Chaque matin Patrick Cohen, ouvrirait son 7/9 par la lecture d’un poème. Ses invités ne seraient que des comédiens, écrivains, réalisateurs, peintres, danseurs, sportifs, humoristes, musiciens, etc. Sans oublier des citoyens anonymes venant évoquer leur activité. Toutes les chaines de télés, la radio, la presse écrite papier et numérique, officieraient sur le même modèle. France Info débitant en boucle l’agenda des spectacles, la sortie de tel ou tel livre, les rencontres sportives. Plus un seul flash ou JT consacré aux actualités politiques nationales et internationales. Fin des infos mortifères.
Bien sûr, cette occultation volontaire des atrocités ne mettra pas fin à ce dont les journalistes, les politologues, et autres spécialistes convoqués à chaque drame national ou international, nous gavent « ad nauseam » au quotidien. A l’autre bout du monde ( parfois à proximité), les barbares continueront de tuer, violer, décapiter, et se nourrir de chair humaine dès le lever du soleil. Plus près de nous géographiquement, les faits divers plus ou moins glauques ne cesseront pas pour autant. Rester muet sur la boue et le sang ne les assèchent pas. Fermer les oreilles et les yeux ne changent donc absolument rien. La politique de l'autruche ?
Ecouter et regarder toutes ces horreurs change-t-il concrètement quelque chose à la situation? Je ne crois pas. Récemment, des millions de citoyens manifestaient - spontanément ou officiellement- contre la sauvagerie des attentats du mois de janvier. Ces manifestations n'ont pas empêcher du tout le président de la République, lui aussi présent à la grande manif du 11 janvier, d’aller vendre des armes de guerre à ceux qui, directement ou indirectement, alimentent les terroristes contre lesquels des millions de citoyens manifestèrent. La bande à Charb et les autres victimes mortes une seconde fois devant les commanditaires richissimes de leurs meutres. Quant à Nicolas Sarkozy, lui, il n’hésita pas à héberger sous tente des jours durant ( une somme colossale réglée par les contribuables) un certain Kadhafi aux abords des Champs Elysées. Force est de constater que voter et s’intéresser aux actualités n’a quasiment aucune influence sur la marche du monde. Et encore moins sur sa mauvaise marche.
A part les « fous d’actus», qui seraient vraiment dérangés par cette suppression de certaines rubriques de la presse? D’abord, les hommes et les femmes politiques faisant leur show en direct ou différé. Ils seraient condamnés à faire uniquement de la politique de proximité et n’être jugés que sur leurs actions, pas sur leur dialectique et éléments de langage. Ces éléments de langage souvent raillés par les journalistes les accusant de pratiquer la langue de bois. Oublient-ils qu'ils ont fréquenté la plupart du temps les mêmes écoles que ceux qu’ils interrogent ? Formés par les mêmes enseignants, ils pratiquent souvent les mêmes éléments de langage que leurs invités politiques. ce qui n'empêche pas la recherche d'objectivité des journalistes ayant pris l'option la plus chère et dangereuse sur le plan professionnel: " déontologie". Les grands fauves de nos médias ne sont guère destabilisés que par certains artistes, sportifs, ou anonymes non filtrés par les grandes écoles. Aucun effet miroir. Bref, un « pays sans actus » serait sans doute un drame pour les politiques. Obligés de se rabattre exclusivement sur le terrain pour convaincre.
D’autres y perdraient beaucoup. Ceux qui, ici ou ailleurs, imposent la terreur par le terrorisme. Violer, bombarder, décapiter, etc sans que cela ne se sache n’a plus tout à fait le même impact, sur ses troupes et la population à terroriser. Assassiner sans écho n’apporte rien à leurs opérations « buzz sanglant ». Plus les rois sanglants de l'émotion en prime time. Leurs menaces de mort contre l’hebdo Marianne (pas toujours ma tasse de thé) et d’autres organes de presse satiriques ou pas à travers le monde ne seraient pas relayés. La barbarie de ces assassins plus du tout à l'honneur des médias. Une propagande tombant à l’eau. Plus le moindre effet sur les opionions mondiales. Les fatwas uniquement pour quelques oreilles initiées. Un bide pour les plans de Com des barbares ?
A un autre niveau, ne pas relayer les « glaviots numériques » racistes, antisémites, homophobes, etc, de la toile, empêcheraient les internautes anonymes d’avoir leur quart d’heure de gloire. Nettoyer les graffitis ignobles sur tel ou tel édifice public sans leur accorder une quelconque place dans la presse. La haine et le bruit aiment se nourrir du bruit. D'aucuns me rétorqueront de nouveau que refuser d’en parler ne les réduira pas pour autant. Mais on pourra au moins déjeuner en paix. Et commencer la journée de bonne humeur. Sans traîner en soi cette vision mortifère distillée chaque jour. Souffler un peu.
Passer sous silence la douleur du monde ne sert in fine que les pires agissements. Pas uniquement des intégristes barbus criminels de guerre. D'autres assassins en voitures officielles cherchent aussi à faire main basse sur le globe. Imposer leur mode de vie et de pensée, détruire bruyamment ou insidieusement les autres cultures. Pas un hasard si les livres (plus d’autodafés de nos jours mais fermeture du robinet du Net) et les intellectuels sont - directement ou indirectement- les premières victimes des régimes autoritaires. La presse, attaquée par des fanatiques est aussi très vite dans le collimateur. Ne survivent plus que des journaux aux mains des pouvoirs en place. Une voix unique et servile. Même si la diversité existe en démocratie, la presse et la culture en général sont muselées subtilement par des groupes financiers. Liberté des médias mais il faut que ça rapporte aux annonceurs.
Supprimer les actus est une porte ouverte à la dictature ? Sans aucun doute. Voilà pourquoi les quelques interrogations et réflexions de ce texte ne sont réalisables et intéressantes que pour alimenter la fiction. Ou un billet d'humeur. Dans la réalité, aucune démocratie sans presse libre. Le seul moyen de pouvoir combattre la saloperie humaine est d’en être informée. On ne pourra pas dire qu'on ne savait pas. Même si, à notre petit niveau, nous ne pouvons que nous contenter de déléguer nos révoltes et nos indignations à des personnages publics; le dos à peine tourné aux urnes, ils s’empressent d’entendre d’autres voix - plus puissantes- que celles de leurs électeurs. Et oublier leurs promesses.
Pareil pour un certain nombre de journalistes qui, même pour les plus sincères, sont contraints de concocter une soupe au buzz que leurs annonceurs leur conseillent - plus ou moins directement-de nous refourguer. Pas un scoop tout ça. Des portes enfoncées déjà depuis longtemps comme par cette excellente conférence intitulée « La fabrique des imposteurs» décortiquant beaucoup mieux que ce billet l'imposture ambiante. Une imposture très subtile. Quoi qu’il en soit, nous avons besoin de ces actualités. Etre informés de notre Histoire quotidienne. Ne pas fermer les yeux sur l'horreur du monde.
Avons-nous les journalistes que nous méritons ? Sans nous les mangeurs de leur soupe - parfois très bonne -, ils fermeraient très vite leur boutique. Personne ne nous oblige à la boire du matin au soir. Aujourd’hui avec Internet, la distribution de la soupe se fait 24h sur 24H. Et en plus, nombre d’internautes, blogueurs ou commentateurs, s’improvisent journalistes dès qu’ils touchent un clavier. Ne pas confondre blogueur (comme ici), commentateurs, et journalistes. Etre journaliste est un vrai métier.
Une profession que nous ne cessons d’accuser de tous les maux. Souvent à raison. Rares celle ou celui qui ne succombe pas aux charmes du " donnage de leçons" sans propositions. Surtout en cette période où la technologie nous permet de faire briller notre ego au firmament de la toile. Sans cette profession certes perfectible, la situation serait peut-être pire. Les plus honnêtes d’entre eux ( travaillant sans le flingue invisible de l’actionnaire sur la tempe) effectuent un travail nécessaire, pas toujours si simple, pour la construction permanente des individus et de la société dans son ensemble. Ils nous aident à comprendre le monde et évoluer. S’interroger, penser, et continuer de douter. Tiercé gagnant aussi dans le désordre.
Vraiment une très mauvaise idée de vouloir supprimer la presse. Il me semble préférable de demander aux journalistes et aux patrons de presse un plus grand respect de la déontologie journalistique. Pas la blancheur immaculée( illusoire pour tout un chacun), juste tendre au maximum vers plus d'honnêteté intellectuelle. Nous, auditeurs, téléspectateurs, lecteurs, portons aussi notre part de responsabilités. Trop souvent des moutons, desvoyeurs, facilement manipulables par le moindre bateleur avec sourire et éléments de langage. Soumis à la tyrannie du " vu à la télé " ou " entendu à la radio. Impressionnés plus ou moins par ces " lumières " des médias. Combien d'entre nous ne se contentent que du buzz très clinquant ?
A chacun de balayer devant son seuil de citoyen, ou sa porte de conférence de rédaction. Pourquoi pas instaurer une journée sans aucun invité politique et débat de société ? Un peu comme lors des mouvements de grève. 24 heures consacrées à d'autres sujets sur nos ondes, à la télé, sur le Net, et sur nos dinosaures de papier qui se battent pour ne pas sombrer. Un interlude pour nos oreilles et nos yeux. Sans oublier nos cerveaux largement pollués par les drames en direct. Voir le monde un jour par an à travers d'autres fenêtres.
Pour une journée sans actus ?