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Mouloud Akkouche

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Billet de blog 29 août 2019

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Rentrée des nasses

«Sur ce mur mes médailles de la Résistance. Et celles, plus nombreuses, de ma femme. Elle avait dix sept ans dans le maquis.Une femme d'un courage supérieur à nombre d'hommes. Elle a d'ailleurs dirigé notre groupe quand j'ai été.... En vous écoutant, j'ai repensé à elle. Certes autre temps, autre ennemi. Mais avec un point en commun : résister. Vous dans un maquis invisible.»

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           Septembre l'inquiète depuis plusieurs années. Auparavant c’était un mois comme les autres. Ni meilleur, ni pire. Des jours et des nuits accrochés sur le fil sans fin des saisons. « Papa détestait le mois de septembre. Il l'avait surnommé la rentrée des nasses. Loyer, électricité, remplir le frigo... Il ne voyait ça que comme des nasses quotidiennes. Échappant à une pour retomber dans une autre. Avec quelques moments de respirations entre deux nasses. Les fournitures scolaires et les inquiétudes pour l'école de ses gosses se rajoutaient en septembre. Ce mois lui pesait plus que les autres. Sa main de maçon dans la mienne sur le chemin de l'école. Jamais il n'aurait raté une rentrée scolaire. Voulant que ses gosses soient comme tous les autres. Aussi bien habillés et revenus eux aussi de vacances. Des vacances dont il n'avait que les cartes postales et les photos. Pendant ce temps, lui se bronzait au soleil des chantiers au noir, pour préparer une rentrée à plus que zéro. La course d'un homme en apnée pour survivre. Trimant sans répit jusqu'à sa dernière nasse à perpétuité, son cœur jeta l'éponge deux semaines avant la retraite.». Elle secoue la tête et détourne le regard. « Je comprends maintenant ce qu'il voulait dire. Depuis que j'élève seule un gosse. Nous sommes un certain nombre dans ce cas. Pas que les femmes seules qui appréhendent la rentrée. Avec ou sans sable collé à la peau, la course reprend chaque rentrée. La même tous les mois. Femme seule et ...Je suis pas la seule à appréhender la rentrée. Même si… J’ai une difficulté de plus que la majorité des femmes élevant seule leur gosse. Ma douleur est mon histoire. C'est comme ça. Bref, on va pas jouer la plainte et épiloguer là-dessus. Parlons d'autre chose.». Le vieillard était resté muet. Vérité ou affabulation ? Sa nature méfiante restant toujours en éveil.

      Elle était arrivée un matin sur le parking du village. Dans un camion aménagé. Elle était rentrée avec un garçon de neuf ans dans la boulangerie. « Non. Je connais pas de terrain pour installer votre véhicule.». Un haussement d'épaules en écho à la réponse de la boulangère avant de sortir. Le vieillard dans la queue avait entendu leur brève conversation. La femme était assise sur un banc. Son fils mangeait un croissant. « Moi j'ai un petit terrain. ». Elle trouvait le loyer trop cher et avait négocié à la baisse. Tout s'était fait très vite. Il ne lui avait pas posé trop de questions. Même quand elle a étalé trois mois de loyer d’avance en coupures sur la table. « Pas d’inquiétude. C’est pas de l’argent volée. On me paye juste en liquide. ». Elle lui avait montré ses mains bouffées par le travail de la terre, des vignes, de la maçonnerie, etc. Il avait ramassé l’argent. Soupir de soulagement de la nouvelle locataire. Sa main pressant l'épaule de son fils. Combien de temps avant de fuir à nouveau ? Une femme kilomètres avec un œil toujours rivé à son rétro.

      Le bûcheron à la retraite vit dans une maison à une centaine de mètres du terrain. Près d'une rivière. Jamais il n'est entré dans son camion. Elle n'a franchi qu'une fois le seuil de sa maison. Ils échangeaient les politesses de voisinage quand ils se croisaient. Le gosse avait brisé la distance entre le vieillard et la femme du camion comme l’appelaient les villageois. Il observait le vieillard pêcher. « Tiens, c'est pour toi. Tu te démerdes avec. ». Il lui avait confectionné une canne. Sans donner la moindre explication technique. Persuadé qu'il allait vite se lasser. Un regard moqueur sur le gosse des villes doublée d'une grossière erreur. Débuta alors une relation entre deux pêcheurs, chacun sur une rive éloignée de 85 ans. La mère venait parfois s’asseoir à côté d'eux, sur une petite île. « Merci pour mon fils.». Il était resté muré dans son silence habituel. Le regard rivé à l'eau. En amont, son élève explosait les compteurs de la friture. « Qu'est-ce que vous fuyez? ». Sa question l'avait surprise. Que répondre ? Elle s'était levée sans un mot. Le ventre noué. Elle avait traversé la rivière.

      Pour frapper à sa porte deux jours plus tard. Après une hésitation, il l'avait invité d'un signe à le suivre dans la cuisine. « Le père de mon fils n'est pas mort. Et je n'ai pas perdu mon emploi. Il y a... Bon... Jeune, j'ai fait beaucoup de conneries. D'abord des petites, jusqu'à une très grosse. L'agression d'une femme pour lui voler son sac à mains. J'ai purgé un an de prison. Une prison à plusieurs centaines de kms de ma ville natale. En sortant, je n'avais pas d'autres endroits où aller que revenir à ma case départ. Rentrer chez mes parents qui m'auraient accueilli à bras ouverts. Pourtant qu'est-ce que je leur en avais fait voir. Pas fière de tous mes actes. Revenir à domicile c'était retrouver tous mes amis de conneries. J'avais un peu de fric sur mon compte en banque. « Le plus loin possible avec cette somme. ». Le patron de l'agence de voyages a ouvert des yeux ronds. Il m'a invité à déjeuner. Je lui ai raconté mon histoire. Il a souri et dit: un voyage à deux le plus possible ça te dirait. Dès notre retour, j'ai travaillé avec lui. Enceinte un an après. Un cadeau de la vie, jusqu'à la naissance du petit. Les coups ont commencé à tomber après son premier anniversaire. Ma plainte n'a pas abouti. L'ancienne taularde contre le fils d'une famille bien implantée. Foutue d'avance. J'ai décidé de m'enfuir.». Elle s'était resservie une tasse de café. « Depuis, il me harcèle. Je dois vivre cachée. J'ai fait l'erreur de me mettre en auto-entreprise. Il a retrouvé mon adresse ur le Net. Voila pourquoi je suis obligée de travailler au black ou de me contenter des aides sociales. Chaque rentrée scolaire, j'ai la trouille au ventre qu'il débarque et enlève mon fils de force. Je... ». Elle s'était soudain arrêtée de parler. Une inquiétude dans le regard. Elle a tourné les yeux vers la porte. Prête à fuir.

         Le poing du vieillard sur la table avait brisé le silence. « Faut que ça s'arrête cette merde  ! ». Elle l'avait dévisagé. Première fois qu'elle voyait autre chose que de la désillusion sur son visage. Une brusque montée de colère. « S'il vient ici, je... Vous voyez sur le  mur là... Ce sont mes médailles de la Résistance. Et celles, plus nombreuses, de ma femme. Elle avait dix sept ans dans le maquis. Une femme d'un courage supérieur à nombre d'hommes. Elle a d'ailleurs dirigé notre groupe quand je suis allé... Bref... En vous écoutant, j'ai repensé à elle. Certes autre temps, autre ennemi. Mais avec un point en commun: résister. Vous êtes dans une sorte de maquis invisible et mobile. Comme tous à l'époque, ma très regrettée épouse devait changer souvent de pseudo. Surtout ne jamais donner son vrai nom. Souvent circulant avec de faux papiers. Je vais pas y aller par quatre chemins : mon nom ne sert pas à grand chose. Il va bientôt finir gravé à côté de celui de la femme de ma vie. Autant que mon nom serve à quelque chose. Je vous en fais cadeau si ça peut vous servir de couverture.». Elle lui avait donné la réponse une semaine après. Leur mariage avait évidemment nourri les rumeurs. « Les cons ne savent pas que je n'ai aucun héritage à laisser. Ma baraque et le champ appartiennent à l'un de mes neveux. Je n'ai rien a léguer. À part mon fort sale caractère et mon nom. » Son dernier acte de résistance ?

      Elle a pu ouvrir une entreprise avec le nom de son époux. Son ex compagnon ne pourrait la retrouver du côté professionnel.. Elle avait donc pu donc mis en ligne son site -sans photos d’elle-sur la toile. Le mariage n'a rien changé à leur mode de vie. Chacun chez soi. Que le gosse naviguant d'une maison à l'autre. Deux années qu'elle a une vie moins sur le qui vive. Bien intégrée dans le village où elle s'occupe des jardins et de l'entretien des résidences secondaires. La plupart des propriétaires plutôt réglos et respectueux de l’environnement et des us et coutumes du village. Une minorité d'entre eux se comportent comme des châtelains éphémères à qui on doit dérouler le tapis rouge. Parfois sans se rendre compte d'un mépris plus fort que leur grande culture et intelligence. Persuadés de détenir la bonne parole et tout savoir mieux que les «indigènes» de leur lieu de villégiature. Ils se comportent tels des missionnaires en charge de "deplouquer" les campagnes du pays. Certains partis en guerre contre le chant du coq, des cigales, ou le son des cloches. Ils cherchent à inféoder les alentours de leur résidence secondaire à leur image - le plus souvent- d'urbain.Confondant pour quelques-uns leur cour de récré privée et estivale avec l'espace public. Bien sûr, ils alimentent l'économie locale roulant au ralenti hors saison touristique. Ce lien financier génère en partie des relations quelque peu ambigues avec les habitants à l'année; pas tous non plus des saints. Une colonisation saisonnière ?

      Son équilibre précaire avait failli imploser deux mois auparavant. Après une brève histoire avec le patron du camping du village. Quelqu'un avait fait circuler deux articles sur sa condamnation pour coups et blessures. Ricochets de haine contre la «salope profitant d'un vieillard» sur la toile. Qui avait pu faire le lien avec son passé ? Elle a pensé tout de suite à l'une des nombreuses conquêtes de son amant. La dernière en date. Elle a soupçonné la maire passée elle aussi entre les bras du Don Juan de camping. La seule, avec son mari, à connaître son nom de jeune fille. L'affaire s'est tassée très vite. Effacée par d'autres rumeurs.

    Pas une rentrée comme une autre pour son fils. Il passe en sixième. Le collège se trouve à une quinzaine de kilomètres du village. Elle conduit lentement. Il est assis silencieux. Tour à tour très fier et anxieux de quitter le cocon de l'école primaire. Sans doute les mêmes sentiments mêlés pour ses copains de classe. « Tout ça c'est pour toi. Plus l'âge de la mouche». Il lui avait donné son matériel de pêche comme cadeau d'entrée en sixième. Elle ralentit devant le collège. Son visage blêmît. Elle ne s'arrête pas. « Qu'est-ce que tu fais, Maman ? ». Elle grimace un sourire. « Y a pas de place pour notre paquebot sur la parking. Je vais me garer ailleurs.». Il la fixe très étonnée. Nombre de places sont libres sur le parking.

    Son ex se trouve devant l'entrée de l'établissement. Que faire ? Fuir encore ? « Maman, dépêche-toi. On va être en retard. ». Elle se gare. Il descend. « Attends-moi ! ». Elle descend à son tour et lui prend la main. « Je suis plus un bébé. ». Elle serre plus fort. Ils se dirigent vers la grille. Le vieillard s'approche de son ex. « Je suis allé voir sa photo sur Internet. Fallait que je vois le visage de ce fumier. Si j'avais encore des jambes, je serai allé lui mettre une rouste et bousiller son agence de voyages. Sa sale gueule de bon samaritain fourré dans toutes les bonnes œuvres. En plus élu au conseil municipal de sa ville. Une ordure derrière un masque bienfaisant. ». Elle s'arrête. " On y va Maman.". Elle ne bouge pas. Incapable du moindre geste.

   Le résistant braque un pistolet.

NB: Une nouvelle inspirée de plusieurs trajectoires individuelle croisées depuis des décennies. Métissage de fiction et réalité. Combien de femmes en cavale pour échapper à leur tortionnaire ?

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