« En se réveillant un matin après des rêves agités, Gregor Samsa se retrouva, dans son lit, métamorphosé en un monstrueux insecte. » La Métamorphose, de Frantz Kafka
Je suis pas un rat. Même si paraît que c'est un animal très intelligent. J’ai vu une émission à la télé sur ça.Vous le monsieur qui a dit qu'on est comme des rats,vous avez tort. Je suis juste une petite fille de 10 ans. Tout le monde dit que je suis très grande et en avance pour mon âge. Peut-être que vous avez aussi une petite fille. Et si ça trouve, on a le même âge. Essayez de l’imaginer avec une tête de rat. Je crois pas que ça vous ferez très plaisir. Votre fille est pas un rat.Moi non plus. Ma famille et mes amis non plus. On vit souvent près des rats mais on leur ressemble pas du tout. Monsieur, vous nous avez mal regardés. Les Roms sont pas des rats.
Une fois, j’ai vu à la télé… Dès que je peux, je regarde la télé. C’est comme si ma vie s’agrandissait d’un coup, que les murs se cassaient et que je voyais loin, très loin. Un peu comme une deuxième vie de rechange. Je sais plus ce que je voulais dire. Ma mère trouve que je réfléchis trop et que c’est pas bon quand on est pauvres comme nous. Mais je peux pas m’empêcher de me poser des questions. Ah ! j’ai retrouvé ce que je voulais dire. L’autre fois, ils ont passé un reportage sur comment vivaient les gens en France. Depuis au moins du moyen âge.
Et j’ai vu que même à Paris, y avait plein de rats. Ils ont montré une boutique avec plein de rats empaillés, elle est à côté du Forum des Halles. Sur la vitrine y a écrit dessus: destructions des animaux nuisibles. Ma mère dit aussi que j’ai trop de mémoire. C’est comme ça : j’oublie rien. Et en plus je veux pas oublier. Sinon des gens comme vous continuerons de nous prendre pour des rats. Faut pas oublier sinon ça s’arrêtera jamais. Moi, je veux que tout ça change. On est pas des rats !
Quand je vous ai entendu monsieur, j’ai eu envie de vous mordre. Vous mordre jusqu’au sang. Mais je me suis retenue. Pas un rat pour mordre. Juste une petite fille avec des dents un peu pourries parce que les brosses à dents poussent pas dans la rue. Papa, lui a carrément plus que quatre dents. Mais il continue de sourire. Je sais qu’il est pas content de nous voir là toujours finir dans ces camps. Il a plus la force d’être en colère. Juste d’avoir honte et de baisser la tête.
Papa a honte de nous donner que la boue et des rats comme compagnons. On est pas des rats mais on en voit tous les jours. Je sais que Papa veut que je garde son sourire dans ma tête. Il est très malade. L’autre fois, j’ai entendu quelqu’un dans le camp dire qu’il passera pas l’hiver. J’en ai parlé à personne et j’ai pleuré jusqu’au bruit du premier métro au-dessus de nos têtes. Le sourire de Papa restera aussi dans ma tête. Pas un sourire de rat. Son sourire sera mon soleil a moi pour toute la vie.
Imaginez monsieur qu’un jour votre fille ou votre fils vous trouve dans la cuisine avec une gueule de rat. J’aimerais être, comme on dit chez vous, une p’tite souris pour voir cette scène. Mais je sais que ce serait vraiment triste. Votre enfant serait vraiment très mal d’avoir un papa rat. Je veux pas voir ça. Même à vous qui nous traitez de rats, j’ai pas envie que vous deveniez un rat, même pour de rire. Vous voyez bien que je suis pas un rat. Pas sûr que les rats arrivent à se mettre à la place des rats.
Mardi, j’irai pas à l’école. Les bulldozers sont passés sur le camp. On a été obligés de repartir avec Papa, Maman, et mes deux petits frères. Avec d’autres, Papa a réussi à reconstruire un campement loin de là on était. Loin de l’école ou j’allais. Une école avec une directrice très gentille. J’ai encore le petit livre qu’elle m’a prêté. J’ai un peu honte car je voulais lui rendre à la rentrée. Qu’est-ce qu’elle va penser de moi ? Que je suis une voleuse ?
Bien sûr monsieur qu’il y a des voleurs chez nous. Et que nos camps sont souvent très sales. Imaginez qu’avec votre fille, vous avez rien à manger. Qu’est-ce que vous feriez ? Peut-être que vous iriez voler ou faire la manche. On peut pas savoir quand on a un toit, un frigo rempli, ce qu’on ferait si on était à la rue, sans rien du tout. Et je vous parle même pas de faire vos besoins. Chaque fois, je me retiens le plus possible, jusqu'à ce que mon ventre manque d'exploser. Mon rêve est de retourner à l'ecole. Mais pas que pour apprendre. Parce qu'il a aussi des chiottes avec des portes.
Peut-être que mon père a déjà volé. Je sais pas. A la télé, j’ai vu que même des gens qui ont plein d’argent et des maisons avec plein de trucs dedans volent. En plus, la police les arrête pas tous.Tout le monde sait que c'est des voleurs mais y reviennent à la télé. On dirait qu'ils savent pas ce que c'est que la honte. Bizarre que quand t’as tout et que tu voles. Moi, je croyais que c’était que ceux qui avaient rien qui volaient. Compliqué ce monde. Peut-être trop petite pour comprendre.
Maman m’a dit qu’elle me tuerait si elle me voyait voler. Elle veut pas que je fréquente certains du camp. L’autre fois, elle m’a giflé parce que je suis allée avec eux en ville. Elle dit toujours qu'ils donnent une mauvais image des Roms. Maman me surveille tout le temps. On a rien mais je veux pas qu’on soit rien. Maman dit souvent ça. Je comprends pas ce qu’elle veut dire mais, chaque fois qu’elle le dit, elle lève la tête et a l’air très sérieux. Comme Maman , j’ai jamais volé mais j’ai souvent tendu la main. Je déteste tellement ça. Je me sens sale, très sale à l’intérieur. Comment expliquer… J’ai pas les mots pour le dire.
Le pire c’est l’autre fois, un dimanche matin. J’étais assise devant la boulangerie. Et j’ai vu Marion arriver avec ses parents. J’ai baissé tout de suite les yeux. Délia ! Trop tard ! Je me suis levée. Pendant que ses parents faisaient la queue, on a parlé. Je l’aime bien Marion. On est devenus vite des copines dans la cour. Ses parents sont sortis de la boulangerie. Elle m’a fait un grand signe et est repartie avec eux. Je suis tombée comme un sac, la main tendue un peu comme par réflexe. Le cœur jamais aussi lourd dans la poitrine. J’ai baissé la tête, bas, de plus en plus bas…Envie de rentrer sous le trottoir. Plus vivre.
Sûr monsieur que vous lirez pas cette lettre. Personne la lira. Normal car elle restera dans ma tête. On se verra plus jamais. Même si on se recroisait, pas sûr que je vous reconnaisse. Mais vos mots monsieur seront toujours dans ma tête. Même si je sais que je suis pas un rat, vous avez sali ma tête pour toujours. Pourri ma mémoire. Chaque fois que je verrai un rat, je penserai à vous. Et vos paroles resteront dans ma mémoire.
Un rat pleure pas comme une petite fille de 10 ans.
ps) Une fiction inspirée des réactions haineuses à ce tweet.