Qui allait s’y coller ? Un petit pari personnel: quel journal titrerait en une avec un mot en trois syllabes très utilisé ? Encore plus en période électorale. Son utilisation n'étant pas du tout anodine à un jour des élections départementales. Personne ne l'a prononcé ce matin sur France Inter pour cause de grève. Écouter et pester contre le 7/9 me manque. Qui donc a mis ce mot à l'honneur ? L'un de mes quotidiens préférés n'a pu résister à la tentation. Mu-sul-man en une de Libé.
Bien sûr, il y a "droite anti" devant musulman. L’intention, sans aucun doute louable, me semble complètement contre-productive. Et même quelque peu dangereuse en ces temps de trouble. La rédaction manque-elle parfois d’empathie ? Se mettre dans la peau du citoyen qui va voter FN. Et peut-être encore plus difficile à faire, tenter de se glisser sous l’épiderme, vivre de l’intérieur les frustrations et les galères, de celui qui hésite à donner sa voix à la Sirène de Saint Cloud. Au bord mais qui résiste à faire le grand plongeon. Marine Le Pen doit se frotter les mains à cette belle une. Combien d'électeurs gagne-t-elle à chaque fois que ce terme est en une ( pas que Libé) de la presse écrite ou au JT ? Difficile à comptabiliser. Beaucoup plus qu'elle n'en perd?
En titrant, la rédaction a-t-elle pensé à l’électeur de confusion musulmane ? Lecteur ou pas du quotidien. Celui qui, comme tous ceux qui, cathos, juifs, bouddhistes, athées, agnostiques, vont accomplir demain leur devoir électoral. Sûrement que cet électeur n'a guère envie d’être encore désigné d’un index d’encre à tout un pays au bord des urnes. Et de l’implosion annoncée à grand renfort de " La patrie est en danger". Très inquiétante cette montée du FN. La faute à qui ? Abstentionnistes, Hollande et sa fausse gauche, Sarkozy, la crise...Chacun se renvoie la balle. Pendant les polémiques, le FN marque des points.
Bien sûr, les journalistes ont raison d’expliciter les attaques anti-musulmanes de Nicolas Sarkozy. Cogner sur ceux qui prient vers la Mecque rapporte à tous les coups. Un bon cheval pour gagner la course électorale. À une autre époque, Mitterrand le Florentin n’hésitait pas lui non plus à investir sur le canasson Le Pen pour gagner des élections. Avec beaucoup moins de succès, nombre de dirigeants socialistes continuent eux aussi de miser sur le même nom par électoralisme. Apparemment, cette «fille de »comme disent les turfistes est meilleure que son père. Elle arrivera placée dans la Départemental et peut-être gagnante dans la Présidentielle. Elle bénéficie d'une très bonne cote. Et la démocratie perdante de la course ?
Là où nous, lecteurs classiques de Libé, lisons « musulman », d’autres interprètent par « y en a que pour les musulmans ! ». On ne parle que d’eux. Ras le bol ! Tout le monde les défend. Comment va réagir le fameux « français de souche du bruit et l’odeur » qui se sent exclu des unes ? Certains, même fragilisés, ne basculeront pas FN ou Sarkozy. Mais d’autres, avec moins de recul, dégaineront un billet « et moi et moi ? ».
Evidemment, la presse ne peut être la seule responsable de la montée de l'extrême-droite en France. Tous co-responsables à notre niveau. Mais sans occulter les problèmes, Libé ne pourrait-il pas tenir compte de son non lecteur ? Pareil pour les rédactions de Monde, Médiapart et d'autres journaux. Sortir de notre entre nous lecteurs de bonne compagnie. Ce non lecteur - lepenisé ou en cours- n’est pas moins intéressant que le lecteur de ces quotidiens ou auditeurs de France Culture. A part certains irréductibles fachos, la majorité de cet électorat très paumé est hypersensible aux messages des médias. A fleur de peau. Pourquoi lui rajouter du trouble ?
Les détracteurs de Libé tireront à boulets très rouges sur le quotidien en l’accusant de sacrifier au buzz, sans se soucier du reste. Vendu aux annonceurs. Plus du tout de liberté éditoriale. Juste la vitrine pour attirer les acheteurs de montres et mobiles. Aucune morale.
Ses défenseurs qu’il faut absolument parler de tout et ne pas se voiler la face. Ne pas hésiter à évoquer es abjections de l’écurie de droite et de son extrême, notamment contre les citoyens de confession musulmane. Soulever le voile de cette haine qui, toutes proportions gardées, nous replonge dans les heures sombres de notre histoire. Une boue mêlé notamment d'identitaires et d'intégristes musulmans qui s'étale de plus en plus. Nécessaire de nous en informer. Personne ne pourra dire qu'il ne savait pas.
Comme par exemple sur la déportation des immigrés, noms à consonance suicidaire, menu sans porc (laïque ou identitaire), les immigrés mieux traités dans les années 3O, des manifestants gueulant " «Juif ! Juif ! Juif ! La France n’est pas à toi !» ....La liste est longue des attaques contre une partie de la population vivant en France et, au fil des élections, s’allonge en accéléré. Des unes haineuses contre Najat Vallaud Belkacem à celle ignoble contre Christiane Taubira et aujourd’hui toutes les affiches de candidats lambda sans « nom de souche » barrées du slogan sauvage « Pas de bougnoule ! ». Douce rance ?
Malgré mes nombreux agacements contre Libé, je reste un de ses fidèles lecteurs. Un peu mon « France Inter » de la presse écrite. Chacun ses madeleines. Mais quand la madeleine a un goût trop buzzée, on a pas envie de la tremper dans sa tasse de café. Surtout s’agissant de millions d’individus. Pas sûr que tous ces musulmans si souvent en une aient envie de se voir placardés en permanence partout en vitrine avec des « wanted haineux » ou au contraire dégoulinant de sollicitude ». Peut-être en ont-ils marre d’être systématiquement « isolés des autres électeurs »avant l’isoloir. Rester anonyme dans la chaleur de la foule. Avec ses doutes, ses erreurs, et ses espoirs comme n’importe quel François.
Peut-être que, moi qui fait la leçon à Libé, je devrais foutre la paix à cette population que ce billet d’humeur "pro domo" charge encore un plus d'un petit poids. Aussi contreproductif que le quotidien que je critique ce jour. Qui suis-je pour parler en leur nom ? Surtout que je suis athée convaincu et souvent pas modéré et, cerise sur l’urne, devenu abstentionniste ( agnostique des urnes ?). Demain, espérons pour la démocratie qu'il n'y ait pas de musulmans, cathos, juifs, ou d'autres confessions, dans les isoloirs; uniquement des citoyennes et des citoyens. Seul face à leur choix.