enfants. Plus aucun ventre ne sera habité. Ni de bébé de labo. Que se passera-t-il alors concrètement ? Un changement radical. L'avenir engagé avec une avance sur la date de fin prévue par certains experts. Parfois des expertises contradictoires sur la phase finale de notre espèce. Un choix de ne plus se reproduire  entraînant une ultime marche vers plus rien. Rideau. Avec entre temps  une planète qui ne finira habitée que de vieux ? Une foule de déambulateurs sous la voûte céleste ? Des visages à rides à tous les coins de rues ? Un gigantesque EHPAD en orbite autour du soleil carnassier ? Des questions qui peuvent se poser. Affaire à suivre...

              En attendant, un petit message de rentrée. Ou plutôt de pré-rentrée. L’élève en question n’est pas encore arrivé. Mais bientôt sur le carnet de présence de l’humanité. Un des nouveaux représentants de notre espèce. C'est une des bonnes nouvelles de l'été : l’enfant à venir de É et d'A. Visiblement très attendu par le couple. Un enfant parmi d'autres qui vont débarquer. Que souhaiter aux êtres qui font leur première rentrée sur la planète ? 

           Bienvenue en éphémère.

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