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Mouloud Akkouche

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Billet de blog 28 janvier 2015

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JE SUIS CHARLIE EN 2025.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

           Pourquoi m’avoir choisi pour ce reportage ? Le directeur adjoint de l'antenne sait bien que je débute.  En plus, je n’avais même pas dix ans au moment du drame.  Il aurait pu prendre quelqu’un du service politique. Les volontaires ne manquaient pas. Sûr qu'il veut me tester, savoir si le pistonné tiendra la route. A moi de lui montrer ce que je vaux.

            Un couple, très sympathique, a accepté que je m’installe avec un cameraman  sur leur balcon. Juste en face de la rue où se déroula la tuerie de Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015. Un lieu parfaitement bien orienté  pour pouvoir filmer la commémoration du dixième anniversaire de l’attentat. Nous devons envoyer les images à la chaîne et commenter en direct. C’est ma première mission importante en tant que journaliste.

            Peu à peu, des badauds commencent à se planter derrière les barrières de sécurité disposées sur chaque trottoir. Pas le moindre véhicule dans les rues, à part une demi douzaine de cars de CRS.  De petits groupes  de flics disséminés dans les rues. Tous les abords sont sécurisés masi sans une grande présence visible des forces de l'ordre. Dispositif très mince comparativement à ceux en vigueur pour ce genre de cérémonies une dizaine d'années auparavant.

            En une décennie, beaucoup de choses ont évolué positivement. Les banlieues moins reléguées aux frontières de la République, perte du son pouvoir d'attraction de  l’islam intégriste.  Les rêves de djihad disparus comme s’ils n’avaient été qu’une mode-sanglante- remplacée par une autre. L’éducation et la culture, redevenues une des priorités après la folie meurtrière de janvier 2015,  réinvestirent les cours de récrés et grands ensembles; elles  avaient repris les  positions abandonnées aux islamistes radicaux et au FN.  Seules quelques dernières poches obscurantistes résistaient.

          Aujourd'hui, les riches sont toujours aussi riches, les pauvres restés au même niveau. Loin d’un changement radical de société. Juste un retour à une situation moins explosive. Mêmes murs inivisibles.

             Un avant et un après 7 janvier  2015 ?

             Je me souviens de ce jour là. Nous étions confinés dans notre école près de la Porte de Vincennes. Des fenêtres du préau, nous pouvions voir  les camions de pompiers et cars de police. Dans le ciel, des hélicoptères tournaient. Quand la directrice a  ouvert la petite grille, les parents se battaient presque pour entrer en premier. Le lendemain, le maître nous a expliqués ce qui s’était passé.

           Mes parents aussi ne cessaient de m’en parler. Contre la télé, ils passèrent leurs temps à suivre les événements heure par heure sur Internet, scotchés à leur comme ceux qu'ils qualifiaient d'esclaves de la société du spectacle. A vrai dire, je n’étais pas très inquiet et continuais  de jouer aux jeux de mon âge.  Mon manque d’inquiétude angoissa mes parents qui m’emmenèrent chez  un psy. Ils avait peur que mon attitude ne soit le reflet d’un traumatisme que j’aurais soi- disant chercher à occulter.  Assise derrière son bureau, la psy les  écouta attentivement.  Puis, après m’avoir adressé un sourire, elle les rassura : eux.

        Dans les rues froides de ce début janvier, des sapins attendaient le passage des éboueurs. Les décors encore peints sur la vitrine de la boulangerie. Mais Charlie avait remplacé le Père Noël.

         Des semaines que je potasse le contexte historique hexagonal dans lequel se déroula cette tragédie. Un drame qui a mis des millions de gens dans la rue. D’abord spontanées, puis encadrées, des  manifestions d’une ampleur inégalée jusqu’à aujourd’hui occupèrent les pavées  de centaines de villes. Une marée humaine sur tout le territoire. Tétanisation, révolte, peur... Et une question dans tous les esprits: comment était née cette barbarie? Chacun y allant de ses explications.

            A cette époque, un essayiste très en vue proposait de déporter des millions de musulmans. Un parti politique, de plus en plus implanté, abondait aussi dans ce sens en accusant l’immigration de tous les maux de la société. Le moindre fait divers perpétré par un maghrébin ou un noir listé par les sites dits de la fachosphère très présente dans ces années là. Une période où la haine anonymo-numérique coulait à flots sur la toile. Pendant ce temps, des musulmans radicaux cherchaient à imposer un islam dur et faire imploser la laïcité en commençant par les banlieues les plus paupérisées.  Face à eux,  des défenseurs de la laïcité, certains se servant de cette cause que comme camouflage de leur xénophobie.

             Un avocat people, fils d’un couple de déportés, trouvaient que les immigrés avaient plus de chance que dans les années trente et devaient la fermer. Lui, l’essayiste cité plus haut, et quelques intellectuels cultivaient une haine irrationnelle contre les immigrés et l’islam. Plus rien ne semblait occuper leur esprit. Comme si les mots musulmans, immigrés, avaient peu à peu contaminé toutes leurs pensées. Se levant et se couchant avec eux.Obsédés.

             Aussi monomaniaque qu'eux, un humoriste, armé d’une quenelle, déversait sa haine sur les juifs. Secondé notamment par un penseur extrêmement  adroit, il remplissait d’antisémitisme, homophobie, sexisme, etc, les cerveaux- déjà vidés en grande partie par la téléréalité – malléables des jeunes des quartiers populaires.  A leurs yeux, ils apparaissaient comme une espèce de Robin des bois. Justicier à la quenelle adoré de nombreux gosses de cités.

            Les principaux adeptes de ce chevalier de la quenelle vivaient dans des forêts d'immeubles à perte de vue. Ces zones périphériques  d’où  étaient issues les tueurs qui, trois jours durant,  ensanglantèrent  la France. Mortelle cavale de trois barbares nourris de PlayStation et Coran périmé. En direct  sur les télés et à la radio. Les périphéries de nos villes devenues tout à coup le centre de tout le pays. Et même au-delà des frontières. Trois assassins, soudain  aussi connus que Zidane, firent sortir des millions d’êtres dans les rues. Encore plus que ce fameux jour de juillet 1998. Loin, très loin, cette liesse Black Blanc Beur. A se demander si elle avait réellement existé? La liesse mue en  marche contre l’immonde.

       Dans ces années là,  les haines, alimentées par les médias en quête de buzz, prospéraient dans les villes et campagnes. L’inconscient collectif, truffé de barbelés et miradors visibles et invisibles, pourrissait de plus en plus. Une véritable confusion régnait dans le pays. Sans oublier la situation au Proche Orient qui rajoutait de l’huile sur le feu.  Plus toutes les tensions, du fait divers aux  frottements géopolitiques, relayées par les milliers oreilles collées aux façades des immeubles.  Les religions, profitant de brèche, avait repris du poil de la bête. Elles  avaient remplacé les luttes des classes.

       Même les catholiques, en perte de vitesse, s’étaient ressoudés contre le mariage pour tous. Les extrémistes des trois religions monothéistes voulaient occuper le territoire. Chacun cherchant à tirer la couverture de l’obscurantisme à soi. Les fanatiques musulmans plus efficaces. Malgré leurs haines affichées, ces  ennemis issus du Livre avaient quelques points en commun. Surtout la soumission des femmes et l’éradication des homosexuels.  

       Quand j’étais gosse, mes parents, très occupés, me confiaient très souvent à mon grand-père. Très anti-télé, ma mère  lui demandait de ne pas la regarder en ma présence.  Et assis sur le canapé, nous passions des heures devant le petit écran de son appartement embouteillé de  livres. Si ma mère l’avait su, je me serai retrouvé avec une baby-sitter à domicile.  Pépé ne cessait de pester contre la « connerie humaine ».

       Chaque jour, il commentait et détricotait les propos des journalistes -surtout des journaux télévisés. Rares ceux qui avaient grâce à ses yeux d’irréductible pessimiste. Paradoxalement c'est sans doute avec Pépé que m’est venu le désir de devenir journaliste.

         Un soir après un reportage sur le conflit israélopalestien, il me raconta une blague.

           L’histoire d’un imam et un rabbin assis côte à cote dans un avion, pour une très longue traversée. Le rabbin ôte ses chaussures pour être plus à l’aise.  A un moment, l’imam lui demande de se lever pour qu’il puisse passer et aller chercher un coca. Le rabbin, au bord de l’allée centrale, propose de lui rapporter sa consommation.  Pieds nus, il se dirige vers le bar. L’imam en profite pour cracher dans les chaussures. Le rabbin revient et lui tend le coca.  A plusieurs reprises, il va chercher une cannette pour son voisin. Et chaque fois, l’imam crache dans les chaussures.

          Avant l’atterrissage, le rabbin se chausse. Furieux, il se tourne alors vers l’imam et lâche froidement : Je me demande quand tout ça s’arrêtera ? Les crachats dans les chaussures, la pisse dans le coca.

       J’avais éclaté de rire. Le rire d’un gosse. Bien plus tard que j’ai compris le fond de cette histoire.  Et son regard  tellement  désabusé sur le monde. Ne priez pas pas pour moi ! Riez pour moi. Aujourd’hui, deux ans après sa mort, je sais que Pépé n’était pas qu’un misanthrope. Ni simplement un vieillard aigri et râleur. Bien sûr, il avait indéniablement  un côté vieux con adepte du « c’était mieux avant. » qui m’agaçait. Avec lui rien n’allait. L’espoir c’est la religion des imbéciles, me répétait-il. Toujours une colère sur le feu. Mais au fond,  ce vieillard maugréant devant son écran, avait mal à l’humanité. Abattu par la bêtise humaine. 

      Pas là pour replonger dans mon enfance heureuse. Faut que je me concentre sur la commémoration. Surtout que les voitures officielles commencent à arriver.  Je fais un signe au cameraman qui fume une cigarette. Il écrase aussitôt son mégot sous sa semelle.

     Front plissé, il enfourne ses écouteurs dans les oreilles  et fixe l’écran de son PC relié à la caméra. Plusieurs minutes passent. Seuls des ronronnements de moteurs interrompent le silence. Des tireurs d’élite se positionnent sur plusieurs toits. Une sirène retentit. J’ouvre mon micro et ne bouge plus.

      Le cameraman lève son pouce.

         Vous êtes bien sur FMB. Nous sommes en direct de la commémoration du 10 ème anniversaire de la tuerie de Charlie Hebdo. Les familles des victimes et la rédaction de l’hebdomadaire satirique sont arrivés parmi les premiers  aux abords de la rue Nicolas Appert. La rue où se déroula le massacre  du 7 janvier 2015. 

            La présidente de la République salue d’un geste les quelques centaines d'anonymes venus honorer la mémoire des victimes. Elle rajuste son col et avance à pas lents. Quatre membres de sa sécurité rapprochée l'encadre. Les invités et la foule des immobiles sont immobiles. Tous silencieux.

         Près du porche du numéro 10 de la rue Nicolas Appert, un homme en uniforme  les attend, une gerbe de fleurs dans les mains.  La présidente s’arrête. Elle fixe un instant la porte vitrée. Quelques secondes immobile avant de se tourne vers l’homme en uniforme. Il lui tend la gerbe et se met au garde à vous. Des musiciens que je ne peux voir du balcon où je me trouve entament la Marseillaise. Elle  dépose la gerbe devant l’entrée de l’immeuble.

            Incroyable ! Ce qui vient de se passer à l’instant est  vraiment incroyable ! Jamais personne n’aurait pu imaginer un tel scénario aujourd’hui ! Dix après cette abominable tuerie.

            La présidente de la République a reçu une fiente de pigeon.

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