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Billet de blog 29 décembre 2018

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Bord de lignes

Mon histoire est en bord de rails.Une rue parallèle à la gare.Petites et grandes lignes découpent la ville et le temps.J'habite un camping-car. Pas un palace. Ni un carton sous un porche ou dans un square. J’y vis depuis sept ans. Un intérieur à peu près comme d'autres, derrière des murs. La grande différence est que je peux emporter mon toit ailleurs à tout moment. Sur un coup de tête ou de cœur.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
© MA

        Mon histoire est en bord de rails. Une rue parallèle à la gare. Petites et grandes lignes découpent la ville et le temps. J'habite un camping-car. Une sorte de studio avec coin cuisine et douche. Pas un palace. Ni un carton sous un porche ou dans un square. J’y vis depuis sept ans. Un intérieur à peu près comme d'autres, derrière des murs. La grande différence est que je peux emporter mon toit ailleurs à tout moment. Sur un coup de tête ou de cœur. Mais nulle intention de quitter ce quartier. Je m'y sens très bien. Chaque journée finit entre les pages de mon cahier. En vrac.

    Mes lignes intérieures.

    Ce matin, comme tous les jours, je suis au square. À ma place habituelle, au-dessus du carré d’eau. Pour ma séance de yoga, après le réveil. Qu’il pleuve, vente ou neige. Depuis environ deux ans, quelques habitants viennent y participer. Au début, exclusivement des retraités. Puis de tous âges. De temps en temps, surtout en été, des SDF et gens de passage partagent mon heure d'exercices. Une ado obèse vient seule une fois par semaine. Elle a du mal mais s'accroche. Difficile de lui parler car elle a le regard fuyant et part toujours très vite. Donner des cours ? J’en suis incapable. De plus Google regorge de profs de yoga, naturopathes et autres ambassadeurs bien être de la vie saine à tous les étages, du genre de la mienne depuis un quart de siècle. Leurs ambassades se trouvent dans nombre de rue, presque autant que les salons de tatouage. Je prodigue juste quelques conseils improvisés à la demande. Sinon ils m’observent et imitent mes gestes. Comme moi durant les trois années passées à étudier le yoga en Inde. Tu es notre joueuse de flûte immobile, ironise Meschats. C’est une ancienne prof de maths. La plus assidue à déposer son tapis à côté du mien. Sympathique mais très collante. Qu'elle et deux autres pour la séance du jour. Trop froid sans doute pour des exercices. J’attaque par une salutation au soleil. Un soleil qui peine à se lever.

    Chaque geste réveille peu à peu mon corps. L'entrée en douceur dans mon enveloppe pour la journée. Des mouvements sous l’œil d'écoliers encore ensommeillés se rendant à l'école donnant sur le square. Ma séance terminée, j'écoute les dernières nouvelles de Meschats. Rarement entendu quelqu'un parler aussi vite. Puis, toujours au milieu d’une phrase laissée en suspens, elle lâche : «Ce n’est pas que je m’ennuie. Mais je suis déjà en retard sur mon programme.» Elle court la ville du matin à la nuit. Une course rythmée par de nombreux voyages à l’étranger. Comme si elle avait vécu en apnée familiale et professionnelle, retenant tous ses désirs et rêves, ciné, théâtre, restos, mecs, avant de tous les libérer d’un seul coup – en même temps que son mari foutu à la porte – le premier mois de sa retraite. Une mamie chats et livres. Alimentant les écuelles et boîtes à livres sur plusieurs quartiers. Elle est aussi un pilier de la médiathèque. Justement c’est l’heure. Je roule mon tapis et coupe le débit de Meschats d'un dos pressé. «Bonjour M’dame». Je salue la gamine. Fidèle à son sourire suçotant une compote. Sa mère marche quelques pas devant elle, un smartphone vissé à l'oreille. Je sors du square. D’abord un passage par la douche. Avant mon deuxième thé et cuillères de graines. Sans oublier la salutation à mon miroir.

    Le gardien de la cité me fait un signe de la main. Je la traverse plusieurs fois par jour. Sans doute pour elle que je suis revenue. Maman habitait à Paris et Papa ici. Il était né dans le quartier. Je venais un mois en été et de temps en temps pendant l'année. Jusqu'à sa mort, le mois de mes dix huit ans. Beaucoup de très bons moments dans ce mouchoir de petits immeubles entourés de maisons. Un carrefour d'exils lointains et de la campagne proche. Joies et douleurs frottées les unes aux autres donnant de belles étincelles ou des éclats de haine. La population s'est renouvelée plusieurs fois, au gré de chaque nouvelle migration et du prix de l'immobilier. Résistent une poignée de devenus-vieux croisés pendant mes vacances. L'appartement, en rez-de-chaussée, a été reloué à différents locataires. Un couple l'a acheté et transformé récemment en une galerie d'art avec des ateliers. Avant-hier, il y avait un vernissage. Je suis passée et repassée devant plusieurs fois avant d'y entrer. Trente-cinq ans après.

   Plus le même lieu. Rien à voir avec l'appartement de Papa bourré à craquer de meubles et de toutes sortes d’objets. Beaucoup, inutiles, encombraient l'espace déjà très réduit. Seule ma chambre échappait à sa course à l'accumulation. «Je t'aime. Je t'aime.» Une artiste, performeuse, répétait ces mots en boucle derrière la porte vitrée d'un des ateliers. Mon cœur s'est serré à cet instant précis. Celui d'une gamine qui allait très souvent au cinéma avec son papa. Notre activité principale avec les virées au bord du fleuve ou au Muséum. Le cinéma, remplacé par un fleuriste, n'est plus qu'une façade aux rideaux de fer baissés en attente d'autres activités ou d'une mâchoire broyeuse de souvenirs. Quand nous revenions d'une séance, je lui demandais systématiquement ce qu'il en avait pensé. Chaque fois un grognement en guise de réponse. À peine rentré, il allumait une clope et s'asseyait sur le canapé, le regard absent. Et moi, pour le sortir de ce vide inconnu qui me le volait, je rejouais des scènes devant lui. Prête à toutes les pitreries pour effacer son masque sombre. Un visage ne s'éclairant qu'à la pêche ou penché sur un moteur. Il finissait par se dérider. «Tu feras actrice, ma fille.» Il avait raison. «Je t'aime, je t'aime.» J'ai souri. Elle disait tout ce que je n'ai su lui dire directement. Des mots restés à la porte de notre histoire.

   Toujours arrivée avant l’ouverture. Nous sommes de plus en plus à attendre dans cette espèce de tunnel, creusé sous la très haute masse vitrée. Il laisse passer les gens et le vent. La soupe populaire y élit domicile en hiver. Métro et gare sont accessibles par des escalators. La plupart de mes voisins d’attente, fripés par une mauvaise nuit dehors, viennent s'échouer sur une île chauffée et éclairée. Premier rendez-vous sur l’agenda de ceux qui n’en ont pas ou plus. Beaucoup d’habitués qui se saluent d’un rapide silence. La médiathèque a ses détracteurs professionnels. Dont un, le plus véhément, qui crache en boucle contre ce putain de truc moche construit avec nos impôts. Il est très remonté car elle a bouché la vue de son balcon. Moi j’aime bien. J’y passe des heures. Une annexe de ma cabane sur roues. Le seul lieu, à part la rue, les squares, où personne n’essaye de te vendre quelque chose. Mon vélo est toujours accroché au même endroit. Les vigiles, me voyant passer sans cesse, ne jettent même plus un coup d’œil à mes deux gros sacs. Ils savent ce qu’ils contiennent : un fatras de cahiers, une bouteille d’eau et deux bananes. Plus les livres, films et CD à rendre. Comme les vigiles, la plupart des bibliothécaires me connaissent bien. Pour elles, je fais partie du décor. Un meuble peu bruyant. Contrairement à Lacrète à côté de moi, le corps vibrant de ronflements. Guère son habitude de se faire remarquer. Plutôt du genre à s’effacer le plus possible, bouffé de timidité enrobée de politesse à rallonge. Sa nuit a dû être courte et agitée pour qu’il la termine ainsi avachi sur sa première page de l’Équipe. Sa crête de «punk is not dead», toujours droite et gominée, est écrasée sur le côté. On a quasiment tous des surnoms dans la rue. Comme d’autres sur le Net. Moi c’est Bordelignes. Au début c’était Labourge. Sans doute parce que, exceptée en yoga, je suis toujours maquillée et bien habillée. Des chaussures, j’en raffole, robes, pulls, pantalons, etc., le plus souvent trouvés dans la rue. À l’aube des poubelles, avant le passage des Roms qui vivent de ces tissus. Une partie de mon mobilier vient du même fournisseur. «Monsieur ! Monsieur !» La majorité du personnel sait nos pseudos, certains donnés par eux, mais ils ne les utilisent jamais. La jolie rousse, très timide, le secoue un peu pour qu’il se réveille. Grognement d’un ours dérangé prêt à mordre. Une baraque de près de deux mètres qu’il vaut mieux avoir dans sa poche. Même s’il prend beaucoup de place. Je l’ai dans ma poche. «Désolé Mademoiselle.» Il se confond en excuses et replonge dans sa lecture. «Tu as pris ton café Lacrète ?» Il hausse les épaules. «Bien sûr.» Il fait semblant de se concentrer. Je me lève, pose discrètement une poignée de pièces sur sa table et m’éloigne. Direction mon petit coin tranquille. Chez les sérieux. Étudiants ou rats de médiathèque. Des spécialistes du silence.

     Pour mes lignes du matin.

     La journée se déroule semblable à la majorité des précédentes. J'aime bien cette douce répétition. Marcher et rouler à vélo dans les mêmes rues me rassure. Je vais rejoindre Loco en fin d'après-midi. Le vieillard mémoire du quartier. Un ancien cheminot incollable sur l'histoire des chemins de fer français. Dès qu'il est ivre mort, il imite le son d'une locomotive roulant le long du bar. Un passager permanent du L où il m'a donné rendez-vous. C'est un ami d'enfance de Papa. «Tu sais, ton vieux c'était un mec trop buté. Le cœur sur la main mais un mur sous le crâne. Ton grand-père que tu n'as pas connu lui mettait dessus. Avec les poings et le ceinturon. Il voulait qu'il soit le meilleur à l'école et au piano. Ouais, ton grand-père tâtait de l'accordéon et aurait rêvé d'être une star du music-hall au lieu de rester à perpète mécano dans le garage de son oncle. Et tu sais ce qu'il a fait ton vieux... J'étais le seul de l'école à le savoir. Le fric pour le cours de piano, il le filait à un prof de boxe du faubourg. Il y avait une salle dans l'arrière salle d'un rade, juste à côté de l'ancien cinoche. Une vraie gauche ton daron. Un soir, ton grand-père a levé la main sur lui. KO direct dans le salon le sale con. Que ce qu'il méritait. Je peux te dire qu'il lui a foutu la paix à partir de ce jour là. Mais c'est aussi ce jour que sa mère, ta grand-mère, lui a parlé à ton vieux. L'homme qu'il venait d'envoyer au tapis n'était pas son père. Son géniteur était un type passé une nuit dans l'hôtel où elle était femme de chambre. Ton vieux en apprenant ça a pété les plombs et s'est tiré à Paris. Pour boxer. Trop têtu et indiscipliné le lascar pour réussir dans ce milieu. En plus hyper moral, pas le genre à rentrer dans des embrouilles malhonnêtes. Il a rencontré ta mère qui venait d'un autre monde. Lui videur de boîte et elle étudiante venant guincher avec ses copines. J'ai été témoin de leur mariage. Et de la rupture très rapide. Il a pas tenu là-haut. Et ta mère voulait pas descendre ici. Faut comprendre : elle est pas, disons, comme nous. Une femme bien ta mère, avec de vraies valeurs. J'ai tous ses bouquins. Ton vieux est arrivé sans un sou vaillant. Heureusement qu'y avait ta grand-mère pour l'accueillir. Entre temps l'autre con s'était fait la malle avec une jeunesse. J'ai fait embaucher ton vieux dans notre équipe. Un super bosseur et vachement apprécié de tous les potes. Il a juste allumé un cravaté de la maîtrise qui voulait pas lui payer ses heures sup. Trois jours d'hosto le mec. Et ton vieux a fini en bossant au noir pour des garagistes. Le reste, tu le connais. Pourquoi je te raconte tous ces trucs ? J'espère que Loco t'a pas trop pris le chou. N'hésite pas à me dire si je joue disque rayé.» J'avais dû lui tirer les vers du nez lors de nos premières rencontres. Mais depuis très difficile de l'arrêter. J'évitais de le croiser car il tricotait et retricotait les mêmes mailles du passé qui s'effilait de plus en plus. Tour à tour abattu et en colère que les murs, de sa naissance à sa mort, soient détruits. Comme d'autres tombant pour que ses parents, venus d'ailleurs, puissent s'installer. Une population avait déjà remplacé celle de «à mon époque». De nouveaux arrivants vus d'un mauvais œil par les futurs partants.

    Je pousse la porte du L. Une demi-douzaine de clients partagent le même silence enfumé. Je les connais tous de vue. Le seul bar sans télé du quartier. De la ville ? Un aimant à exilés et locataires du bord. Anciens et nouveaux se côtoyant au comptoir. Plus les autres exils, au plus profond d'un corps modifié, ou juste un déguisement de femme. Certains tapinaient. Il y a aussi des putes, surtout sud américaine ou des pays de l'Est, venant parfois boire un verre. Le même genre de clientèle à proximité de toutes les grandes gares. Fréquentés de plus en plus par d'autres mémoires que Loco et ses derniers collègues cheminots ou meccanos des garages du Faubourg. Les mégaphones vieillissant d'une classe populaire devenue aphone. Un sujet dont j'ai soupé dès ma prime jeunesse. Papa en parlait très peu. Contrairement à Maman, historienne spécialisée dans les mouvements ouvriers. En plus de ses cours à la fac et bouquins, elle avait réalisé des documentaires. Une pointure sur l'histoire des classes populaires. Pour finir toute seule sans mémoire dans une Ehpad. J'arrive à peine à lui pardonner sa réponse quand je l'avais appelée pour venir me chercher à la clinique psy. «Ça tombe mal, j'ai une interview radio de prévu. Prends un taxi. Je te laisse l'argent sur la table de la cuisine. À ce soir, ma chérie». Le taxi m'avait déposé devant la maison de Maman. J'étais rentrée prendre l'argent. En faisant un détour par son bureau. «Voici pour la course». Il m'avait rendu la monnaie. «Déposez-moi à l'aéroport». Maman laissait toujours du liquide dans un tiroir. Je ne l'ai jamais revue. Apprenant sa mort il y a trois ans par un notaire qui avait fini par me retrouver. Sa fille unique. Je suis allée signer les papiers. Pour sa résidence principale et la secondaire au bord de mer. Les deux entre les pattes des araignées.

    Finir mes jours dans l'une ou l'autre ?

   Loco agite sa canne. Je le rejoins à sa table. Il n'avait en fait rien à me dire de particulier. Je m'en doutais. Mais, comme une espèce de devoir pour Papa, j'accepte de prêter de temps en temps mon oreille à son plus vieux copain d'enfance. Sans l'inquiétude de rater un épisode d'une série rembobinée sans cesse. Comme mes lignes revenant toujours au même point d'interrogation. Radoter pour rester dans la course ? Une petite folie nécessaire pour ne pas devenir complètement barge ? Chaque rencontre avec Loco me replonge dans d'étranges questionnements. «Remets-moi un p'tit dernier pour la déroute. Et un autre thé pour la P'tite.» Je sursaute. «Non, non. Pas pour moi, j'y vais.» Il me dévisage de ses yeux délavés par les années trempées dans le rosé. Ou l'inverse. Je sens qu'il va bientôt se prendre pour une loco de bar. «Reprends-toi un thé la p'tite. T'es pas bien avec tonton Loco et tous les amis et ennemis.» Je me lève et l'embrasse sur le front. «T'inquiète pas, on va le ramener notre Loco au dépôt.» Le patron me fait un clin d’œil. Je sais que Loco est entre de bonnes mains. Comme tous les fatigués et fatigants qui échouent entre ces murs suspendus à un tracé de bureau d'études en urbanisme. Même sort que l'épicerie de nuit en face ? Elle a déjà perdu «it» sur son store.

    Je file à mon rendez-vous quotidien. Voyage en vélo du troisième âge à la primaire. J'ai rencontré ce p'tit gars l'année dernière. À la sortie de son école. Celle où j’insistais pour que Papa m'inscrive. «Faut que tu retournes chez ta mère. Me dis pas que t'as pas de copines et de copains là-haut. En plus t'es plus près des studios de cinéma.» Depuis mon installation, j'ai pris l'habitude de regarder la sortie des classes. Un moment très agréable. Visiblement pas pour lui. Sans doute loin d'être le seul dans son cas. Mais lui, à peine hors de l'école, il affichait une mine déçue. Rentrant avec les yeux rasant le pavé. Un jour, je lui ai tendu un pain aux raisins. Il a secoué la tête. Je te connais pas, toi. Et j'aime pas ça.» Il avait remonté l'avenue. Seul comme tous les soirs. Le lendemain, je suis revenue avec un pain au chocolat. Il l'a pris et s'est éloigné. Je l'ai rattrapé. «J'habite dans le quartier. On peut marcher un peu ensemble.» Il avait haussé les épaules. «J'attache mon vélo et j'arrive.» Depuis il ne sort plus avec la même tête. Je l'accompagne jusqu'à un angle de rue et le regarde rentrer chez lui. Il me raconte sa journée, ses joies et peines. On se marre pas mal. Surtout quand je fais la pitre en changeant de voix. Mère quelques minutes par jour.

   Une maman toujours très en avance. Un homme d'une quarantaine d'années me dévisage. Je ne crois pas l'avoir déjà vu devant l'école. Après une hésitation, il s'approche de moi. «On ne s'est jamais rencontré Madame, mais... Je suis le Papa de... C'est mon fils que vous raccompagnez chaque soir.» En effet un air de famille. «Il ne sait pas que je sais pour vous deux. Je l'ai entendu en parler à un de ses copains au téléphone. Pas d'inquiétude, je... Ma femme n'est pas au courant non plus. Après tout, c'est son p'tit secret à lui. Je tiens à vous remercier de ce que vous faîtes et...». Il danse d'un pied sur l'autre. «Je ne viens pas vous dire d'arrêter. Au contraire. Il a l'air si content depuis que... Ma femme, en fait mon ex, me dit qu'il ne rentre plus avec une tronche de six pieds de long.» La sonnerie interrompt ses explications. «Il va sortir. Je vous laisse avec votre fils.» Il secoue la tête. «Non, restez. Vous savez sa mère est très occupée, moi aussi et... Bref, je vais pas vous faire un dessin. Je suis passé à la boulangerie et j'ai ouvert un compte à mon nom. Dorénavant c'est moi qui paye sa chocolatine. Et ce que vous voulez pour vous.» Il consulte sa montre. «Désolé mais faut que je parte en rendez-vous pro.» Ce type est profondément sincère. Une sincérité noyée dans la connerie. Je lui tends le pain au chocolat. «Votre rendez-vous urgent va sortir.» Je traverse très vite pour que le gamin ne me voit pas. Me planquant derrière l'abri-bus. Son sourire s'efface quand il pose les yeux sur ma place habituelle. Je me sens soudain nulle. Quelle sera sa réaction ? Il hausse les épaules et prend le chemin de sa maison. Quelle idiote je suis. Pas tant que ça finalement : le père et le fils rentrent ensemble. Je souris.

    Faut pas qu'il me le vole tous les soirs.

NB: Cette fiction écrite sur une sollicitation de Trois‿a entremêle les vies de plusieurs personnages avec pour toile de fond un quartier en voie de transformation urbaine et sociale. La nouvelle sera publiée en version intégrale en juin 2019, sous la forme d'un livre dont la conception graphique est confiée à Rovo  et dont la publication donnera lieu à une programmation de lectures publiques dans le quartier Bonnefoy, à Toulouse. D'autres extraits de cette nouvelle seront ponctuellement publiés via la page Facebook de Trois‿a.

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