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Billet de blog 30 janvier 2025

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Le fond de l'air est quérulent

Notre jeune siècle est très susceptible. Décortiquant chaque mot pour savoir s'il ne pense pas mal. Contraignant souvent l’autre à se justifier. Que faire pour sortir de ce siècle de suspicion généralisée ? La vie est trop courte pour la vivre comme un contrôle de police permanent. Un flicage planétaire. Comment faire cohabiter nos solitudes sur la même piste de danse en orbite ?

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Illustration 1
© Photo: Marianne A

« Il est vrai que je suis doué d’une sensibilité absurde ; ce qui érafle les autres me déchire. »

Gustave Flaubert

 « Quérulent - Nom commun. Qui manifeste une propension excessive à contester, revendiquer ou protester de manière incessante, souvent sans justification suffisante ou en exagérant l'importance du préjudice subi, réel ou supposé.»

   Merci à Christian Creseveur pour le verbe du jour

          Notre jeune siècle est très susceptible. Décortiquant chaque mot pour savoir s'il ne pense pas mal. Contraignant souvent l’autre à se justifier ; prouver qu’il est de la « bonne tendance en cours ». Ma souffrance pèse plus lourd que la tienne. Non, c’est la mienne qui est prioritaire sur l’échelle de la souffrance. Un siècle qui pousse à toujours vouloir identifier et étiqueter l’autre. Dans le camp du bien (le sien et de son entre-soi) ou le camp du mal (celles et ceux qui ne pensent pas comme moi et nous) ? Nul besoin de police : chaque être flique l’autre et se flique lui-même. Double casquette : contrôlant et contrôlé. Sans oublier celle de juge et de procureur. Et une grande vogue de la pensée en meute ; on sait où elle nous a menés au cours de l’histoire. Un siècle où les échanges deviennent très problématiques. Avec verrous sous la peau blindée. Que faire pour sortir de ce siècle de suspicion généralisée ? La vie est trop courte pour la vivre comme un contrôle de police permanent. Un flicage planétaire. Comment faire cohabiter nos solitudes sur la même piste de danse en orbite ?

         Avec bien sûr la danse de son choix sur le dancefloor.  Plusieurs valeurs me semblent essentielles pour vivre avec les autres. Au moins pour une coexistence du mieux possible. Sans être obligés de s’aimer les uns les autres. Ni de se haïr. Fort heureusement, la majorité partage les mêmes valeurs. Dont celle de s’efforcer de ne pas blesser l’autre. Respecter la différence de ses voisins-voisines (et autres genres) de planète. Ce qui me semble un minimum pour tout être peuplé d’un cœur et d’un cerveau. Même si des semblables ont tenu à dédier leur grande intelligence à la destruction des humains et de la planète. Sans doute que leur cerveau destructeur est déconnecté du cœur. La bonne nouvelle est qu’ ils ne sont qu’une minorité. Mais redoutable quand elle détient les rênes du monde. Ce qui est le cas aujourd’hui. Détenant des armes de destru-communication massive. Une minorité envoyant une foule de petites mains – avec des cerveaux et cœurs aux abonnes absents- pour massacrer de l’autre. Pas n’importe qui. La cible qu’on leur a désignée d’un doigt numérique. Qui à détruire ? Souvent un autre pas comme soi et nous.

      Comment ne pas blesser ses contemporains ? Un sacré défi. Comme sans doute beaucoup d'autres, je ne s’y suis pas toujours parvenu. Blessant volontairement ou sans intention de vouloir blesser. Mais le résultat est identique. Une blessure avec des mots n’est pas si grave ? Demandez à l’être blessée. Que lui qui peut répondre sur la gravité. Les blessures avec des mots ne sont pas à négliger. Même si elles laissent rarement des traces visibles. Une parole peut détruire une histoire. Certains de mes « sales propos «  ne s’effaceront pas. Imprimés sous tel ou tel crâne. Les humiliés ont souvent une meilleure mémoire que les humiliateurs. Quoi qu’il en soit, les moments de joie et de conneries humaines ont un point en commun : pas de touche retour pour les revisiter. Dans tous les cas, cette part sombre constitue ma géographie intime. Et il m’arrive encore de blesser. Sans la volonté délibérée de blesser.

         Plus vigilant aujourd’hui sur ma parole. Pourquoi ? Dans le but de ménager les susceptibilités ; elles me semblent de plus en plus exacerbées de nos jours. Ce qui me pousse à être attentif  - plus qu'il y a une dizaines d'années- à ne pas blesser.  Conscient que désormais le moindre mot peut devenir une grenade dégoupillée dans l’histoire de l’autre. Employer tel terme au lieu d’un autre est susceptible de générer un conflit à table ou ailleurs. On avance dans une conversation comme sur un terrain miné. Se méfiant de chaque parole et silence. Les blessures sans intention de blesser sont plaies courantes. Ce n’est pas nouveau ? Certes, mais notre jeune siècle me paraît plus chargés en susceptibilités. Elles se constatent dans de nombreux domaines. Voilà pourquoi j’ai rajouté quelques outils à ma boîte : précautions d’usage de l’autre. Dans quel but ? Pour éviter des blessures inutiles. Même si bien sûr, elles sont inévitables. Notre parole n'est pas que miel et poésie.

      Ma vigilance surtout dans le domaine de l’humour. Même si j’ai pris depuis longtemps l’habitude de rire de tout ; pas avec tout le monde. Les vannes de comptoirs avec certains potes et les rares potesses présentes ne sont pas livrables partout. Comme par exemple dans certains repas de famille. Pas la même ambiance qu'au comptoir.  Toutefois on se marre beaucoup à table avec mes deux gosses : beaucoup de dérision et d'auto-dérision au menu. Contrairement à certains copains et copines contraints de s’adapter à la rigidité et au premier degré de leur progéniture. Pas uniquement en famille où je fais gaffe. Aucune livraison de certaines vannes avec tels ou tels amis. Ce qui me paraît normal en termes d’amitié. Surtout quand on sait que tel genre d’humour ne passera pas. De plus pas un grand effort de s’en passer. Réserver cet humour - Persona non grata dans certains espaces - pour d’autres lieux. Suffit de quelques cloisonnements. Et d’un minimum d’attention à l’autre. Faire travailler son muscle empathie.

         S’adapter sans se renier. Ni rire et penser au pas. Les précautions d’usage de l’autre dont la volonté de ne pas blesser ont leurs limites. Comme celle de ne pas s’écraser face aux arbitres des élégances. A quoi les reconnaît-on ?  Des femmes et des hommes - et autres genres) délivrant des diplômes de bon rire et de bonne pensée. À quoi les reconnaît -on ? Ils et elles savent ce qui est bon ou mauvais. Prêts à vous transmettre le bon rire - le leur - et la bonne pensée - la leur - en kit. Jusqu'à construire votre culture et bonheur sans vous demander l'autorisation. Dès qu’ils s’approchent, ma chair libertaire ( pas libertarienne) hérisse tout son poil. Pour les attaquer ? Non.  Ni chercher à les changer. Peu importe comment ils pensent, rient, baisent, mangent… C’est leur histoire, respectable. Tant qu’ils ne se lancent pas dans le prosélytisme. Ce que font certains de ces arbitres des élégances et du flicage de l'autre. Tels des missionnaires du nouveau monde. Sans habits religieux. Mais en mission. Pour l’évangélisation des « sauvages du vieux monde » ?

       Les temps changent. Et de tout temps. Des changements  qui font évoluer le monde. Et tant mieux. On ne peut que s’en féliciter. Surtout si ces changements apportent plus de progrès aux humains. Comme c’est le cas depuis le début de l’humanité. Celles et ceux - souvent des chairs vieux monde - crachant sur les progrès en cours et à venir ont bénéficié des précédents. Notamment la libération des mœurs et de la culture. Des avancées qui leur ont permis de s’extraire du carcan d’un monde momifié. Et très heureux à 70 ou 80 printemps de pouvoir se promener sur la toile avec leur smartphone. Des chairs vieux monde qui se sont rebellées. Un printemps ou l'un des mots d’ordre était d'interdire d'interdire. Balançant des pavés au CRS. Et dans la face du vieux monde de leur jeunesse.

       Rien de plus naturel que les nouvelles générations en fassent de même. Pour déboulonner notre vieux Monde. Et venir nous bousculer sur nos plates-bandes de certitudes. Voire nous culpabiliser de leur laisser un monde en piteux état. Que leur diront les prochaines générations venant les déboulonner ? Vous nous laissez une planète encore pire que celle que vos aînés vont ont transmise ? C’est une autre histoire. Et laissons leur temps d’essayer de la changer ce putain de monde. Peut-être qu’ils réussiront à le rendre moins pire. Voire à le bonifier. En espérant qu’ils ne reproduiront pas le vieux monde, avec de nouveaux masques de pouvoir. Mais c’est leur affaire. Et aussi la nôtre. Si on peut les aider. Et nous aussi dans la foulée. S’aider toutes générations confondues. Dans quel but. Essayer d’ y voir plus clair.

     Sans jouer les donneurs de leçons. Un vrai travail contre soi pour ne pas basculer dans le récurrent : c’était mieux avant. Circulez, il n’y a plus rien à vivre, à expérimenter, à inventer, etc. Même les échecs d’avant étaient mieux. Pas meilleure façon de plomber le présent de la jeunesse en lui annonçant qu’elle devra se contenter d’un « possible pas mal ». Le mieux ayant été préempté par la génération précédente. Le réflexe que nous avons tous plus ou moins de considérer notre jeunesse comme la première merveille du monde. D'autant plus qu'elle s'éloigne. Même si on a les yeux rivés dans le rétro. Pendant que d’autres vivent leur jeunesse. C’est toujours mieux pendant.

          Notre jeune siècle est donc très susceptible. Mais, cerise sur la susceptibilité, il est très obscur. Une obscurité sans frontières. Avec de grands spécialistes - de tout bord - pour alimenter la machine à confusion. Un travail sur la foule et l’intime. Le brouillard flotte même dans nos cerveaux et autour de nos cœurs. Pas facile du tout d’essayer d'y voir plus clair. Une gageure dans un tel brouillard et confusion. Devoir tous et toutes changer de lunettes ? Ça ne changerait rien à la réalité. Si ce n’est de voir encore mieux sa part sombre. Tous et toutes changer de regard ? Plus facile de pousser la porte d’un opticien. Que faire face à cette obscurité contemporaine ? Chacun et chacune a sa réponse. Et  tentative de solution.

         Pour ma part, j’en ai une. Certes pas une solution idéale. Voire même extrêmement égoïste. Mais elle peut parfois dépanner. Surtout quand la fatigue du monde et des contemporains se fait plus intense. Avec le besoin d'une petite pause. S'extraire du sac de huit milliards de nœuds en orbite. Dialoguer avec son silence. Déconnecté de la confusion ambiante. Un luxe ? Sans aucun doute. Mais s’en priver ne changera rien à la noirceur ambiante. Demain, sans doute une autre solution. Aux antipodes de celle qui vient de m'arriver par mail. Un verbe découvert aujourd'hui.

        Latibuler.

NB : « Latibuler » est un verbe qui signifie se cacher dans un coin pour échapper à la réalité. Rester dans sa planque jusqu'à ce que les conditions s'améliorent.

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