"Nous aussi nous aimons la vie" Mahmoud Darwich
À peine sortis du ventre maternel, tous les humains sont en exil. Beaucoup ne le savent pas. Le poète cherche peut-être à rappeler à chacun la perte de sa première demeure. Même dans leur maison natale, entourés de proches, les poètes porteront toujours les stigmates de l'expulsion originelle et du frottement au monde. Que dire de ceux qui, en plus de l'exil intérieur, sont contraints de remplir à la hâte un sac et franchir les frontières ? Se perdre ailleurs.
Mahmoud Darwich fait partie de ceux-là : double exil. Mais aussi grandes joies. Malgré la douleur, il s'efforce de saluer les offrandes quotidiennes de la nature, l'amitié, l'amour, la musique, et ce verre de vin qui, si on se penche légèrement, peut devenir un miroir éphémère. Un second cœur a germé dans sa poitrine. Moitié tumeur, moitié diamant.
J'imagine le poète en exil pensant de loin en loin, les yeux posés sur la voûte céleste, que les patries ne sont que des châteaux de sable au regard de l'univers. Mais il sait aussi que priver certains hommes d'une patrie les confine au vent de l'oubli. Et interdit le repos éternel dans sa terre.
Ses textes apportent des réponses, éclairent sur ses engagements politiques et ses émotions, mais les mots ne peuvent pas tout dire; le silence et la solitude conserveront de nombreux secrets de Mahmoud Darwich. La force de sa poésie réside sans doute dans cette infinie pudeur, une pudeur tour à tour violente et chargée d'un désespoir constructif.
Des années durant, de Ramallah à Houston, il a circulé avec une boussole aux aiguilles en forme de point d’interrogation. Nourri de certitudes et de doutes. Perdu sans jamais perdre.
Être sans frontières, il voulait un État palestinien avec de vraies frontières. Un état tour à tour poing levé et main tendue. Un territoire pour assécher enfin le manque d'une nation, juste un lieu offrant la possibilité de le quitter et voyager : un exil volontaire cette fois. Enfin pouvoir souffler et habiter un poème :
« Combien de temps a-t-il fallu pour créer tout cela ? Le parfum du pain frais me parvient, je regarde ma montre, et je reviens d'un temps immémorial à une vie qui commence ».
Apprécié des palestiniens et des israéliens, détesté des israéliens et des palestiniens, Mahmoud Darwich restera une pépite dans la boue et le sang de l'Histoire.
La tumeur invisible a finalement gagné. Les hommages ont aussitôt plu sur toute la planète pour saluer le départ d'un immense poète. Mais l'autre partie de son cœur, le diamant, ne pourra être racheté par les receleurs officiels qui décernent les prix, accrochent des médailles aux revers des vestons. Trop cher pour être mis en vitrine.
Et ce diamant bat aujourd'hui dans la poitrine d'un gosse qui court sur la terre. Une course à perpétuité. « Et la terre se transmet comme la langue ».
Ce texte est une préface à l'un des spectacles de Double Exil