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Mouloud Akkouche

Auteur de romans, nouvelles, pièces radiophoniques, animateur d'ateliers d'écriture...

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Billet de blog 30 mai 2025

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Billet d'absence

Terminus blog. Ce billet est le dernier. Des années de course de doigts sur le clavier. Une activité quotidienne très agréable et enrichissante. Voici l'ultime fruit de « L’arbre à gammes ». Après dix printemps. Une sorte d’arbre musical. Pour une petite musique sur la toile. Une belle aventure qui prend fin.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
© Photo: Marianne A

              Terminus blog. Ce billet est le dernier. Un blog ouvert depuis une décennie. Des années de course de doigts sur le clavier. Une activité quotidienne très intéressante sur de nombreux plans. Continuer a-t-il encore du sens ? Une question que je me pose depuis des semaines. Ce billet sans retour est la réponse. Pour mettre un point final.  S'éviter de verser dans le ronronnement sentencieux, devenir le caméléon de sa propre pensée, se croire autre qu'une chair mortelle et passagère, perdre la capacité de penser contre soi , oublier de rire de ses travers… Une liste non exhaustive de ce que notre ego peut nous cacher.   C'est donc le temps de rendre les clefs. 

          Certes pas mon « premier dernier billet ». J’en vois qui se marrent. Et à juste titre. Fort heureusement que le ridicule ne tue pas, sinon nous serions très nombreux au registre des disparus. Dont des donneurs et donneuses de leçons de morale - surtout applicable pour les oreilles à l'écoute. Ça continue de se marrer au fond. Peut-être même à préparer le commentaire assassin. Rien de plus normal quand on tend le bâton numérique.

          Quelle différence avec les deux précédent départs ? Cette fois, vous ne subirez pas le coup de l’énième retour pathétique. La scène du pourquoi je change d’avis, avec force explications alambiquées. Sûrement sur mon ardoise, d’autres sessions de petit et grand ridicule. Mais pas celle du retour sur ce blog. C’est bel et bien la der des der des digressions, ici. Réellement le dernier fruit de «L’arbre à gammes». Après une longue production au rythme quasiment journalier. Des textes déclinés au fil des flux et reflux de l’actualité. Une petite musique sur la toile. Et ça se marre encore...

          Ne rien dire et partir à la cloche de bois numérique ? Peut-être que cela aurait été une meilleure solution. Suffisait de ne plus alimenter le blog, sans prévenir de sa fermeture. Se tirer sans donner la moindre explication du départ. Peut-être idiot mais j’aurais eu l’impression de trahir votre confiance à vous: les internautes ayant fréquenté cet espace. Et de ne pas être à la hauteur des relations établies au long cours. Même si ce n’est que virtuel, fugitif, on a passé du temps ensemble. Entre écriture et lecture. Des moments qui, pour ma part, ne sont pas du «temps kleenex». Il en restera quelque chose. Comme lors de tous les échanges, sur la toile et hors écran. Chaque rencontre, agréable ou non, est inscrite sur le papier peint de son histoire. Et de mon côté, il restera surtout du positif de ce qui s’est déroulé à travers ce blog. Une  belle aventure qui prend fin ce jour.

         Ce blog a été une sorte de «  jardin du regard ». En toutes saisons, sur ma parcelle cultivée avec 26 lettres et quelques autres signes sur le clavier. Sans cesse, les vents de l’actu déposaient des bribes du monde à domicile. Je n’avais qu’à me servir. Pour choisir ce qui pourrait faire l’objet d’un texte. Rares les jours ou les nuits sans matière à écrire. Parfois deux billets - sans doute trop - en une journée. Écrivant comme des musiciens font leurs gammes. Chaque jour remettre les mains sur l’instrument. Très agréable de pianoter au quotidien. Il est sûr que cet «exercice » me manquera. Comme pour d’autres de ne plus aller « à la salle », courir, nager, danser… Le corps avait pris l’habitude de ce rendez-vous journalier. Face écran et fenêtre.

             Mais reste l’essentiel : l’écriture. Surtout la fiction et le poème. Écrivain c’est pas un métier. La remarque d’un copain de collège quand je lui avais parlé de mon rêve. Quel con, m’étais-je dit. Avec le recul, il s’avère que c’est lui qui avait raison. Écrivain ce n’est pas un métier, c’est une vie. Comme la peinture, le cinéma, la danse, le théâtre, et d'autres arts. Sûr que ça peut paraître pompeux, de la branlette de nombril, mais c’est la réalité. Se plaindre ?  Personne ne contraint qui que ce soit à écrire.  Contrairement à d’autres n’ayant pas le choix de leur histoire. Confinés dans une gestuelle mécanique pour remplir le frigo. Bouffer d'abord, payer le loyer, éduquer ses gosses ... Et comme écrivait Paul Verlaine: tout le reste est littérature.

       Une écriture donc consentante. Et pour ma part, c'est une belle vie. Très heureux de  pouvoir continuer le chantier d'écriture.  Même si c'est rythmé par le doute et l’insatisfaction comme  nombre d'auteurs et d'autrices.  Souvent avec l'objectif « beckettien » : rater encore, mieux. Consacrer la majeure partie de son temps à écrire est un grand privilège.  Je suis conscient de cette chance au quotidienne. En plus, un travail qui est beaucoup plus confortable ici, que sous d'autres latitudes. Pas du tout les mêmes conditions d’écriture partout. Les mots ne pèsent pas le même poids d'urgence sur la balance du monde. Suivez nos regards impuissants... Certains textes sont amputés d'un bras. Et des poèmes ponctués par la musique des missiles.

         Revenons  à la fermeture de ce blog. Merci aux internautes ayant suivi une décennie de textes rédigés au fil des nouvelles du monde. Un échange avec vous à distance à travers ce carrefour d’expression qu’est Mediapart. Évoquer le site hébergeur ? Indéniable que c’est un journal qui a du sens. Avec le boulot de fond d’une équipe de vrais pros. Même des amis détestant Mediapart le reconnaissent. Un canard - enchaîné à aucun milliardaire - ne s’écrasant pas devant les puissants quels qu’ils soient. La preuve par ses enquêtes - vrai travail de journalisme - ayant conduit à des déboulonnages avec bracelet aux mollets de statues se croyant hors d’atteinte. Comme d’autres organes de presse, c'est un journal nécessaire dans le kiosque virtuel de la toile. Notamment parce qu'ils dérangent pas mal de certitudes dominantes. Toutefois, des bémols dans le bouquet de lauriers tressés à l’instant. J’ai des désaccords  avec certains angles de vue de la rédaction de Mediapart. Lesquelles ? Mes critiques déjà formulées dans plusieurs billets.

         Que rajouter  ? Sans doute que, après avoir posté ce dernier billet, je vais me refaire le match : pourquoi tu as écrit ça comme ci, pas le bon mot, pourquoi tu n’as pas évoqué tel ou tel sujet,  un texte parti dans tous les sens, trop ou pas assez dit, trop sérieux, tu as oublié de glisser de l'autodérision, etc. Sûrement que ce texte de clôture sera lacunaire. Autrement dit imparfait. Mais sincère. Comme j’ai essayé de l’être avec tous les autres billets. Sûrement souvent maladroits, de guingois, mais, j’espère, le moins possible malhonnête intellectuellement. Ce n'est pas toujours facile de résister à sa part de mauvaise foi, son ego, ses contradictions, etc. Rien de nouveau sous le ciel de nos imperfections. Que du banalement humain.

           Bon;  l’état des lieux est terminé. Il va falloir rendre les clefs de la location. Avant de m'effacer, je tenais juste à vous remercier une nouvelle fois. Pour vos lectures, commentaires, et échanges. C’est redit. N'en jetons plus...

           Bonne continuation  à chaque internaute.

           En guise de conclusion, la parole d'un très grand poète. Distillant sa poésie, sans fioritures. Une simplicité qui sait dire l’indicible. Et traduire la beauté de l’éphémère.

Chaque texte, chaque mot change


Chaque texte, chaque mot change
selon les heures et les angles du jour et de la
nuit,
selon la transparence des yeux qui les lisent
ou le niveau des marées de la mort.
Ton nom n’est pas le même,
ma parole n’est pas la même
avant et après la rencontre
avant et après avoir repensé
que demain nous ne serons plus.
Toute chose est différente
regardée de jour ou de nuit,
mais ils deviennent plus différents encore
les mots qu’écrivent les hommes
et les mots que n’écrivent pas les dieux.
Et il n’y a aucune heure,
ni la plus prometteuse, la plus lucide, la plus
impartiale,
ni même l’heure sans quartiers de la mort,
qui puisse équilibrer les reflets,
ajuster les distances
et faire dire aux mêmes mots les mêmes choses.
Chaque texte, chaque forme, qu’on le veuille
ou non,
est le miroir changeant, chatoyant,
de la furtive ambiguïté de la vie.
Rien n’a une seule forme pour toujours.
Même l’éternité n’est pas pour toujours.


Roberto Juarroz

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