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Billet de blog 28 septembre 2024

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Lettre à Racisé(e)

Racisé un jour, racisé toujours. Comme un contrat impossible à casser. Si je ne me trompe pas ; vous ne l’avez pas signé. D’autres ont décidé que vous étiez racisé. Souvent une désignation bienveillante. Mais vous ne pourrez pas revenir en arrière. Impossible de vous désengluer de cette appellation. Une sorte de traçabilité permanente. Racisé même sur sa pierre tombale ou en poussières ?

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Le Prisonnier (The Prisoner), N°6, tout sur la série. Émission PHASE S#6. © Les Series Cultes par PHASE 'S'

               Désolé pour vous. Pas de chance ce qui vous tombe sur le coin de la peau. Mais aussi sur ma face de métèque comme chantait si bien Georges Moustaki. Racisé ça ne claque pas comme une insulte. En tout cas pour l’instant. Avec le temps, ce terme deviendra peut-être insultant. Aujourd'hui, ça sonnerait plutôt comme une condamnation. Un jugement sans appel. Pour une peine à perpétuité. Le plus étrange est que la sentence est prononcée par des gens qui sont de votre côté. Même prêts à vous défendre. Des êtres indéniablement de bonne foi. La plupart humanistes. Se rendent-ils compte de ce que représente cette assignation sans fin ?

            Racisé un jour, racisé toujours. Vous ne pourrez pas revenir en arrière. Impossible de vous désengluer de cette appellation. Une sorte de traçabilité permanente. Comme un contrat impossible à casser. Si je ne me trompe pas ; vous ne l’avez pas signé. D’autres ont décidé que vous étiez racisé. Suffit juste d'opiner du bonnet et accepter votre nouvelle étiquette. Racisé, point barre. Toutefois peut-être qu’au fond ce statut vous agrée. Et que ce billet se mêle de ce qui ne le regarde pas. Dans ce cas, cette lettre ne s’adresse pas à vous. Mais aux peaux basanées (olivâtre dans certains romans du siècle dernier) refusant d’être estampillés jusqu’à la fin de leurs jours. Racisé même sur sa pierre tombale ou en poussières ?

         Quand j’étais raciste. Une phrase entendue lors d’un blabla-car. Nous étions deux à bord du véhicule. Le jeune chauffeur était gardien de la paix comme il s'est présenté. Lui et moi étions bien sûr aux antipodes d’opinions et de visions du monde. Il se rendait à un congrès syndical. Un syndicaliste d'extrême-droite ? Je ne peux l'affirmer. Contre toute attente, nous avons eu une conversation fort intéressante. Ponctuée bien entendu de nombreux désaccords. Néanmoins un dialogue avait pu être établi. Finalement, un agréable voyage dont je garde un bon souvenir. Comment avez-vous cessé d’être raciste ? Ma question avait généré un silence dans l’habitable. Je m'en suis de l'avoir posée. Il avait fini par répondre : grâce à une femme. Et il m’a raconté. Les racistes ont donc cette possibilité de changer d’avis. Et décider de progresser sur leurs à priori. Jusqu’à s’exfiltrer de leur image de raciste. Contrairement aux racisés. Leur image collée au visage.

            Toute son existence à traîner une gueule de souffrance. Quoi que l'on fasse et où qu’on aille. Même joyeux, toujours cette gueule qui apitoie certains regards. Vous venez de quel pays ? C’est écrit sur mon visage. Je viens du raciséland. Où se situe votre pays natal ? Dans mon regard. Notre drapeau se trouve entre nos paupières. C’est quoi votre langue ? La soumission. Ce n’est pas une langue. Si : la nôtre. Je ne comprends pas. Nous sommes soumis aux yeux de l’autre. Que ce soit un regard compassionnel ou de haine. Je ne comprends toujours pas. Notre histoire se décide dans les yeux qui se posent sur nous. C’est impossible. Qu’est-ce que vous voyez en moi ? Un homme ? Une femme ? Autre genre? Un gosse ? Rien de tout ça. Je suis d’abord racisé. Puis après, on dialogue. Mais mon visage a d’abord été figé. Comme une capture d’écran au faciès. Pour les racisés, pas de possibilité de transition. Condamné à  rester dans leur enveloppe de racisé. Qui est en partie responsable de cet enfermement mobile ?

                Certains médias. Dont Mediapart, Libé, le Monde, Télérama, France Inter, France Culture… Mes sources d'infos principales. Certes pas toujours en accord avec leurs propos. Mais indéniablement de vrais journalistes ( rien à voir avec des blogs d'humeur de mon genre et les commentaires sur les réseaux sociaux ) qui creusent leur sujet et vérifient leurs sources.   Ce qui ne m'empêche pas d'être  parfois très agacé par tel ou tel article ou émission de radio. Mais fidèle à mes sources d’actualités. Quoique récemment, j’ai failli me désabonner de Mediapart. Pourquoi ce mouvement d'humeur ? Le énième «  racisé » en titre d'un article  a fait déborder le vase numérique. J’ai aussi beaucoup de mal avec la  rubrique des «  questions raciales ». Mais peut-être que ça ne choque que moi. Et que cette dénomination passe bien pour la majorité des internautes. Une mauvaise interprétation de ma part ?

              Comme on dit, qui aime bien châtie bien. Chère rédaction de Mediapart, vous avez sans aucun doute  plusieurs dictionnaires à proximité. Pour ma part, je voyage souvent au  pays de papier du Robert en trois volumes. Trêve de digressions et retour au sujet de ce billet.  À la lettre D, il y a entre autres discrimination.  Et l'une  des définitions :  (Droit, Sociologie) Traiter défavorablement certains groupes humains via la réduction arbitraire de leurs droits est contraire au principe de l'égalité en droit. Et si vous ouvrez un dictionnaire des synonymes, vous trouverez aussi : ségrégation, exclusion. Et d’autres termes sur le sujet traité. Pourquoi alors convoquer systématiquement le terme race à toutes les sauces ?  D'autant plus, comme écrivait Jean Jaurès : C'est qu'au fond, il n'y a qu'une seule race : l'humanité.  Dont nous sommes huit milliards de représentants.  Des passagers éphémères de la planète. Comme toutes les autres espèces.

           Un jour, on peut dire: j'ai été discriminé ou j'ai été exclu. Et pousser un ouf de soulagement. Alors qu'on ne peut pas dire j'ai été racisé puisque c'est lié essentiellement à son faciès. On peut et doit combattre le racisme sans imposer à des êtres un enfermement dans une identité de victime à perpétuité. Avec l'étiquetage racisé, des individus et des médias avec de bonnes intentions ne sont-ils pas en train de diviser ? Voire rajouter de l’eau à la haine du moulin d’extrême-droite qui tourne déjà fort bien ? Une bascule sans s’en rendre compte dans une condescendance flirtant avec une forme de hauteur méprisante ? Des questions à se poser de l'effet de certaines étiquettes posées sur l'autre. À mon avis, le parti pris positif de départ risque de produire l'inverse de ce qui était souhaité. Et devenir totalement contreproductif. Toutefois, peut-être que j’ai tort. Et que c'est la rédaction de Mediapart et d'autres journaux qui ont raison d'adopter ce vocable de racisé. Adopterai-je  un jour ce vocable ? Affaire à suivre... Néanmoins dans le doute, ne pas s’abstenir de se poser des questions. Surtout en notre ère de discrimination de toutes sortes. Et de confusion. Qui a raison sur « racisé » et «  affaire raciales  »? Le débat reste ouvert...

                Pas qu'une certaine presse à vouloir imposer du « racisé » en boucle. De plus en plus de politiques emploient ce terme. La plupart du temps, ils et elles se situent à gauche. Dont une élue que j’apprécie beaucoup. Une femme politique qui a apporté de la nouveauté dans ce débat phagocyté pas des voix de vieumondistes. Malheureusement, elle aussi reprend les réflexes du vieux monde. Dont celle d’assigner à identité de victime des centaines de millions d’individus. Comme si un Juif ne pouvait être défini que par l’antisémitisme, un homosexuel que par l’homophobie, un Noir que par le racisme… À ce propos, peut-on mettre Barack Obama dans la catégorie racisé ? Je vois plutôt en lui un des dominants de la planète. En haut de l'échelle sociale, très rares les bavures policières. L'argent et le pouvoir vous extrairaient de la «  classe des racisés » ?

            Pendant ce temps, on oublie toujours une population. Pourtant c’est la plus écrasée de la planète. Les pauvrisés de toutes les couleurs. Sûrement le plus grand nombre d'habitants du globe. Double peine pour la pauvrisée. Pourtant pas la population dont on parle le plus dans les médias. Excepté les pires se servant des « pauvrisés » pour engranger de l’audimat et apporter de l’eau à l’extrême-pire. Plusieurs animateurs télé ont un grand talent pour la haine et division. Les pauvrisés coincés entre deux mâchoires : occultés ou manipulés. Même pas le moindre terme pour les qualifier. À moins d'écrire : encore un pauvrisé mort dans un accident du travail sur un chantier. Certes une caricature. Mais pas loin de cette facilité à créer des mots nouveaux. Pas la nouveauté qui est gênante. Au contraire, c’est important une langue qui vit. Sans pour autant employer des termes enfermant à vie des individus. Racisé est une prison sans possibilité d’évasion. Pourquoi on ne peut pas se faire la belle ? C’est une prison de bienveillance.

           Plus du tout de racisme en France et ailleurs dans le monde ? Malheureusement non. Ça continue. Et avec un coup d’accélérateur mondialisé. Comme pour l’antisémitisme. Et pareil pour l’homophobie, la transphobie, , le sexisme, etc. Pas de la haine résiduelle. La connerie humaine est bien enracinée. Ce qui ne nécessite pas de créer une nouvelle catégorie de citoyennes et citoyens du monde : les antisémitisés, les islamophobisés, les asiatophobisés, les homophobisés, les transphobisés, les grossophobisés, les handicapophobisés, les rouquinphobisés, … La liste n’est pas exhaustive. Un être ne peut pas se définir d’emblée par sa souffrance réelle ou projetée par un autre. Toute histoire unique est nettement plus complexe. Bien sûr qu’il faut tenir compte de la souffrance de chaque individu. Et si c’est possible de lui apporter de l’aide. Sans le confiner dans sa souffrance. L'être discriminé a  aussi droit à des vacances.

          Cela dit, chacun et chacune libre d’écrire et de parler à sa guise. Les journalistes de Mediapart et ailleurs ont tout a fait le droit d’employer « racisé » dans leurs articles. Même si ça défrise le racisé que je suis visiblement devenu. Qui suis-je pour penser que mes expressions sont les plus adéquates ? Sans doute que certaines de mes formules (tics de clavier et autres radotages) sur ce blog créent de l’agacement. Voire de la colère. Après tout, chacun et chacune libre de lire ou d'écouter à sa guise. Pour ma part, je vais boycotter quelque temps le mot racisé. Comme on évite un bar par lassitude des propos du tôlier ou de la tôlière. On finit toujours par revenir parce que, au fond, c’est quelqu’un ou quelqu'une de bien. Sans rancune. Tu bois quoi ? Le tôlier ou la tôlière aussi imparfait que leur clientèle. Et n’importe quelle autre chair mortelle. Si ce terme apparaît de racisé en une d’ un article, je ne le lis pas. Tant pis si le billet boycotté est intéressant. Et si le terme racisé n’apparaît que dans le corps du billet ? Un dilemme. Si le reste du texte me semble intéressant, j’irai jusqu’au bout. Un boycott extrêmement stupide ? Pas plus que le terme racisé.

       Pour conclure, imaginons un enfant en 2074. Immobile devant une fenêtre. Dans un village ou ville de la planète. Il regarde dehors. Un homme passe. Ça peut-être une femme ou un autre genre. C’est le racisé du 23, se dira l’enfant. Comme ça que le nomme ses parents, ses grands-parents, etc. Une identité sans doute intériorisée par les racisés. Ne serait-ils pas préférable que cet enfant se dise : c’est le voisin ou la voisine du 23 qui se promène. Voir même le con ou la conne qui ne veut pas qu’on mange les cerises dépassant de son jardin. Racisé passera-t-il un jour dans le langage courant ? Si ça se produit, il me semble que tout le monde aura alors perdu. Pourquoi ?

        La planète sera divisée entre racisé et racistes. Une division ancrée dans les regards. Le pire c’est que ça partait d’un bon sentiment protecteur. Une attitude réellement antiraciste. Tous les non-racisés seront alors potentiellement racistes ? La question finira par se poser dans les espaces publics et ailleurs. Tout ça n'augure pas d'un bel avenir pour les futures générations. Ni un bon présent pour nous tous et toutes. Nos vies valent mieux que des étiquettes. Même si perdurent de nombreux combats à mener. Contre notre connerie humaine. Des combats essentiels, dont l’antiracisme. Mais aussi continuer de lutter contre l’antisémitisme, le sexisme, l’homophobie, la transphobie… Que de boulot sur la planche du siècle. Mais essentiel pour notre humanité. La fin de notre espèce est programmée. Autant passer de bons moments avant la fin.

             Je ne suis pas un numéro. C'était la réplique récurrente d'une série culte des années 70. Gosse, je n'avais pas la télé et aller la voir chez des potes du quartier. Nous étions tous plus ou moins sidérés par les images. De la fiction qui nous ramenait à la réalité. Et si ça arrivait pour de vrai ? Serons-nous un jour tous des numéros ? Les interrogations anxieuses dans nos regards d'ados loin alors de la révolution numérique. Autres temps, autres questions. Revenons au sujet du billet. Cette future réplique dans la réalité à venir ?

           Non, je ne suis pas un ou une racisée !

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