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Mouloud Akkouche

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Billet de blog 30 juillet 2015

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Selfies de barbares

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

           Les décapiteurs sont de retour. Nous, on les appelle comme ça. Ils viennent de très loin. Quand ils arrivent, nous sommes obligés de fuir. Ils sont super armés. Nous sommes une vingtaine de jeunes à vivre ici. Cette forêt c'est notre territoire.Moi, depuis la mort de mon père, la vie était devenue infernale chez moi. Le nouveau mari de ma mère voulait que je fasse des choses que j’aimais pas faire. En plus, il m’interdisait de sortir. Moi, je peux  pas rester enfermée. Mon école à moi c’est dehors. Un jour, je suis partie. Il y a presque un an. Pas partie de chez moi qu’à cause de mon beau-père. Je veux continuer ce que papa avait commencé.

Ici, on est  libres de faire ce qu’on veut. C'est parfois dur mais on a de comptes à rendre à personne. Pas d’école, ni de beau-père sur le dos. C’est notre petit paradis qu’à nous. Sauf quand les décapiteurs reviennent. Ils débarquent pour verser le sang. On les voit arriver de loin avec leur 4X4. Ils installent leur campement en bas. Toute la journée, on entend le bruit des moteurs. La nuit, ils dorment autour d’un feu. Toujours un ou deux qui montent la garde. Ils tirent souvent des coups de feu pour rien. On dirait que ça les fait rire. 

Une fois, j’étais cachée derrière un buisson et je les ai vus de près. Ils sont bizarres.  Des yeux comme ceux des fous. Ils sourient toujours  quand  leur couteau est plein de sang. Un grand roux tirait  au fusil sur des bouteilles vides. Puis il avait arrêté et fait signe aux homme du campement. Tous s'étaient approchés de lui. Quand il parlait, touts les autresl’écoutaient.  Il faisait des grands gestes et pointait le doigt vers l'horizon.Tous avaient des fusils à la main. Ce jour là, j’ai eu la trouille de ma vie. Le grand roux s’est arrêté de parler. Y a eu un silence. Je l’ai vu marcher vers le buisson.

J’étais en sueur. Impossible de me sauver. On aurait dit que ses pas sur les cailloux résonnaient dans ma poitrine. Comme s’il marchait dans mon corps. Il était plus qu’à quelques mètres.  J’ai essayé de plus respirer. Sa ceinture avec son long poignard brillait au soleil. J’ai aboyé comme un lycaon. Il s’est arrêté et a ramassé un caillou.  J’ai continué d’aboyer. Au village, j’étais  super forte pour imiter les animaux. Il a jeté le caillou dans le buisson puis il est reparti. Depuis ce jour là, je fuis dès qu’il arrive. De l’autre côté de la vallée. Et je reviens quand ils sont repartis.

Aujourd'hui, je me suis fait avoir. Je dormais quand ils sont arrivés.  Les autres de la bande ont réussi à s’enfuir. Pas moi. Ils ont installé deux camps. Et moi je suis au milieu. J’ai quand même réussi à me planquer dans une grotte. De là où je suis, je vois tout ce qu’ils font.  Eux peuvent pas me voir. Combien de temps vont-ils rester ? J’ai rien à manger, ni à boire. Si je descends là où on planque nos réserves, je risque de me faire tuer. Surtout que cette fois ci, ils ont l’air plus excités que d’habitude. Ils arrêtent pas de faire des allers-retours. Leur 4X4 font des nuages de poussière.

Jamais vu les décapiteurs comme ça. On dirait qu’ils ont peur. Y ont l'air de se méfier de tout. Sans doute qu’il y a des soldats pas très loin. Hier, j’ai vu un hélico de l'armée qui est descendu très bas. Je sais qu’ils se sauvent quand les soldats arrivent. Je déteste aussi les soldats. Mais, pour une fois, j’aimerais bien qu’ils arrivent. Pouvoir sortir de cette grotte.

Ici, c’est dangereux à cause des serpents et d’autres animaux. Mais  je me sens  plus en sécurité que dans mon village. Grâce à Papa  qui m'a appris plein de trucs pour survivre dans la nature. Pas un père comme les autres. Lui y faisait aucune différence  entre ses filles et ses garçons. Ce qui comptait pour papa c’était de  savoir pêcher, reconnaître les arbres, pas avoir peur des animaux, connaître ce qui était bon et pas bon à manger… Mais c’était pas un gentil Papa. A la moindre connerie, tu prenais cher. Un jour, il m’a giflée parce que j’avais laissé partir un poisson.  C'est  ton héritage. Tu vas hériter des falaises, du fleuve, et du ciel au-dessus de nos têtes. Ma fille, faut résister aux décapiteurs qui pourrissent tout sur leur passage. Tout ça est à toi mais faut continuer le combat. Il m’avait dit ça quelques mois avant de mourir. Un cousin avait trouvé son corps près du fleuve. Des balles dans le ventre.

Tout le monde disait que c’était à cause des fréquentations de Papa. Je sais bien qu’il trafiquait un peu sur des histoires d’essence avec un gars de l’armée. Fallait bien qu’il nourrisse toute la famille. Je crois pas ce qu’a dit la police. Moi, je sais que c’est les décapiteurs. Papa les haïssait. Il voulait pas les voir traîner dans le coin. Un matin, il s’était battu avec l’un d’entre eux. Ils l’ont tabassé devant mes yeux J’avais eu très peur. Sûr que c’est les décapiteurs qui l’ont tué.

Au village,  personne leur disait rien aux décapiteurs. Que Papa qui se laissait pas faire. C'est comme des rois chez nous. Ils ont du fric et des armes. On peut rien contre eux. Mais je sais que ces barbares- comme ça que papa les appelait –  vont payer. Oeil pour oeil, dent pour dent. Quand je serai plus âgée, je serai très armée et j'irai au combat.  Papa est mort trop tôt. Lui savait bien se servir d’un fusil. Il voulait m’apprendre. Faut que j’apprenne toute seule. Quand j’aurai un fusil, je les laisserai pas faire. Plus jamais, ils viendront ici avec leur 4X4. Ils payeront pour tout ce qu'ils nous font. Je les chasserai tous de chez nous. Papa, je te le jure !

Quand j'ai proposé de nous battre, les autres de la bande pensaient que j’étais folle. On peut rien contre les décapiteurs. Sûr que moi, à 13 ans, le plus âgé de nous avait 16 ans, et les autres, on pouvait rien contre des hommes super armés. En plus, mes amis s’en foutaient un peu de tout ça. La plupart avaient pas de parents et se planquaient ici pour vivre peinards. Se refaire une famille loin de la merde. Mais je les ai tannés et on a fait quelques trucs. On a crevé leurs pneus, fait rouler des grosses pierres de la falaise quand ils passaient sur la route… Après, ils se sont méfiés. Maintenant trop dur de les approcher. Les autres de la bande sont pas mécontents qu’on arrête. Y a des morts plus graves que ceux des décapiteurs. Mes amis ont pas tort mais... Faut d'abord penser à trouver à manger chaque jour.

Un coup de freins me réveille en sursaut. Je sors en rampant de la caverne. Y a d’autres 4X4 qui sont arrivés en bas. Un gros type arrête pas de parler. J’arrive pas à comprendre ce qu’ils disent. Mais tous ont mis leur tenue avec les cartouches et tout le reste. Incroyable ! Y en a deux que je connais du village.  Deux hommes que papa aimait bien. Souvent, il partait avec eux à la pêche. Moi, je les connais depuis que je suis toute petite. Ils sont habillés comme les autres.

Papa serait furieux de savoir que ses amis sont devenus décapiteurs. Ces salauds connaissent tous les chemins de la région et vont les guider pour éviter les patrouilles de soldats. J’ai peur pour ma famille restée au village. C’est idiot parce qu’ils sont quand même loin d’ici. Avec les barbares, faut s’attendre à tout.  Papa m’avait prévenu. J’ai la haine contre les deux qui vont tout raconter aux décapiteurs. Ils vont leur donner les clefs de notre ciel et du reste. Ca me dégoûte. Un jour, je les tuerai aussi eux deux.

Ca y est ! Tous grimpent dans leur 4X4 et démarrent. Ils vont pas loin. Juste se planquer sous les arbres de la forêt. Plus personne ne bouge. Un hélicoptère passe au-dessus de nous. 

 Le roux ouvre sa portière, regarde en l’air et colle un téléphone à son oreille. J’ai faim et soif.  Et y a rien dans cette caverne. Même pas un arbre fruitier pas loin. Que des pierres. L’hélicoptère repasse, plus bas, et s’éloigne. Peut-être que les soldats les ont repérés ? Ils sortent lentement de leur planque sous les arbres et partent tous derrière le 4X4 des deux traitres. Je vais attendre pour descendre. Parfois ils laissent des hommes armés dans la forêt et viennent les chercher après. J’ai soif.

Des coups de feu au loin. Tombés sur des soldats ? Mes amis sont-ils bien à l’abri ? Peut-être qu’ils leur feront rien. Mais, avec eux, on sait jamais. Surtout quand ils ont leurs yeux bizarres qui font peur. Plus vraiment des hommes. On a l’impression qu’ils sont comme drogués. Que le sang qui les calme. J’ai soif. Faut que je bouge. Je redescends lentement vers notre planque. En bas, je me cache derrière un buisson et attend un peu. Y a personne.  

Je marche vite sous les arbres de la forêt. Arrivée à notre planque, je me jette sur l’eau.  Puis je m’assois et me mets à chialer. Impossible de m’arrêter. Les coups de fusil continuent. Les décapiteurs ont dû passer de l’autre côté de la vallée.  Les soldats vont pas trop là-bas car c’est dangereux à cause des précipices. Y des carcasses de bagnoles sur les rochers en bas.  Ils sont loin maintenant.Sûr qu’ils reviendront. Pas tout de suite. Ils savent qu’après leur passage, les soldats surveillent jour et nuit. Mais les décapiteurs reviendront ici. Pas toujours les mêmes. Hâte de retrouver mes amis.

Nous sommes tous à la planque. Pas de morts, ni de blessés.  On est contents mais personne arrive à parler. J’ai la rage. On a vraiment l’impression d’avoir perdu un proche. Presque de notre famille. On savait qu’il était jamais loin.  Je pensais qu’il était immortel.  Lui aussi c’est  ton héritage, ma fille. Nous sommes tristes. Et très en colère.

Son tueur est venu des USA pour l'abattre. Des milliers de kms rien que pour le traquer. Ils l'ont achevé d'une balle puis décapité. Une horreur. En plus, ils font des selfies avec sa tête dégoulinante de sang. Ils sourient en levant le pouce. Si j'avais un fusil, je les tuerai tous.Surtout le dentiste qui hurle sa joie. Et on peut pas réagir. Juste bouffés de colère.Témoins impuissants. Face à ces barbares qui se croient les rois du monde.

 On verra plus la crinière noire de Cecil.

La photo illustrant la nouvelle est extraite de cette vidéo WWF.

Un autre sourire de barbare:

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