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Billet de blog 28 février 2015

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L'Enfoirée au restau

A la mémoire de Jo, «gentlemen-serveur »A cette époque là, je tenais un restaurant  dans une ville moyenne de province. L'établissement gastronomique le plus réputé de la région. Ma clientèle d'habitués était surtout composée de notables. Ainsi que les comédiens et chanteurs en tournée se produisant au  Centre Dramatique National ou au Zénith. Un lieu incontournable pour les amateurs de cuisine de qualité. Sans oublier la quantité ;

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A la mémoire de Jo, «gentlemen-serveur »

A cette époque là, je tenais un restaurant  dans une ville moyenne de province. L'établissement gastronomique le plus réputé de la région. Ma clientèle d'habitués était surtout composée de notables. Ainsi que les comédiens et chanteurs en tournée se produisant au  Centre Dramatique National ou au Zénith. Un lieu incontournable pour les amateurs de cuisine de qualité. Sans oublier la quantité ; pas  besoin d'une loupe pour traquer ses aliments. Certains clients, pas intéressés par la gastronomie, venaient se "faire voir " avec le haut du panier. Ce soir de février, nous avions les  "Enfoirés" à table. 17 couverts people.

          Le maître d'hôtel les avait  installés, pour qu’ils soient au calme  après leur concert, dans la salle donnant sur un parc. Jamais "Table d'aujourd'hui" n’avait accueilli une telle brochette de stars de la chanson, télé,et cinéma. Branle-bas de combat dans les cuisines et en salle. Bien sûr, les autres clients, présents en même temps que les "Enfoirés", seraient traités de la même manière. Pas de  passe-droits chez moi, que des passe-plats. Malgré mes principes, cette tablée de vedettes m'avait quelque peu destabilisé. Mon équipe aussi.Tous comme des gosses, devant leurs idoles. 

        Dans la ville, nombre d’associations caritatives organisaient des collectes auxquelles je participais le plus possible. Issu d’un milieu très modeste, je savais ce que voulait dire " être dans la merde". Pas né avec une cuiller en argent dans la bouche. Tant d’années à manger de la vache enragée avant d'ouvrir ma première affaire. Jusqu’au jour où un journaliste du Gault et Millau,venu manger incognito, titra "  De la mine aux fourneaux". Le titre racoleur faisant référence à mes origines de fils de mineur m'avait agacé. Je l'aurais étranglé. Mais,sans ce papier, jamais je n'aurais basculé de l’autre côté.

         Au pays des étoilés.

         Dans mon coron, qui aurait pu penser que je deviendrais un restaurateur reconnu ? Une pointure dans la profession. Ma vocation, motivée en grande partie par une humiliation mue en  révolte, est née un samedi, dans un supermarché. Ce jour précis, ma mère  faisant la queue devant l'étal du boucher, me demanda d'aller acheter trois grappes de raisins au rayon fruits et légume. Première fois qu'elle me demandait ce genre de service. Je les choisis consciensement et  revins lui donner. Elle grimaça un sourire. Sa viande à peine payée, elle me saisit la main. D'un geste discret, elle les extirpa  les grappes du sachet et, après avoir vérifié que personne ne l'observait, les reposa  rapidement. Je restais bouché bée. Elle choisit une autre variété de raisins, les moins chères. Je retins mes larmes. 

     Des années après cet épisode, j'attaquais mes premiers boulots dans des bars. Très professionnel, je n'avais aucun mal pour trouver des places. D’abord serveur, chef de rang pour les annonces mais loufiat dans notre bouche, puis passais en  cuisine.  Micheline, la  patronne d’un resto routier au bord d'une nationale, se prit d’affection pour moi. Beau gosse, je pensais que, comme d'autres femmes, elle avait envie de se taper le petit jeune loufiat. Pas du tout. Bourrue et pète sec, elle était la première et la dernière présente dans le restaurant. Installée derrière sa caisse, elle surveillait le boulot de son fils et sa belle-fille. Une femme très autoritaire.  Jamais un compliment dans sa bouche. 

       Micheline vint aussi me surveiller en cuisine. Au début, sa présence me terrorisait. Assise dans son fauteuil roulant, elle resta trois jours à m'observer, sans un mot. Sentant le poids de son regard suspicieux, je perdais confiance et foirais même la moindre omelette. Je craquais, prêt à rendre mon tablier. Elle sortit de son mutisme et commença à me prodiguer des conseils. Sans doute voulait-elle me léguer un héritage de gestes, un savoir faire culinaire auquel ses enfants étaient imperméables. Pas des cours très agréables. Chaque fois, je sortais des fourneaux, en colère contre elle. Combien de fois j'ai failli tout plaquer ? Ce prof en accéléré  me fit rattraper des années d'école hôteliere. Tout appris avec cette emmerdeuse. La première étoile croisée sur ma route.

      Nous avons passé trois ans ensemble dans cette cuisine au matériel préhistorique. A sa mort, son fils ne tarda pas à  vendre, visiblement pressé de se consacrer à autre chose. Le restaurant fut transformé en supérette. Aujourd’hui encore,un fantôme me guide quand je suis aux fourneaux. Sa voix de grosse fumeuse gueulant: " T'attends que tes oeufs pondent ou quoi ? ". Aujourd'hui, avec l'âge et l'expérience,  je pense être à la hauteur de son héritage. "Rien n'est jamais acquis, jeune homme." m'aurait-elle répliqué. Ses cours continuent.

      De ma mère et Micheline, j’ai appris une chose importante : jamais de gâchis. Le maître mot de tous mes établissements. On jettte le moins possible. Essayer de recycler les restes dans un nouveau plat. Mes serveurs et les commis de cuisine emportaient ce qui ne pouvait être conservé. Les desserts maison pas conservables, laissés intacts par les clients, étaient donnés aux employés parents de jeunes gosses. Pas tous les jours, une pâtisserie de luxe pour le goûter. Rien de perdu.

         Pendant que les Enfoirés mangeaient, j’ai repensé à ces deux femmes. Surtout à ma mère et ces grappes de raisins.  J’ai décidé de reverser ma recette de ce soir  là  à l'un des  Restos  du cœur de la ville. Ma participation concrète à cette action. Et en mémoire de  l’histoire de ce mec qui me fait tordre de rire. Mon comique préféré avec Desproges.

          Vers minuit, après avoir chanté et s’être bien marré, les vedettes se levèrent comme un seul homme. Le manageur avait eu du mal à les faire sortir de table, l'un des seuls conscient que la tournée continuait. Le lendemain, un nouveau public et un autre papier peint de chambre d'hôtel.Très sympas, ils signèrent des autographes aux serveurs et au maître d’hôtel. Certains bien éméchés. Ils sortirent et gagnèrent un autocar. Une très belle soirée.

          A ma grande surprise, tous n'étaient pas partis. Elle était restée assise. C'était une chanteuse et actrice qui commençait à être très connue. J'aimais beaucoup cette comédienne.  Pourquoi n'était-elle pas partie avec le reste du groupe ? Je lui proposais aussitôt  de la ramener à l'hôtel. Ne voulant pas me déranger, elle préféra prendre un taxi.

Avant de rejoindre son hôtel, elle voulut boire un café-cognac.D’un geste, elle repoussa la tarte au chocolat maison. Pas très portée sur les desserts. Peut-être la dictature d'un quelconque régime ? Peu importait; le fils du nouveau serveur allait se régaler. Elle bâilla et farfouilla dans son sac à mains.

         Son cognac fini, elle gagna le comptoir et demanda un taxi. Malgré la fatigue, elle accepta sans rechigner de signer des d’autographes.  En plus, elle laissa un billet dans la boîte à pourboire collectif. Je l’accompagnais jusqu’au taxi. Une grande dame, très généreuse. Comme toutes les autres vedettes bénévoles des Enfoirés. Coluche pouvait être fiers d'eux.

         Une super soirée, me dis-je en rentrant.  L’équipe  quelque  peu dans le jus, je les aidais à desservir.  Ma joie retomba d’un seul coup.  Les colères conjuguées de ma mère et de Micheline emplirent ma poitrine. Pas elle ! Je chialais comme un gosse. Ce gosse de sept ans devant un étal de fruits.

          Elle avait écrasé son mégot dans la tarte.

       Cette histoire, certes très «fictionnée», est tirée d’un fait réel qui se déroula dans un restaurant de Normandie. Le gâteau-cendrier a fini dans la poubelle. 

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