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Aujourd'hui, tout existe en bio ! Il y a même des blagues bio !
- A quoi tu les reconnais ?
- Elles ne font rire personne... Rire produit du CO2.
Charb
Un rire geyser. Ma réaction en tombant sur cette vidéo. J’ai trouvé que la parodie était excellente. Mon rire est retombé. Mon index fureteur prêt à repasser à l’actualité classique sur le Net. Autrement dit la guerre, le terrorisme, les féminicides, le racisme, l’antisémitisme, l’homophobie, la transphobie… Et si tu l’étais ? Quoi ? Transphobe. La question que je me suis posée en lisant certains commentaires de la vidéo. Et surtout en apprenant les nombreux dépôts de plaintes pour transphobie. Des courriers d'indignation et de colère adressés aussi aux autorités de la télévision belge. J’ai laissé tomber l’actu malheureusement ordinaire. Pour rester sur la problématique autour de cette vidéo. Est-elle transphobe ?
Je n’ai pas l’impression. Ça me semble être comme une « caricature chantée et dansée ». De la dérision poussée à son extrême. Et, comme toute caricature, elle n’est pas là pour plaire à tout le monde. Ni déplaire. Ce qui n’empêche pas de ne pas être apprécié. Voire même détesté. Comme on peut détester les caricatures de Charlie. Longtemps abonné à ce journal satirique, je le lis de temps à autre. Me marrant à tel ou tel dessin. Solidaire de leur crayon contre les balles obscurantistes. Mais jamais été, «je suis Charlie ». N'appréciant guère les mots d’ordre et slogan, encore moins en bandoulière. Dans tous les cas, nul n’est obligé de se marrer vers la même religion de l’humour. Rire n’est pas un devoir citoyen. Ni une contrainte.
Et si on avait fait ce genre de parodie sur les Arabes, les Noirs, les Musulmans, les Juifs... ? La question peut en effet se poser. Pourquoi pas rire si le sketch nous plaît. Et si, en creusant, vous trouvez des relents nauséabonds ? C’est une autre histoire. On peut d’abord rire naturellement. Guère hasard si on évoque l' éclat. C’est un jaillissement incontournable. Mais, le rire retombé, pas interdit en effet de creuser et d’aller plus loin. Constater que ce qui nous a fait marrer a un arrière-fond pourri. Que c’est une manipulation et attaque déguisé contre tel ou tel groupe. Dans ce cas, on s’en veut de s’être fait avoir. Ce qui n’enlève rien au jaillissement de ce rire. Fort heureusement, toutes les émotions ne sont pas contrôlables par la direction cervicale. Même s’il est préférable de contrôler certaines pulsions dangereuses. Jamais vu un rire tuer ou violer. Mais il peut-être blessant. Même si ce n'était pas son intention d'origine.
Toutefois la colère et le sentiment d’humiliation de certains LGBT n’est pas à négliger. Des individus sincèrement touchés. Avec le tout à fait le droit d’exprimer leur mécontentement. Comment aurais-je réagi à cette parodie si j’étais LGBT ? Peut-être en adressant une plainte ou en lâchant ma colère et indignation sur les réseaux sociaux ou ailleurs. Important aussi de remarquer que des internautes se qualifiant de LGBT ont laissé des commentaires allant dans un autre sens. Trouvant très drôle cette parodie. Pour parodier la parodie ; va comprendre. Je dois avouer ne plus trop savoir. Souhaitant conserver mon empathie aux personnes blessées par cette vidéo. Mais aussi ne pas avoir honte de mon rire. Ni devoir me justifier de ne pas être transphobe. Et si tu l’étais peut-être un peu au fond ?
La réponse est non. Sans aucun doute, un grand nombre de points négatifs dans ma personnalité. Mais pas de détestation d’un individu pour sa couleur de peau, sa sexualité, sa couleur politique, sa religion, son poids, sa taille, etc. Et les à priori ? J'en ai comme tout individu porteur de telle ou telle éducation. Nul n'est à l'abri de sa connerie humaine. Même avec des diplômes à rallonges et un QI +++. Dépasser ses à priori et jugements à l'emporte-pièce de l'autre est un chantier permanent. Pas facile de sortir de ses certitudes et naviguer à contre-courant de ses réflexes mentaux. Sûrement que j'ai encore beaucoup de pain sur la planche. Dans tous les cas, je suis sauvé par une absence. Celle de la haine qui m'est étrangère. Contrairement à la colère. Notamment contre le mépris et tous les écrasements de l’homme par l’homme. Même si cette colère s’atténue en vieillissant. Un apaisement dû à la replongée dans la lecture de bons poètes ? En effet, la poésie a des effets. Dont celui de se dépolluer de la noirceur contemporaine. Sans pour autant l'occulter. Se justifier est suspect ? Peut-être. Mais la suspicion ( entre autres décortiquer chaque propos de l'autre pour y déceler la faille) ne serait-elle pas aussi suspecte ?
Humour et amour me semblent avoir un point en commun. Lequel? Il n’y a pas de règle. Chaque histoire d’humour est unique. On ne peut pas tous rire de la même façon. Pareil pour l’amour. Ça relève de l’intime. L’idéal est de ne pas blesser l’autre ou les autres. Que ce soit en amour ou en humour. Mais pas toujours évident. L’humour et l’amour peuvent générer des dégâts collatéraux. Certains pouvant entraîner la mort. L’amour plus dangereux que l’humour ? Plus de féminicides que d’humoristes tués. Toutefois, on ne tue pas par amour. Mais le plus souvent par décision de possession. Pour empêcher « l’objet aimé » de devenir un sujet aimant et aimé ailleurs. Le tuer pour rester son « dernier propriétaire ». Tu seras à personne d'autre que moi. Ton histoire est mon objet à perpétuité. Son acte de propriété sur une tombe ou des cendres.
Concluons par la vidéo qui a divisé les internautes. Elle est aussi le reflet d’une époque. Des tensions surgissant d’un seul coup (beau pléonasme du jour) sur la toile. Ça explose, ça cogne sur écran, des indignations, des colères, des insultes, des plaintes… Puis ça retombe. Avant la prochaine poussée de fièvre virtuelle. L’humour fait partir de ces mouvements d’humeur numérique. À mon avis, il sera toujours un sujet de frottement. Avec impossibilité de se mettre d’accord. Et tant mieux. L’humour ne peut faire l’unanimité. De plus, la diversité est quand même plus agréable que la monotonie. Finir un jour par rire de tout avec personne ? La question peut se poser. Des rires différents plutôt qu’un rire officiel ? La question est inutile. On ne bride pas le rire. Les pires dictatures aimeraient y parvenir. En vain. Le rire peut prendre le maquis même sous la peau. Irréductible.
Huit milliards de rires uniques ?
NB : Lors d'un salon, un auteur racontait ses fous rires. Une conversation autour d'une bonne tablée buvant et chantant. Avec la participation très active de ce vieil homme très drôle. Avec des yeux tour à tour rieurs et sombres. « A Auschwitz, quand un type se cassait la gueule dans la neige, on se marrait. Comme des gosses. Et je peux vous que ce rire était une de nos armes de survie. » Cet homme se nomme Joseph Bialot. Ses livres sont à lire ou relire. Surtout en notre ère où la mémoire historique affiche ses trous... Plonger ou replonger dans le très fort «C’est en hiver que les jours rallongent »