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Billet de blog 27 décembre 2024

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Le plus vieux chantier

Le monde est bleu en façade. Parfois rose. Mais pas pour tout le monde. Suffit d’ouvrir les yeux pour s’en rendre compte. Le cœur du monde est-il de plus en plus sombre ? Une époque plus noire que jamais ? Mais un réflexe perdure : les êtres continuent de festoyer, même avec un horizon plombé. Avec le monde emballé. Livré ou non à domicile. La mort de notre espèce en petit ou gros emballage ?

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Illustration 1
© Photo: Gilles Delbos

            Le monde est bleu en façade. Parfois rose. Mais pas pour tout le monde. Suffit d’ouvrir les yeux pour s’en rendre compte. Le cœur du monde est-il de plus en plus sombre ? Ses yeux de plus en plus embués de nuages ?  Une époque plus noire que jamais ? Des passagers d’autres siècles – comme nos semblables ayant vécu la saison de la boue des tranchées - auraient pu penser que leur époque était la pire. Et que personne, après eux, ne pourraient vivre une telle horreur. L’histoire leur a donné tort : autre temps, autre abominable. Mais dans tous les cas, un réflexe perdure : les êtres continuent de festoyer, même avec un horizon plombé. Comme nous l’avons fait récemment. Avec le monde emballé. Livré ou non à domicile.  La mort de notre espèce en petit ou gros emballage ?

        S’interroger sans culpabiliser. Ni soi, ni l’autre. Sans non plus rester dans le constat stérile. Certes prévoir le pire offre l’avantage d’avoir toujours raison. Le fameux « je vous l’avais bien dit » inutile, mais qui offre la position de l’être visionnaire au-dessus de la mêlés des naïfs et utopiques. Parfois, il m’arrive de jouer à ce jeu. Mais j’essaye de me soigner et ravale de plus en plus ma noirceur pour la consommer en solitaire. Une posture facile et polluante. Même si la vision pessimiste de notre ère et de l’avenir ne sont pas à exclure. Alimentée par de nombreux exemples contemporains. L’élégance n’est pas non plus à exclure. Comme de ne pas pourrir le bonheur et la joie de l’autre.  S'abstenir de noyer l'autre de sa vision négative.

         Garder sa nuit pour soi. Au moins en public faisant la fête. Ou essayer de la transformer. Ce que fait telle ou tel artiste. Des magiciens capables de transformer leurs visions sombres et désespérées en un objet de beauté. Sans pour autant se cantonner à l’esthétique de façade. Un objet avec du sens et des interrogations. Pas juste pour faire bien sur sa table basse où alimenter son désir de posséder du beau dans son entre-soi. Rares les artistes (un terme de plus en plus galvaudé en notre ère de « créa-com » à tous les étages  de sa chaîne YouTube si vous avez aimé mettez un petit pouce bleu ? ) qui y parviennent. Un exercice très complexe. Mais pas que les artistes réussissant à transformer leur nuit. Et construire sur le chaos.

         Comme cette œuvre monumentale. De quand date-t-elle ? Depuis sans doute la naissance de notre espèce. Une œuvre collective. Création jour et nuit, même le dimanche et les jours fériés. Elle est composée par toutes les petites et grandes mains qui œuvrent au quotidien. Et dans toutes sortes de domaines. Leur œuvre consistant à tenter de faire reculer la nuit. Même en ayant une ancrée au plus profond de leur chair. Capables de mettre leur noirceur de côté pour essayer de détricoter le voile des « sales nuits contemporaines ». Ne serait-ce que pour glaner quelques miettes d’aube.

         Leur tâche a toujours été difficile. Un chantier loin d’être simple. En plus de la course pour ralentir l’érosion du temps carnivore, ces mains doivent combattre sans cesse notre humanité si imaginative pour détruire - sa destruction, et de tout ce qu’il y a autour d’elle. Sans oublier le travail de sape des mains inélégantes : les diseurs et diseuses de mauvaises aventures qui sèment leur nuit sans espoir, parfois juste pour avoir l’impression d’exister. Une semence sombre à petite ou grande échelle qui n’offrira jamais une fleur ou un fruit. Malgré toutes ces difficultés, les « mains détricoteuses » des sales nuits  continuent leur travail. Sans relâche. Entêtées à construire ou rebâtir. Merci à toutes ces mains élégantes.

         Dans quelques jours, une nouvelle année va pointer son nez. À nouveau, de la joie partagée. En tout cas, celles et ceux pouvant y accéder. Une partie de la population mondiale regardera une autre festoyer. En réalité, le même scénario se reproduit chaque année. Les mêmes essayant de survivre qui regardent les autres vivre. Une réalité de plus en plus visible depuis l’ apparition des «  boîtes à images » dans nos poches ou sac. Un gosse, les yeux aussi gros que son ventre à l’estomac vide, pourra voir ses semblables ripailler loin de sa terre craquelée et souvent soumise à la mort violente de proximité ou venue du ciel. Telle femme détruite verra la joie et la liberté de danser habiter d’autres corps. Des images d’une autre planète ? Une question que se posera peut-être le gosse au regard posé sur notre monde qui le laisse crever. Quel est son vœu pour 2025 ? Ne pas subir une année de plus ?

         En un chapitre, le passage à l’inélégance. Après l’avoir critiquée depuis le début de ce billet. Pourquoi plomber les bulles à venir ? À quoi bon ressasser ce que nous savons tous ? Les images de gosses subissant la famine et la guerre font partie de notre papier peint sur pages de livres d’histoire et désormais en boucle sur écran. Difficile d’y échapper. Donc inutile et contre productif de rajouter sa mélasse à la sauce sombre. Sans doute pas le seul dans ce cas : jamais entièrement à la fête. Avec toujours des ombres traversant son petit ou grand bonheur d’être en compagnie aimée et aimante. Comme quand en voyage, on peut se dire que si on est touriste, c’est parce que d’autres - les autochtones visités et happés par notre voyeurisme numérique - ne peuvent l’être. Le malheur d’une partie de la planète, contribue-t-il au bonheur de l’autre ? Certes pas une interrogation nouvelle. Mais elle est toujours d'actualité. Avec peut-être plus d'urgence. Comme en témoigne des mers et océans devenus des linceul géant.

          Ces interrogations finiront par fondre dans nos assiettes et verres du 31 décembre. Même les plus empathiques de la «  douleur du monde » se débarrasseront de leur culpabilité au cours de la soirée. À coup de piqûres anesthésiantes en forme de flûtes. La belle magie de l’ivresse. Celle chère à Baudelaire qui voulait se débarrasser du «  fardeau du temps sur ses épaules ». À minuit, plus aucun convive – même le plus rabat-joie se souciera de l’empreinte carbone de ses textos en boucle. Ni du gosse qui débutera 2025, les mains dans la terre d’une mine, pour extraire le Cobalt nous permettant d’envoyer ce «  Bon année, plein de bonnes choses, etc. » Ni moi, ni personne d’autre à table, n’aura ce genre de pensée. Et tant mieux. Car elles ne changeront rien. Si ce n’est à pourrir la joie des autres Et de la sienne. Autant remplir son verre. Et profiter de l’instant. Sans chercher à le polluer.

         Comme ce billet polluant la période de festivités. C’est plus fort que moi. Sûrement pas le seul à avoir ce pincement au cœur en croisant des regards à terre. Cette part de planète ayant chuté. Au coin de sa rue ou à l’autre bout du globe. Pas que des chutes ayant entraîné une position horizontale sur un trottoir de ville ou ailleurs. Certaines plus visibles que d’autres. À travers directement nos yeux, ou filtré par un écran. On presse le pas. Trois bourriches d’huîtres ce sera assez ? Les boutanches sont-elles bien au frais ? Le rabat-joie va-t-il encore nous faire un cours de géopolitique du chaos mondialisé à 23h57 ? La jamais contente de son sort va-t-elle encore allumer son mec (pas assez ceci ou cela) en public ? Lui fusillera-t-il sa compagne ou son compagnon ayant lâché toutes les brides des conventions ? Le bon nombre de chaises pour tous les invités ? Des questions tandis qu’on presse le pas sur le bitume glacé. Vers sa part de planète.

          Au chaud un verre à la main, le petit pincement au cœur s’efface rapidement. Remplacé par le plaisir d’être vivant avec des êtres chers. Même si, parmi eux, certains nous agacent. Avec l’envie de leur rentrer dedans à la moindre parole qui nous déplaît. Laisse tomber. Ce serait stupide de gâcher la soirée pour des conneries. On se retiendra ou non. Si, malgré ses précautions, la « mécanique à détestation de proximité » s’enclenche, nous aurons alors droit à l’esclandre récurrent d’une année l’autre. Avec toujours les voix aiguilleuses de table essayant de détourner la conversation vers une autre destination que le « tu as toujours été con, conne, etc. ». Rien que du banal de proximité. Les proches que nous agaçons se retiendront-ils ou non en cette fin d’année ? La réponse dans quelques jours.

          Ce billet est un des derniers de 2024. Impossible de ne pas avoir une pensée pour la « Bande des Charlie ». Sans leur assassinat, ce blog n’aurait pas vu le jour. Des mots de plus sur l’épitaphe de notre siècle à peine adolescent quand ils furent abattus ? Un blog comme un linceul numérique sur une époque obscure ? Sûr que j’aurais préféré ne pas ouvrir ce blog. Et que les Charlie soient encore là à faire rire noir, jaune, et de toutes les couleurs. Continuant de nous agacer de leurs coups de crayon et mitraillages de phrases provocatrices. En plus de leur massacre, la même année à nouveau du sang versé au Bataclan et dans les rues de Paris. Une minorité de tueurs pour une majorité de croyants. Avec tous mes respects d’athée devenu respectueux de tous les cultes, j’ai quand même une question au ciel. Pas aux étoiles qui n’ont pas de sang sur les mains. Mais une question à celui censé être omnipotent et tout voir. Plusieurs millénaires qu’il a piscine quand ses créatures font couler le sang de leurs semblables ?

        Avant le passage à 2016, une nouvelle douleur et émotion nationale. Et comme toujours, les rapaces habituels se nourrissant de cadavres pour inoculer un virus de haine et de division. Profitant de l’aubaine pour détourner de belles valeurs universelles en les pervertissant. Indéniable que leur pollution des esprits a bien fonctionné puisqu’elle continue de diviser ce pays. Beaucoup ont basculé dans « les ennemis de mes ennemis sont mes amis. ». Rien de plus classique en période de grande souffrance et confusion généralisée. Le 21e siècle sera-t-il impasse et raccourci ou ne se sera pas ? Affaire à suivre. Dans tous les cas, l’année 2015 a marqué le pays.

        Indéniable qu’il y a un avant et après Charlie. Mais aussi le Covid. Deux virus contemporains. L’un attaquant le cerveau et le cœur. Pour nous empêcher de penser et de rester ouvert à l’autre et au monde. Tandis que le deuxième ( sans doute pas le second et dernier) nous empêchait de respirer. Deux virus plombant notre jeune siècle. Mais tout n’est pas foutu. 75 ans encore pour trouver de nouveaux vaccins. Même si un virus est tenace. Pourtant, depuis le temps qu’il sévit, notre humanité devrait être immunisé. À quand un vaccin efficace contre la connerie humaine ?

        Notre espèce en a en stock. Un vaccin avec deux éléments importants dans sa composition. Lesquels ? La culture et l’éducation. Après bien sûr un ventre plein, un toit sur la tête, un revenu pour au moins vivre décemment, etc. Mais ça ne suffit pas. C’est là où l’éducation et la culture ont leur importance dans la composition de ce vaccin. Incontournables. Pourtant, ici ou là, des fossoyeurs de la culture et de l’éducation ont le vent en poupe en ce moment. Certains jeunes, d’autres plus âgés. Mais tous et toutes du même temps. Avec une vision identique. Et des regards mortifères.

        Avec les yeux du vieux monde revisité. Des grands commerciaux d’un obscurantisme sans frontières qui n’est pas relié - directement - à une croyance religieuse. Si ce n’est celle des dividendes et du toujours plus. Toutefois, le commerce reste un beau terme dans son étymologie. Et certains commerciaux ne sont pas cyniques. Comment les reconnaître ? Conjuguant d’abord le verbe être avant l’avoir. Contrairement aux commerciaux avec connerie humaine en bandoulière. Certes pas les seuls à se trimballer avec elle. Chacun et chacune d’entre nous a sa part. Avec toutefois une différence. Leur connerie humaine possède une énorme force de frappe. Certains détiennent le bouton nucléaire. Tandis que d’autres ont la main sur le bouton numérique. Avec un point en commun : le profit à tout prix. Prêt à tout pour engranger. Même sacrifier la planète qui les héberge.

        Quel changement en une décennie ? Pas-grand-chose. De nouvelles et anciennes momies continuent de faire vivre leur vieux monde. S’accrochant à leurs branches en sciant le tronc de l’arbre de l’humanité. Continuité du service de destruction de leurs contemporains et de la planète. Autrement dit contribuant à leur propre destruction. Finalement rien de nouveau. Sans doute que la bande de Charb aurait eu beaucoup de matière pour leurs crayons. D’autres ont pris le relais pour rire de nous, d’eux, du monde… Avec toujours comme objectif de ne jamais cesser de douter et de rêver. Sans oublier de penser plus loin que son petit soi. Profiter des beautés du monde.

        Vivre le meilleur de notre ici.  Tout ce qui prouve  que ça valait le coup que notre espèce ait pu voir le jour. Avec ses zones d’ombre et de lumière. Comment contribuer à aider notre espèce à continuer son chemin – jusqu’à sa disparition comme tout ce qui est vivant ? Nulle injonction ou obligation de vouloir lui apporter son aide. Les petites mains sont sur le chantier le font parce qu’elles le veulent bien. Et qu’elles pensent que notre espèce a de la valeur. Avec une devise gravée dans leur gestuelle quotidienne. Des mains qui essayent d'être à la hauteur de leur tâche. Au moins tout faire pour y parvenir. Quelle que soit leur position passagère sous les étoiles. Avec un objectif qui honore tout être avec un passeport d’humain.

          Rendre le monde moins pire.

@miroirmobile ( adresse provisoire avant de quitter x  )

NB : Bon passage de relais du 31 décembre à tous les internautes passant par ce blog. Et surtout pas d’excès de modération.Profiter de ce passage du temps pour - si bien sûr  le désir vous en dit- d'échapper aux nombreuses  injonctions à penser et rêver droit. Comme le préconise cette belle invitation à l’ivresse.

Enivrez-vous © Borbo Leta

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