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Billet de blog 30 avril 2025

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Nos chères Frances

France famille nombreuse. On aimerait la faire rimer avec heureuse. Mais pas le cas en ce moment. Comme à d’autres moments de votre histoire, Chère France. Ça n’a pas toujours été la vie en rose sous le ciel d’ici. Mais un pays ne se résume pas à la somme de ses souffrances. Comme n’importe quelle autre chair vivante. Nombreuses et joyeuses sont les autres France. Pays de chair et de rêves?

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Illustration 1
CARTE SCOLAIRE ÉCOLE VIDAL LABLACHE

               France famille nombreuse. On aimerait la faire rimer avec heureuse. Mais pas le cas en ce moment. Comme à d’autres moments de votre histoire, Chère France. Ça n’a pas toujours été la vie en rose sous le ciel d’ici. Notamment quand le siècle dernier fêtait ses quatorze ans dans les tranchées, ses quarante sous la nuit nazie tombée sur l’Europe, etc. C’était une France meurtrie. Dévastée par des années d’horreurs. Elle venait de s’extraire de la nuit tueuse d’êtres et d’aube. Pourtant à peine libérée, la même France qui blessait ses colonies. Et, qui aujourd’hui, n’est pas très heureuse non plus au XXIe siècle. Mais un pays ne se résume pas à la somme de ses souffrances. Comme n’importe quelle autre chair vivante.

        Nombreuses et joyeuses sont les autres France. Celles d’hier et d’aujourd’hui. France rimant avec enfance. Une rime qui s’est chanté de génération en génération. Le pays d’un gosse, petite fille ou garçon né ici ou ailleurs, qui joue dans les squares et dans les rues de ses premiers pas. Concentrée dans sa tâche de l’instant. On peut lire à travers son regard qu’il n’habite pas entièrement en France. Même avec sa photo sur une pièce d’identité estampillée République. Une part de lui se trouve ailleurs. Hors de toute identité civile. Une part de son être a élu domicile dans ses rêves de gosse. Univers unique entre ses paupières. Plus d’ici ou d’ailleurs. En son enfance.

        Quelle est la couleur de ses rêves ? Seul ce gosse connaît la palette disponible sous sa peau. Chaque couleur est une de ses humeurs. Il peint avec sa joie, sa tristesse, sa colère, ses chagrins, ses silences, ses sourires, ses rires, sa présence au monde, ses absences, etc. Quelle est la religion de ses rêves ? Son dieu, s’il en a un, ne devrait être qu’à lui. Et à personne d’autre. Excepté s’il veut le partager avec d’autres, dans tel ou tel lieu de culte. En réalité, nombre de gosses priaient des divinités collées au mur de leur chambre : footballeur en pleine action, homme ou femme avec un micro à la main, star devant une caméra, quelques révolutionnaires, etc. Très rares un poster d’écrivain sur les murs de la jeunesse, excepté l’homme aux semelles de vent. Désormais, les divinités sont épinglées sur écran.

          Les rêves ont-ils une identité ? Sans doute. Tout est identifiable. Même l’oiseau qui traverse le ciel ou la rose dans sa robe effeuillée par le vent. Rien de gênant à porter un nom. Même le vide est nommé. Mais seuls les humains détournent des identités pour les transformer en murs et en frontières. Assignant l’autre à devoir montrer patte blanche, noire, jaune, raciste, racisé, juif, antisémite, musulman, islamophobe, hétéro, LGBT, laïque, religieux, iste d’un bord ou de l’autre, etc. Que de cartes de visite en guise de preuve de ceci ou de cela. Dis-moi quel est ta story et je te dirai si elle est compatible avec ma story. De moins en moins le plaisir de pouvoir montrer patte silence ou aucune patte. De plus en plus, nos conversations ou rencontres avec nos contemporains ressemblent à un contrôle de flics. Chaque individu tour à tour dans le rôle du fliqué, du flic, voire du juge. Toutefois, un élément toujours positif en notre ère d’étiquettes et de raccourcis. Personne ne peut contrôler l’identité d’un rêve.

        Ni empêcher notre chère France d’être millions de chairs. Tous les individus comptabilisés par la démographie. Les 70 millions de France habitant le pays. Mais aussi tous les êtres de passage. Sans oublier tous les habitants et habitantes de notre chair langue toujours vivante. Tout ce qui fait qu’on ne peut faire une capture d’écran de ce pays. Ce que certains et certaines aimeraient faire. Avec leur désir de figer France à un moment de son histoire. Qu’elle ne bouge plus pour la photo de famille - évidemment remaniée pour effacer certains visages pas assez couleur camembert (comme les noirs libérateurs de France ayant été effacés du défilé de la Libération de Paris). Qui sont ces « faut que rien ne bouge » ? Des gens qui, par trouille ou inconscience, voudraient enfermer leur pays. Jusqu'à l’empêcher de toujours s'épanouir. Préférant instaurer une France momie.

           Loin d’être le cas. Suffit de marcher dans les villes et dans les villages. Poser le coude sur un comptoir ou s’asseoir en terrasse, puis un demi ou un thé à la main, regarder passer les corps de semblables avec leur histoire unique. Chaque être est un paysage. Certains nous ressemblent, d’autres pas. Des corps nous plaisent. Contrairement à d’autres que nous trouvons moches. Un plaisir et enrichissement pour le regard que tous ces paysages mobiles. Nulle obligation de tous les aimer, ni de les haïr. Juste d’accepter que toutes ces chairs France puissent aller et venir. Vivre ici.  Une existence dans le respect ou non des lois de la République ? Une question à adresser en priorité à la minorité irrespectueuse. Laquelle ?

        Une minorité avec plusieurs étages. Tout en bas, il y a les qualifiés de « cailleras ». Qui sont-ils ? Des emmerdeurs de proximité de la majorité, dans leur quartier en commun. Malgré leur nombre réduit, ils ont une sacrée couverture médiatique. Beaucoup plus que d’autres de la même minorité. Des cailleras aussi ? Oui, mais des étages supérieurs. Ils sont plus discrets. Et leurs vols bien protégés. À ces étages, nous n’avons pas affaire à des gagne-petit. Jamais de vulgaires deals de coin de rue ou de l’arrache portable ou sac à main. Du vol de haut vol. Rien à voir avec les volées de moineaux urbains. L’envergure des ailes est différente. Des rapaces évoluant au-dessus des beaux quartiers. Quelques fois, leur espace de vol est limité. On les voit tournoyer. Des rapaces en col blanc avec bracelet aux serres.

           Cailleras d’en bas et haut du panier. On peut ne pas les apprécier, voire les détester. Néanmoins, eux aussi sont des chairs France. Faut de tout pour faire un pays. Même si ça nous gêne. Imaginez un pays où l’on écouterait que France Culture ou que Europe 1. Imaginez un pays ou l’on ne lirait que Mediapart ou que Valeurs actuelles. Imaginez un pays où l’on ne regarderait qu'Arte ou que CNEWS. Imaginez un pays avec que des gens bien ou que des pourris. Imaginez un pays où il n’y aurait que des pour ou que des contre. Qu’est-ce qu’on s’emmerderait. En plus, il faudrait supprimer deux mots du dictionnaire de la langue française. Exit Démocratie et République. Fort heureusement, nous en sommes loin. Toutefois, restons vigilant. Depuis quelque temps, certains sont en train d’imaginer pour nous. Et sans nous. Et quel genre de pays en gestation dans leur imaginaire ?

         Une chair France divisée. En établissant une hiérarchie des bons et des mauvais habitant et habitantes. Selon la patte qu’il présente. Nouveau ce genre d’imaginaire d’un ordre nouveau ? Pas du tout. C'est une photocopie du passé. Quand quelques-uns se mettaient à imaginer le meilleur des mondes vus de leur miroir. Avec une basse et haute humanité. Une minorité a repris le flambeau de cette hiérarchisation. En France et partout sur la planète. Une minorité issue de la religion la plus puissante du monde : l’ultralibéralisme. Avec des lieux de culte partout sur la surface du globe. Les religions monothéistes du livre ne pèsent pas lourd face au grand livre de comptes. Une minorité avec un imaginaire dominant. Très actif. Pour nous créer un chair monde déchiré. Avec accélération de la fin de notre espèce.

         Toutefois, ce genre d’ imaginaire est limité. Certes efficace, mais il s’essouffle vite. Incapable de proposer d’autres perspectives que marcher et penser au pas, consommer, encore consommer, toujours plus, etc. Mais après avoir cédé aux sirènes, la majorité finit toujours par sortir de l’anesthésie. Pour se rendre compte que le grand boulevard proposé s’est transformé en une impasse. Dans laquelle on se sent à l’étroit. On ne veut pas de cette putain de vie sans vie. L’autre, même si ce n’est pas un ami, n’est pas non plus un ennemi. On ne veut plus de toujours plus pour respirer moins. Au début, quelques voix à se manifester. Sans doute réprimées. Puis une foule de voix. Que veut cette majorité sortie de l’anesthésie ? Un changement d’imaginaire.

        Faut pas rêver. Pourquoi ? Parce que tout est foutu. Pourquoi tout est foutu ? C’est comme ça. Mais si on… Non, c’est foutu  de chez foutu : notre monde est en phase terminale. De plus en plus souvent, le genre de réaction à des propositions de changement. Jeter la pierre à celles et ceux qui réagissent de la sorte ? Ça ne changerait rien. Et en plus, pour ma part, ce serait indécent ; je fais partie en effet de la masse résignée. Me contentant du chantier de mon histoire passagère. De temps en temps, je secoue ma gangue de tout est foutu. Cessant de penser que la bouteille est à moitié… brisée. Pour me remettre à rêver. Et à plein temps. Pourquoi faut rêver ?

           Parce que c’est foutu. Puisque tout est perdu, autant gagner la rive des changeurs d’imaginaires. Du côté des vivants ne voulant pas quitter la table en ne laissant que des miettes de désespoir. Avec juste de quoi désespérer encore un peu. L’élégance serait d’au moins laisser de quoi nourrir de nouveaux rêves. Et peut-être que les nouveaux convives réussiront là où notre génération, les générations précédentes, nous avons échoué. Entre autres la réussite de partager équitablement les ressources sur la table planétaire. Laisser dans son sillage un cauchemar réaliste ou un rêve impossible ? Chaque convive fera comme il veut ou peut. Huit milliards autour de la même table. Dont une partie se trouve en France.

        Dans un pays réputé pour sa gastronomie. Et une grande variété de produits. Avec donc possibilité de bons menus de toute sorte. Certains et certaines veulent nous refourguer de mauvais plats. Pour pouvoir faire marcher leur restaurant à divisions. Sans se soucier du risque d’une intoxication nationale. Pourquoi « ingurgiter de mauvais plats repassés par l’histoire » alors que ce pays en a tant à nous proposer ? Et en plus une nourriture digeste pour l’estomac national. Les mauvais plats très présents sur la carte de nos France ? C’est la réalité. Mais à nous d’imaginer un nouveau menu. Avec un grand choix de plats. Dont un délicieux.

          Nos Frances sauce poésie.

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