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Billet de blog 29 juin 2022

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D'origine enfance

Premier jour de la libération de l'Algérie. Le pays de mes parents venait de signer son indépendance. Sans doute une immense joie et la fête jusqu'au bout de la nuit. Au même moment, je me trouvais dans le ventre de ma mère. Les bruits du monde filtrés par les parois maternelles. Un mois encore avant mon arrivée sur le quai de l'été 62.

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Lorsque l'enfant etait enfant Peter Handke Les Ailes du desir de Wim Wenders HD 720p © michele coquio

                     Jour de la libération de l'Algérie. Le pays de mes parents venait de signer son indépendance. Sans doute une immense joie et la fête jusqu'au bout de la nuit. Au même moment, je me trouvais dans le ventre de ma mère. Un mois encore avant mon arrivée sur le quai de l'été 62. Les bruits du monde filtrés par les parois maternelles. Et, à ma naissance, j'ai eu tout de suite d'autres préoccupations. Un agenda déjà chargé. Apprendre à marcher n'est pas une mince affaire. Plus tout le reste. Aujourd'hui 60 balais après, je me sens étrangement dans la même situation. Mais désormais habitant d'un territoire que je considère beaucoup plus vaste que quelques murs et un drapeau officiel. Avec toutefois d'inévitables frontières. Celles du temps qui passe. Passager de l'instant en cours.

          60 étés dans quelques jours d'indépendance de l'Algérie. Le 5 juillet va remonter  en force à la surface. Jour de grande fête pour les uns et de défaite pour les autres. Rien de plus normal que l’actualité et les citoyens et citoyennes des deux rives s'en emparent. C'est une des dates très importantes des relations de ces " pays frères de sang" à tous les sens du terme". Naturel et logique que cet anniversaire soit commémoré. Un jour important sur le plan historique. Pourtant, je m'en sens détaché. Comme si c'était très peu relié à ma trajectoire individuelle sur une portion du globe. Même si je connais l'histoire de l'indépendance et de la décolonisation. Sans pour autant en faire l'alpha et l'oméga de mon voyage éphémère sous la course des étoiles. Mes essentiels sont ailleurs que sur la page d'un livre d'histoire. Comme sans doute nombre d'entre nous. Pourquoi ce détachement ?

              Sans doute par méfiance de ce genre de commémoration avec force présence inévitable d'imagerie militaire. La mémoire de la paix  marchant au pas et aux sons du clairon. Les drapeaux et les mots d'ordre nationalistes vont bien sûr fleurir. Les traités de paix ne sont jamais signés sous les crânes sans ouverture sur le présent et le futur. Mais chaque pays et population libres  de fêter son indépendance comme bon lui semble. Toutefois, ma réticence est aussi liée en partie à l'assignation permanente à des racines. Sans me demander mon avis. La plupart du temps une intention sympathique née de la curiosité. Mais gonflant à force pour un gosse qui a autre chose à faire que de regarder sous ses plantes de pieds. Une sorte d'injonction à me "raciniser" qui m'a fortement agacé dès mon adolescence. Alors que mes premiers pas se déroulaient sur les trottoirs de Montreuil (93). Avant d'user les racines à roues du tricycle dans les allées du  Parc Montreau. Pressé de grimper sur une mob.

        L'Algérie comme un boulet à mes baskets. Plus pesant pour moi que celui de mon père ancien bagnard de Cayenne. Rien contre l'Algérie, rien pour non plus. Pareil pour la France et tous les pays du monde. Pas un plus important pour moi qu'un autre. Juste né dans un pays. Tu viens d'où jeune homme ? De la boulangerie, j'ai répondu une fois. L'Algérie revenait en boucle. D'abord dans la bouche des parents. En fait, ils en parlaient le plus souvent avec leurs silences d' absents immobiles. La douleur de l'exil en nuages sombres dans les yeux paternels. Sorti de la maison, l’Algérie toujours collée à mes basques. Comme une ombre en forme de carte d'un pays jamais visité. La plupart du temps, celles et ceux qui en parlaient étaient très bienveillants. Avec un souci sincère de vouloir m'intégrer à ce pays. Tout en me ramenant systématiquement à un autre chez moi où je n'avais jamais foutu les pieds. "Tu es bien spur chez toi ici, au même titre que tes autres camarades. Mais tu viens de...C'est très important de connaître tes racines." Des antiennes de " curés du militantisme ". Et en plus sympathiques et généreux.

        Compliqué de leur dire que mes racines n'étaient pas une priorité. Nettement plus intéressé par les copains, les copines, le décolleté de la prof d'anglais, le premier baiser avec la langue, l'ascension des " Verts " de Saint Etienne, les cerises sur l'arbre du voisin, le baby-foot, la première Gauloise sans filtre piquée dans le paquet du daron, The Clash, Johnny et Eddy, un 501 made in USA...  Et tant d'autres préoccupations d'adolescents dans un quartier populaire en queue de comète des trente glorieuses. Peu m'importait mes racines. L'esprit et le corps occupés par d'autres interrogations. Nous étions nombreux dans ce cas. Et d'ailleurs, mes racines ont toujours peu d'importance pour moi. Si certains en ont absolument besoin (c'est respectable.)pour vivre, je leur cède volontiers les miennes, enfin si je les retrouve. Se délester comme Mahmoud Darwich de son passeport. Disponibles aussi des drapeaux et des hymnes militaires dont je n'ai aucun usage. Exagération de ma part, car, comme tout individu, j'ai des racines. Tous et toutes venues de quelque part. Où se trouvent donc mes racines ? Ancrées au fond du regard d'une très vieille femme. Elle a soufflé plus de trois millions de bougies.Bon anniversaire Lucy!

           Certes, cette assignation bienveillante n'est pas dangereuse. Au contraire protectrice. Même si elle génère une certaine forme de dépendance à la main tendue ; toujours inquiet à l'idée de ne pas l'avoir assez remerciée. Bienveillance préférable bien sûr au slogan " Retourne dans ton pays bougnoule !" ou au contrôle au faciès par des flics ou des portiers de boîte de nuit-souvent avec le même faciès que moi. Ces personnes inquiètes de notre intégration ont beaucoup œuvré sur le terrain. Comme les " porteurs de valise" et tous ceux ayant contribué à cette indépendance. Au premier plan bien sûr tous les résistants et résistantes algériennes ( méprisées par des intégristes n'arrivant pas leurs chevilles de résistantes) sur le territoire. L'indépendance  ne s'est réalisée en un jour et sans heurts. Une pensée aussi aux Algériens balancés dans la Seine par un certain Préfet qui s'était fait d'abord la main sur des Juifs en les envoyant dans les camps de la mort. Un récidiviste du crime de masse. Ce haut-fonctionnaire peut se retourner dans sa tombe pour regarder vers l'Assemblée nationale; il y verra nombre de ses amis et supporters s'y installer en grandes pompes.  Grande victoire posthume pour un Préfet de la République avec du sang "d'étranges étrangers" sur les mains. Bientôt une stèle en l'honneur de ce grand humaniste nommé Papon ?

         En cette ère de retour du pire au pluriel, il est important de souligner le travail au quotidien des activistes du combat anti-xénophobe. Sans strass et plan de carrière. Et on peut dire que la tâche est rude pour toutes ces associations en permanence sur le terrain. N'en jetez plus, la cour de France est pleine de haine. Une haine qui, bien huilée dans le sens des urnes, peut aider à grimper au sommet de l’État ? Fort heureusement, plus de belles choses dans ce pays et sur la planète entière. Malgré sa force de frappe, notamment sur la toile, la haine reste minoritaire. Même si elle fait beaucoup de bruit. La subtilité rarement à brailler qu'elle est subtile. Les grandes gueules ont de l'avenir dans une époque ou n'importe quel possesseur d'une tablette peut amplifier le son de sa machine à boue et vide. Offrir une visibilité à son néant. La merde des cerveaux est désormais retweetée et ricoche d'écran en écran.  Pour un concours de l'odeur la plus nauséabonde. Et avec une haie de pouces levés pour désigner la puanteur gagnante.

       À propos de bruit ; qu'est-ce qu'on entend dans les beaux quartiers de Paris ? Tendons l'oreille... Des bruits de bottes camouflées en chaussures de ville. Géolocalisées près du Palais Bourbon. Une manif ? Non. Le bruit redouble d'intensité. Remontant des rues du passé. " Étranger dehors ! ". "Un film historique avec des costumes et des dialogues des années 30 ? Pas du tout. Ce n'est pas une fiction. Les bottes sont déjà à l'intérieur ? Non. Pas des bottes, des chaussures d'élus démocratiquement. C'est impossible. Sans doute une énième fake new ou un coup du Gorafi ? Non. Belle et bien la réalité. Au micro du perchoir de l'Assemblée nationale la voix d'un nostalgique de l' Algérie française. À ses côtés, des fantômes replongés dans l'eau glacée d'une baignoire d'Alger et rebranchés sur la Gégéne. Plus tous les morts et blessés d'une tragédie qui auraient préféré sans doute un Mandela pour les sortir de la spirale sang contre sang. Au lieu d'un grand homme réconciliateur, un revanchard réchauffant son plat de haine au frais des contribuables du Pays des lumières et des droits de l'Homme.  Qui a hissé ce désormais élu de la République ?

         Bien sûr ses électeurs. Indéniablement un fruit- même amer- du jeu démocratique.  Il a réussi à mûrir sur les branches de l'époque nauséabonde puisant sa sève dans les égouts de l'histoire. Retour du désir d'une " race de souche pure" comme dans les années trente et la nuit tombée peu après sur l’Europe ? Se méfier des grands écarts et comparaisons raccourcis ; quoi que... Sa montée au perchoir est le résultat d'un certain nombre d'éléments visibles et- en plus - prévisibles. Les intentions sont clairement affichées depuis des années. Ne serait-ce que l'épouvantail cathodique agité pour faire monter la sauce brune.

        Sans minimiser l'aide indirecte de certains escrocs - d'hier et d'aujourd'hui- du vivre ensemble. Des apprentis sorciers jouant avec le feu du fascisme déguisé pour conserver le pouvoir. L'escroquerie d'associations et de politiques qui ont divisé les plus précaires et fait le lit de l'extrême droite. Nommer les tartuffes qui ont vidé des idées généreuses de leur sens pour n'en faire que leurs cartes de visite ? . Ils et elles se reconnaîtront dans leurs miroirs. Bien sûr, il ne s'agit pas des militants sincères qui y ont vraiment cru et ont donné de leur temps et énergie. Eux n'ont arnaqué personne. Les dindons de ces farces antiracistes ? Mais tout à leur honneur d'avoir misé sur une belle idée. Sûrement des militants en colère mais guère surpris de cette montée de la haine sur le perchoir.

            Contradictoire d'écrire un billet sur un sujet duquel je me sens éloigné. Pourquoi alors gloser dessus ? Sans doute à cause d'une irrépressible honte. Celle de celui qui se contente de parler et d'écrire. Sans avoir été sur le terrain. Qu'il soit celui de l'indépendance d'un pays ou de luttes moins dangereuses avec slogan sur le pavé. Se satisfaisant du rôle de commentateur peinard devant son écran. Bien a l'abri derrière des textes de fiction ou non."Si un contemplatif se jette à l'eau, il n'essaiera pas de nager, il essaiera d'abord de comprendre l'eau. Et il se noiera. " Cette citation de Henri Michaux valable pour nombre de commentateurs de mon genre. Paroles, paroles', chantait Dalida. "Si le feu brûlait ma maison, qu'emporterais-je ? J'aimerais emporter le feu." La prose de Jean Cocteau dans la même veine. Que des mots. Vaut mieux la présence d'un maître nageur et de pompiers à proximité. Certains poètes réussissent à contempler et passer à l'action. Comme René Char alias Capitaine Alexandre.

           Malgré le ressenti d'un ado " gavé d'Algérie et de racines ", ce moment de l'histoire ne m'est pas indifférent. J'y suis en effet sensible. L’Algérie et ses fantômes apparaissent dans mes fictions. Sans toutefois en être l'objet central et récurrent. J'ai d'autres obsessions. Des sujets (l'écrasement social, les "nomades de classes", le changement de sexe, la beauté d'une seconde... ) revenant plus souvent. Nul besoin d’algorithme pour se focaliser sur tel ou tel sujet. Un transgenre focalisera sur le transgenre, une féministe en veille sur le féminisme, un juif sur tout ce qui touche aux juifs, un musulman sur les musulmans, un homme sur ce qui concerne les homos, un artiste sur son art, un sportif sur son sport... Personne n'échappe totalement à cette "veille de soi", une quête numérique parfois inconsciente. Et c'est naturel d'avoir des centres d'intérêt. Certains ont le souci de ne pas s'y laisser enfermer et cultivent sans cesse leur curiosité sur des domaine hors de leur univers. Pour revenir à la commémoration à venir ; nombre de luttes d'indépendance de l'histoire du monde m'intéressent. Qu'elles soient liées à un territoire occupé, une langue, ou un corps. Comme celui des femmes qui continuent leur guerre d'indépendance; la plus longue ? Même au pays avec une flamme géante de la liberté.

           Un nouvel habitant dans un village sera toujours d'ailleurs. Même s'il vient de l'autre côte de la rivière."Tu sauras d'ici quand tu habiteras le cimetière. " Constatation amusée d'un homme, installé depuis un demi-siècle dans un village de France, qui ne sentait pas réellement chez lui. Au moindre conflit, on te rappellera que tu n'es pas de là. Même les gosses entre eux. " Mes parents et grands-parents sont d'ici, pas les tiens". Toujours ramené à son ailleurs. Jamais libre dans le regard assignant sans cesse à son lieu de départ. Toujours dépendant de la vision de l'autre au nom inscrit depuis très longtemps sur une pierre tombale du cimetière communal. Comme pour l'exilé et l'immigré. Rien de nouveau sous le ciel. Pourtant suffit de lever les yeux pour comprendre. Tous et toutes de passage. Même cette étoile qui vient de passer à toute vitesse. Traversant le ciel et nos yeux. D'où vient cette étoile ?

     De son enfance.

      Comment conclure ce billet d'humeur aussi bancal que sincère ? En vous conseillant une visite de la page FB de Erick Auguste. Pour y lire sa chronique sur la " Fête du Parc Montreau". Trêve de digressions et revenons aux vivants. Place aux "mots de la fête " meilleurs que tous les discours.

          A la fête de Montreuil, hier. ( post du dimanche 26 juin, 11h59).

NB: Pour continuer entre autres sur la période de la guerre d'Algérie, se plonger dans "Barbès-Palace". Un très bon roman de l'auteur Mohamed Boudjedra.

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