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Mouloud Akkouche

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Billet de blog 30 juin 2015

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Lettre d’invitation d’un routier à la patronne de France Inter

Ecrire c’est pas mon truc. Y aura sans doute des fautes et des expressions pas très très bon français. Pas né avec un dico dans la bouche. Et c’est le seul moyen que j'ai pour que vous sachiez ce que je pense.  Pour qui je me prends d'écrire à la patronne de France Inter? Moi le rien du tout qui se permet d'écrire à la directrice d'une radio à Paris. Sans doute ridicule. Trève de blabla; je vous écris parce que vous avez décidez de supprimer la fiction sur France Inter. Pas toute la fiction.  Il y aura des fictions historiques. J’aime bien mais c’est pas la tasse de thé de mes oreilles. Comme on dit, chacun ses goûts.

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Ecrire c’est pas mon truc. Y aura sans doute des fautes et des expressions pas très très bon français. Pas né avec un dico dans la bouche. Et c’est le seul moyen que j'ai pour que vous sachiez ce que je pense.  Pour qui je me prends d'écrire à la patronne de France Inter? Moi le rien du tout qui se permet d'écrire à la directrice d'une radio à Paris. Sans doute ridicule. Trève de blabla; je vous écris parce que vous avez décidez de supprimer la fiction sur France Inter. Pas toute la fiction.  Il y aura des fictions historiques. J’aime bien mais c’est pas la tasse de thé de mes oreilles. Comme on dit, chacun ses goûts.

 Moi ce que j’aime c’est les fictions qui racontent la vie de personnages. Depuis que je suis au volant d’un bahut, je me régale avec ces dramatiques radiophoniques. Moi, j’ai pas connu comme les anciens «  Les maîtres du mystère, signé furax » etc. Et sans doute d’autres émissions. Moi ça a commencé avec les Tréteaux de la nuit jusqu’à Nuits noires.  On m’a dit qu’on pouvait trouver les anciennes pièces radio à l’INA. Peut-être qu’un jour j’irai fouiller.

 En tout ca pour moi, ces pièces c’est mieux que la télé. Sur l’écran noir de mon pare-brise, c’est moi qui me fais les images. Juste avec les voix des personnages et tous les bruitages. Un bruit de chaise, une claque, un baiser, une cafetière, une porte, des pas…. Mon film à moi sur les routes et autoroutes d’Europe. Ces présences dans ma cabine m’ont accompagné durant des années. La magie d’une histoire se  glissant  dans la solitude de ma carcasse de métal. Quel plaisir. Un monde sur le siège passager. 

Comme je vous disais au début de ma bafouille, je suis pas un grand lettré. Les livres lus dans ma vie ?  Je peux les compter sur les doigts de ma main. Et encore parce qu’un maître d’école m’a tanné. Je sais pas pourquoi mais moi j’aime pas lire. C’est comme ça. A part les vieilles BD  comme Zembla, Rahan, Blek le Roc, Capitaine Swing… Ma mère détestait que je lise ces trucs. Elle voulait que je lise de vrais livres. Pour m’instruire et réussir dans ma vie. Obligé de les lire en cachette.

 Faut pas croire que tous les routiers sont incultes comme moi. En plus d’être sympas, y en a qui sont cultivés. Autant que d'autres qu'on entend toujours à la radio ou à la télé. J’en connais deux qui écoutent que France Culture. C’est des vraies tronches. Si eux avaient écrit cette bafouille, elle aurait une autre gueule que la mienne. Et j’ai même un pote routier sur l'international qui, lui, écrit des poèmes. Chaque fois qu’on se croise sur une aire d’autoroute, il nous en lit. Et même une fois on s’est fait une soirée dans un restau où on bouffe souvent. Il a lu ces poèmes. Un gars a sorti sa guitare pour l'accompagner. C’était super.

 Moi, ces dramatiques radio ( classe ces deux mots ensemble ), c’est un peu comme tous ces livres que je lirai jamais. Parois, j’envie certains de mes potes routiers, ou des inconnus, qui sont plongés dans un bouquin. Qu’est-ce que ça doit être bien de rentrer dans un autre monde qu’avec les yeux. Un monde fait uniquement de mots.  Rien qu’avec des phrases et son imagination, un mec ou une nana vous offre clefs en main tout un tas de vie. Des gens qui existent que pour le lecteur. S’il y a un Dieu, je suis sûr qu’il est là-dedans. Lui a, d’après ce qui croit en lui, créé le monde en quelques jours. Les écrivains font ça à chacun de leur bouquin.  Pourquoi je suis pas lecteur? Fainéant ? Idiot ? Parfois, j’ai honte. Mais bon, ça m’empêche pas de dormir.

 Les histoires radio c'est comme des bouquins versés dans l’oreille. Des êtres de chair et d’ondes qui me tenaient chaud. Même si parfois les histoires étaient très sombres.  La vie de gens en direct dans mon bahut. Quand les histoires sont finies, j’essaye d’imaginer la vie de tous ces personnages. Je continue un peu la dramatique radiophonique. Mon écriture à moi.

 Sûr que ça va me manquer. Bien sûr, je pourrais aller sur France Culture. Mais, très sincèrement, à part quelques-unes, leurs dramatiques me plaisent pas trop. Sans doute qu’il me manque un outil dans le cerveau pour tout comprendre. Ca part trop dans tous les sens. Peut-être pas assez intello. Mon pote routier m’engueule quand je dis ça. Moi aussi j’ai pas fait d’études et j’adore ce genre de pièces contemporaines. Pas de diplômes mais je suis un instinctellectuel. Et puis faut savoir sortir de ces habitudes mentales. La curiosité c’est comme la conduite, ça s’apprend. Chaque fois, il m’engueule quand je joue au micromane. C’est lui qui m’a appris le mot. Peut-être qu’il a pas tort ? J’ai un peu la trouille de ce que je connais pas. En tout cas, moi je reste fidèle à France Inter. Mon père, ouvrier chez Peugeot, écoutait que cette radio. Il m’obigeait à écouter Radioscopie de Jacques Chancel. Je comprends presque rien de ce qui dise. Mais je sais que c’est bon pour toi fiston. C’est le daron qui m’a inoculé le virus d’Inter. Et des dramatiques.

 Si vous avez le temps, Madame la directrice, je vous invite à passer quelques jours et nuits dans mon bahut. Bien sûr, en tout bien tout honneur… Je suis marié et infidèle non pratiquant. Trêve de plaisanterie ; vous verrez de près la vie d’un routier dans ces quelques mètres carrés mobile. Pas toujours une vie très rose. Mais moi j'adore mon métier. Il m'a beaucoup appris sur les gens et sur moi. Les routiers , surtout sur les grands trajets, sont des spécialistes de la solitude. Parfois très belle, d'autres fois pas très gaie. La monotonie de la route. Mais pas se plaindre, c'est notre choix. En tout cas,vous sentirez l’importance de la radio. Et de ces fictions compagnes de mes nuits.

 Certains de mes potes de bitume pensent que vous êtes tous des pourris. Loin de la vraie vie. Une connerie de parler de vraie vie. Comme s’il y avait des fausses vies. Moi, je suis pas tout à fait d’accord avec eux. Chez vous, dans les hautes sphères comme à Radio France, il y a la même proportion de pourris que chez les routiers et dans d’autres professions.  Mais, faut reconnaître quand même, que souvent vous parlez de gens et décidez à leur place sans les connaître. Tout le monde n’est pas doué d’empathie – un autre mot appris par mon pote qui se nourrit les oreilles chez votre concurrent direct. Un jour, je vais re-tenter France Culture. 

Sans doute que votre décision d’arrêter les fictions ( celles qui racontent des histoires de vies d’aujourd’hui) part d’un bon sentiment. Vous devez vous dire que ça intéresse plus personne. Mais, là, je me permets de vous dire que vous vous plantez complètement. Y a plein de gens comme moi, pas très branchés sur els bouquins, qui aiment bien qu’on leur raconte des histoires. Pourquoi y auraient que les lecteurs qui auraient accès à ces histoires. Moi aussi, j’en veux. Mais y  aussi d’autres gens, des retraités, des chômeurs, des insomniaques, des malades à l’hosto, des taulards, des chauffeurs de taxi, des vigiles, parmi eux des gens cultivés aussi, qui se régalent à écouter des dramatiques. Pas sûr, chère Madame la directrice de France, que ceux qui vous conseillent pour les grilles de rentrée, soient au courant de tout ça. Ce serait bien de venir rencontrer vos oreilles sur le terrain. Des oreilles invisibles de Radio France.

 Pour conclure, vous êtes donc invitée quand vous voulez dans mon bahut. Pas le grand luxe mais y a pire ; suffit d’ouvrir les yeux. On écoutera la radio ensemble. Peut-être que vous changerez d’avis après avoir un tour avec moi.  Mes potes on raison de penser que je suis un grand naïf. Bien sûr que vous changerez pas d’avis. Vous lirez même pas mon invitation. Elle sera foutue direct à la poubelle. Dommage pour moi et de très nombreux autres. J’aurais plus d’histoire à me caler sur l’oreille en conduisant. Des histoires qui racontent le présent à tous. Terminus fiction sur ma route des ondes ?

Auteur et auditeur de dramatiques radiophoniques, je ne suis pas objectif sur ce sujet. En effet, comme d’autres colocataires de France-Inter, je suis sensible à la disparition de ces «  histoires d’ondes » sur France Inter. Le monde de la maison ronde tourne aussi. Et c’est normal. Mais ceux qui le font tourner sont-ils trop loin des auditeurs ? 

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