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Billet de blog 27 octobre 2024

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L'heure fantôme

Un sourire naît sur les lèvres. Comme une victoire sur le temps. En effet, un gain d’une heure. Un peu de rabe sur la grasse matinée du dimanche. Et du sommeil en plus pour les petites mains dominicales qui se lèvent pour courir ici et là. Juste un interlude sur l’agenda. Mais pourquoi se gâcher ce plaisir. S’accaparer une petite heure sur le calendrier. Profiter de ce «  cadeau » du temps.

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            Un sourire naît sur les lèvres. Comme une victoire sur le temps. En effet, un gain d’une heure. Comme chaque année, un petit écart d’horloge. Avec du rabe sur la grasse matinée du dimanche. Et du sommeil en plus pour les petites mains dominicales qui se lèvent pour courir ici et là. L’ouverture d’une épicerie de village, la course dans un service de natalité dans un hôpital, prendre le volant du train ou du bus… Rien de nouveau en réalité. Juste un interlude de soixante minutes sur l’agenda. Mais pas une raison pour se gâcher ce plaisir. S’accaparer une petite heure sur le calendrier. Profiter de ce gain sur le temps qui passe. Quand on peut en jouir.

        Dans tel ou tel ailleurs, toutes les heures sont perdues. Qu’elles soient d’hiver ou d’été. Monotonie de jours et nuits meurtris. Le ciel comme un suaire percé d’étoiles certaines nuits. Avec toujours la fuite d’un temps submergé par la trouille et l’appréhension ; la moindre minute peut être l’avant-dernière. Les bombes et les armes automatiques ne changent jamais d’heure. Pas de répit. Certaines parties du globe n’ont que le temps de la souffrance et du verbe perdre. La perte d’un ou d’êtres chers, la perte d’un bras ou d’une jambe, parfois les deux, la perte de son toit, la perte d’un arbre planté par un ancien secoué aussi dans sa dernière demeure, la perte de son école… Chaque seconde perdue d’avance. La folie humaine a toujours la même montre. Réglée sur l’heure de l’horreur.

             Pourquoi gâcher la grasse matinée d’une grande partie de la population ? C’est vrai que c’est inutile. Se culpabiliser de profiter d’une heure de plus ne changera pas ma moindre seconde d’horreur ailleurs dans le monde. C’est vrai. Mais avec l’habitude erreur de ne pas avoir changé la pendule du radio-réveil, je me suis levé trop tôt. L’épicerie du village pas encore ouverte pour la baguette chaude et les croissants. Un café fumant devant la fenêtre pour regarder le paysage de cette heure gagnée. Ils sont là, fidèle au poste. Une haie de regards à branches. Pour les arbres, sans doute que rien a changé. Une présence comme un cadeau renouvelé de l’aube à la nuit. Un bel instant trempé dans le café matutinal.

            Nanti. Ne serait-ce que le luxe d’observer le silence. Et même de culpabiliser de pouvoir profiter de ce gain. C’est toute l’ambiguïté de l’empathie. Sans elle, pas d’humanité. Et avec elle, pas de bonheur, en tout cas jamais complet. Que de la joie en pointillés. C’est déjà pas mal. D’autres n’ont pas le droit à cette intermittence joyeuse. Mais pas uniquement les populations – souvent les mêmes depuis trop longtemps - dévorés par la guerre, la faim, la violence, et d’autres violences au quotidien. Il y a aussi les êtres bouffés par la maladie ou une vieillesse plombant le corps et l’appétit de vivre. L’heure ne change pas quand son horloge est réglée sur la douleur. Pendant ce temps, des oiseaux traversent le silence. Sous un ciel unique. Et différent pour chaque histoire.

          Le passage d’une heure à l’autre ne change pas grand-chose en réalité. Son agenda reste le même. Nanti ou anéanti. Les mots ne changent rien non plus. Même les plus beaux et forts. Pourtant, les poètes continuent de parler. En prison, sous les bombes, dans une extrême misère au cœur d’une ville… Les poètes insistent avec leurs mots inutiles. Des phrases ne protégeant de rien. Ni de la violence, ni du temps carnassier. Ce qui ne les empêche pas d’écrire. De faire de l’inutile une arme. Ce ne sont pas tous des artistes talentueux. Certains sont très nuls. Comme pour les boulangers, les médecins, les profs, les maçons… De bons et mauvais poètes. 

              Tout ces bobos de  cultureux se gavent sur nos impôts. Chacun de leur poème ou toutes les autres productions artistiques nous coûte du pognon en subventions et autres aides. Indéniable que la culture n’est pas gratuite. Mais elle contribue sept fois plus au PIB que l’industrie automobile. Ce qui n’empêche pas que des poètes et autres artistes sont souvent qualifiés de fainéants-assistés de la République - sauf quand ils passent à la télé et ont du succès. Une inutilité qu’on aime retrouver dans les mariages pour danser sur des sons et des mots. Pareil pour les enterrements avec le choix des musiques et paroles de départ pour la nuit sans retour. Des assistés (moins que les grandes fortunes de ce pays et de la planète qui aiment à s’évader fiscalement et planquer du pognon dans des niches légales...) dont on a besoin de la naissance à la mort. Même si ce n’est que pour des joies et intérêts intermittents. Se rappeler des assistés ( petites mains ou vues à la télé) quand on se projette un film ou écoute de la musique. Ou en jouant à des jeux vidéo créés par des artistes du 11e art. Sans ces « assistés », plus du tout ce genre de moment. Que le poids du temps sur ses épaules. 

        Des assistés qui nous assistent au quotidien. Pour nous fournir en rires. Mais aussi en coeur noué et larmes. Pas uniquement une assistance par le divertissement et l’humour ( nouvelle tyrannie du rire à tout prix?). Des passeurs d’idées et des ouvreurs sur soi et le monde. Nous aidant à douter, penser contre soi, avoir l’esprit critique, etc. Parmi ces « passeurs d’inutile », des artistes capables de transformer n’importe quelle nuit en aube. Souffler sur les braises de la beauté même sur les charniers des horreurs de notre espèce destructrice et autodestructrice. Certains magiciens avec les mots ou d’autres outils réussissent à nous faire nous extraire de l’impasse de l’obscur pour nous proposer des lueurs de l’espoir. Et de modeler la boue en champ de pépites. Que serait le monde sans ces inutilistes ? Pareil en pire. Un monde sans espoir ni beauté.Merci aux inutilistes de talent.

          Que faire de cette heure gagnée ? Profiter de ce cadeau annuel au seuil de l’hiver. En tout cas pour  les êtres qui pourront avoir la possibilité de la déguster toute la journée. Que ce soit au fond de son lit ou un café à la terrasse d’un dimanche d’automne. Mais nulle obligation d’en profiter. On peut l’ignorer et faire comme si rien n’avait changé durant la nuit ; si ce n’est l’obligation de tourner les dernières rares aiguilles de nos pendules et montres. Possible aussi de la dilapider en une seconde… Chaque solitude fera ce qu’elle veut de cette heure. Notre temps est unique. Même s’il est universel. Notre temps n’est pas interchangeable. Ni récupérable quand il est passé. Une horloge unique sous chaque poitrine.

       Bon dimanche et temps qui passe.

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