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Mouloud Akkouche

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Billet de blog 28 septembre 2015

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France Inter : fin de ma fiction ?

Plus du tout de fictions sur ma radio préférée. Dire ça ce serait quand même mentir. Car il reste une fiction historique.

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Plus du tout de fictions sur ma radio préférée. Dire ça ce serait quand même mentir. Car il reste une fiction historique. D’ailleurs, très bien faite cette émission. Et j’aime bien l’écouter.  Ca me rappelle un peu  les histoires extraordinaires de Pierre Bellemare qu’écoutaient mes copains de classe. Dans mon quartier populaire, Europe 1 et RTL étaient les radios les plus écoutées. Mais mes parents, je sais pas pourquoi, préféraient France Inter.  Peut-être que ma comparaison avec les fictions de Pierre Bellemarre est très mauvaise. En tout cas, ce n’est pas du tout comme les fictions qui ressemblent, comment dire…  Des pièces radio comme des romans ou des nouvelles. Des choses de la vie d’aujourd’hui, pas d’hier. Même si c’est bien l’histoire avec un grand H et avec des personnages célèbres. Moi, je préfère des pièces radio (j’aime pas dire « dramatiques ») qui parlent de la réalité de 2015.  De la vie des gens de tous les jours. Des histoires avec un  petit H. Je sais pas si j’arrive à bien expliquer la différence. Première fois qu’y a plus de pièces comme j’aime sur France Inter.

Quand j’étais gosse, on se retrouvait tous en famille autour du poste de radio. Dès que le générique des Tréteaux de la nuit commençait, plus un bruit dans le salon. J’adorais ces moments où on se retrouvait tous ensemble. Mon père et ma mère assis sur le canapé, le cendrier entre eux deux. La fumée de leurs gauloises faisait un brouillard dans la pièce. Ma sœur, mon frère et moi, on était installés sur des chaises. Chaque bruit, chaque mot, chaque silence, nous appartenait. Chacun, de la famille, se faisait sa propre histoire.  Comme si toute la famille lisait un livre ensemble. Après, il y a eu d’autres pièces comme ça. Jusqu’à Nuits Noires.

Je sais, je sais : tout ça fait vieillot. C’est plus la radio du temps des cavernes, me vanne mon fils. Pour lui, je suis une dinosaure des ondes. Maman, t’est trop francinterocentrée ! Peut-être qu’il a pas tout à fait tort. J’écoute que cette radio, un peu FIP aussi. C’est sûr que je dois être loin de tout ce qu’on a maintenant. Tout a changé avec Internet mais j’aime bien. Moi aussi, j’ai mon Smartphone. Faut bien être de son temps. Mais, comme avant dans le salon des parents, je continue d’écouter France Inter.  Moi c’est surtout à la cuisine et la salle de bains. Comme eux, je suis restée fidèle à cette radio. Et surtout aux fictions. Plus les mêmes histoires qu’avant. Normal, le monde change. Même si j’aime pas certaines pièces, j’ai l’impression qu’on me parle de notre époque. De notre aujourd’hui. Quand elles sont bien faites, on a l’impression que c’est la vérité. En plus maintenant, cerise sur le gâteau, on peut les écouter si on les a ratées. Que demande de plus le peuple des auditeurs des pièces de France Inter ?

Sûre que ça doit vous paraître nulle ce que je raconte. Pathétique. Suffit de regarder la télé ou aller au cinéma pour avoir des fictions. C’est vrai mais pas pareil que la radio. Avec l’image, on a tout et plus rien à faire. Ca tombe tout cuit dans la tête.  Y a les livres.  Mais, comment dire… Pas simple à dire…  Je suis illettrée. Un handicap invisible car je le cache bien et mes potes de boulot sont cools avec moi. Bref, je me débrouille pour que personne soit au courant, sauf mes proches. Lire et écrire c’est râpé pour moi. Je… En fait, c’est… Disons, c’est comme… Attendez : illettré veut pas dire arriéré. Dans ce cas, on serait plus de deux millions d’arriérés dans ce pays.  Ca y est, je m’énerve pour rien. Personne m’a attaqué. Et puis pas là pour faire chialer dans les chaumières.

J’en étais ou ? Ah oui : la lecture ? Commander des bouquins audio ? Parfois, je vais en chercher à la médiathèque de la ville à côté.  Mais pas pareil que ma fiction  sur ma radio. Mon rendez-vous chaque semaine à la maison. Ma p’tite séance privée de lecture pour moi toute seule. Comme si tous ces gens là-bas à Paris  travaillaient que pour moi. Paraît qu’on dit mise en ondes. Ils font une histoire que pour mes oreilles. Chacun ses plaisirs. Moi c’est ma p’tite fiction Inter.

         Moi, à cause de mon handicap, j’ai accès à la fiction, celle la plus proche des livres, que par la radio. Mais je représente heureusement pas la majorité des auditeurs de France Inter. Même si on est un paquet d’illettrés dans ce pays. Cela dit, on est moins mal lotis que les aveugles. Eux ont que leurs oreilles pour recevoir le monde. Y a pire que soi. Mais pas une raison pour pas être en colère quand on sent qu’on nous prend quelque chose. Quand on donne, prend, quand on prend, mords… Je crois que c’est Coluche qui disait un truc dans ce genre. Moi, là, j’ai qu’une envie : mordre.

Quand j’ai appris que c’était fini, ça m’a énervé. Comme si, d’un seul coup, on trahissait mes parents. Et beaucoup d’autres gens qui écoutaient ces pièces à la maison.  J’en ai voulu d’un seul coup à ces gens qui décident de tout et pour tous. Ca me gonfle vraiment ! Désolé mais je pars au quart de tour. Dommage que je sache pas écrire parce que le grand boss de Radio France  aurait reçu un de ces courriers bien sentis comme disait mon père. Lui mon père, contrairement à moi, savait écrire. Et sans une faute. J’aurais dû l’écouter au lieu de faire… Bon, on va pas refaire le match et s’égarer dans le passé. Eux, là bas, y ont accès à tout. Le cinéma, le théâtre, et plein d’autres trucs qu’on a pas dans mon village. On va pas leur reprocher d’avoir de l’argent et de se cultiver. Ce serait même bien que tout le monde soit comme eux. Bref, je leur en veux juste de m’ôter mon théâtre à domicile. La magie de toutes ces voix sans visages.

Mon fils qui a vu que j’étais énervé m’a dit qu’il y avait une pétition qui circulait sur le Net. Au début, j’ai pas voulu mettre mon nom. Que des auteurs et des acteurs, ils ont laissé en plus des mots. Mon fils m’en a lu quelques-uns, y en a des vraiment bien. Pas mon monde ces gens là. Même colère, pas les mêmes mots.  Pourquoi tu me dictes pas ce que tu penses et je l’écris sur le site de la pétition ? Pouvait pas me faire plus plaisir le fiston. Mais je voulais pas qu’il change mes phrases par les siennes. Il m’a promis que ce serait écrit comme je parle. S’y a des erreurs et tout c’est pas de sa faute.  Voilà, ce que vous lisez, c’est moi qui le pense mais pas moi qui l’écrit. A part mon nom.

         Qui écoutent ces pièces radio  ? Plein de gens différents. Des vieux, des jeunes, des riches, des pauvres, des cons, des gens bien, des cultivés, des incultes, des gens de la ville, des gens de la campagne comme moi, des femmes, des hommes, des gosses… J’arrête parce qu’il y a aura plus de place sur le truc de la pétition. Que dire d’autre ? Au fond, je sais bien que cette bafouille ça changera pas grand chose. La fin de  mes pièces radio c’est moins important qu’une star de la radio pour laquelle une autre star des ondes découpe sa carte de presse. On joue pas dans la même catégorie. Moi je suis juste une auditrice d’un bled paumé de France. Ce que les gens comme moi pensent et aiment ça pèse pas très lourd dans la balance publique, sauf aux élections. Mais pas une raison pour pas essayer. Une pétition ça mange pas de pain. Et  laisse pas de miettes sur la table. Voilà, j’ai dit ce que j’avais à dire. Le reste me dépasse.

 NB) Cette lettre-fiction n’est pas déconnectée de mon histoire personnelle. Auteur de pièces radiophoniques, j’ai beaucoup aimé travaillé avec Patrick Liegibel. D’autres, auteurs, comédiens, auditeurs, s’expriment sur les productions de fictions dans le texte de la pétition circulant en ce moment.

Pour ma part, la fiction radio a été une grande école de concision. Je lui dois beaucoup sur le plan de l'écriture.  Et elle m’a aussi permis de vivre. Important de souligner que, déjà bien avant Nuits Noires, de nombreux auteurs et comédiens ont aussi plus ou moins vécu grâce à ces pièces.

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